Le PRAHDA ou les dérives d’un hébergement d’urgence privatisé

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Que faire pour voir disparaître ces campements de migrants demandeurs d'asile ? C'est le but du dernier né du mille feuille technocratique et financier : le PRAHDA (programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile). Les CAO (centre d'accueil et d'orientation) étaient déjà perçus comme des CADA (centres d’accueil des demandeurs d’asile) au rabais, professionnellement et financièrement. Qu'en sera-t-il du Prahda et que se passe-t-il à Besançon ?

Depuis plusieurs années, les structures d’hébergement d’urgence souffrent d’un déficit de places et le système coûteux de réservation de nuitées d'hôtels pour héberger les demandeurs d'asile soit des personnes en situation régulière atteint des limites financières auxquelles nos gouvernants traînent à trouver une solution pour faire face à l'obligation faite par la loi de les loger.

De plus que faire des migrants dont la démarche d'asile n'est pas encore entamée et qui obtiennent à la préfecture un rendez vous pour ouverture de dossier avec des délais de plus en plus longs (plus de deux mois actuellement à Besançon), alors que durant ce délai leur hébergement n'est pas prévu ?

Que faire des campements spontanés qui sont la conséquence de cet état de fait et que nous connaissons à Besançon depuis 2013 à Battant? Campement à la suite duquel un abri de nuit a été ouvert pour une quarantaine de demandeurs d'asile à l'ancienne maternité Saint-Jacques, mais qui a toutefois fermé depuis sans avoir été remplacé. D'autres sont apparus depuis (Chamars, Granvelle, Squat Denfert, Cusenier, Isenbart) aux occupants desquels le collectif SolMiRe apporte un soutien humanitaire constant.

Que faire quand seuls les référés devant le tribunal administratif contraignent la préfecture à loger ces demandeurs à la rue comme le veut la loi ? Que faire quand les campements ne sont plus tolérés par nos autorités mais que le Secrétaire général de la Préfecture se déplace en personne au Tribunal Administratif pour se plaindre que les structures d’hébergement d’urgence manquent de places et tenter de convaincre le juge que le recours aux nuitées d'hôtel doit cesser, justifiant ainsi implicitement le maintien à la rue des plaignants? Que faire si le tribunal obtempère devant ces pressions et que subitement la loi n'est plus la loi et que les gêneurs doivent retourner à leur invisibilité ?...

Or bientôt l'hiver sera là. Toutefois et il ne revient ni au Maire ni au Préfet de faire de la discrimination entre demandeurs d'asile et réfugiés en triant à priori entre «politiques » et « économiques », argument de la prestidigitation macronienne repris avec facilité depuis la fin de la Guerre Froide et d'un accueil alors souvent teinté d'anti-communisme. Il leur revient de laisser  l'OFPRA statuer en la matière.

Montage financier miracle et diminution de moyens pour les migrants

Pour tenter de répondre à ce problème chronique de l'hébergement sur tout le territoire Bernard Cazeneuve, Ministre de l'intérieur, avait lancé en septembre 2016 avec Emmanuelle Cosse le Prahda (Programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile) qui se développe désormais sous l'autorité de l'OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), avec l'objectif de devenir plus efficace à moindre coût ; efficace pour qui restant la question subsidiaire.

Le gouvernement a donc confié pour ce faire à la Caisse des dépôts et consignations et à sa filiale immobilière la SNI (société nationale immobilière) le soin d'acquérir des locaux en rachetant au niveau national 62 hôtels F1 au groupe Accor. Adoma, société d'économie mixte filiale de la SNI, a pour sa part remporté depuis l'appel d'offre en tant qu'opérateur de ce « contrat à impact social » inspiré des « social impact bonds » anglo-saxons, grâce auquel l’État pense résoudre un problème financier en faisant appel à l’hôtellerie privée.

Avec ce programme et selon un type de montage financier sur lequel il faudra revenir dans un autre article, l'État joue au bonneteau pour maîtriser ses coûts dans l'immédiat car il devra payer quelques dividendes à long terme aux investisseurs s'ils réussissent ou les remboursera en cas d'échec. Sil fait des économies dans l'immédiat on peut donc douter des économies à long terme. Quant aux migrants le coût de leur hébergement et de leur accompagnement devrait encore baisser par rapport à celui des CAO (Centres d'accueil et d'orientation conçus pour désengorger Calais). Les bénéficiaires réels du programme  ne seront visiblement pas ceux qu'on pourrait croire.

Le projet PRAHDA : « Hébergement d’urgence avec accompagnement social »

Un document d'ouverture au marché public présentait ainsi les trois publics éligibles à une prise en charge en PRAHDA :

« - les personnes majeures qui n’ont pas encore déposé de demande d’asile, mais qui ont manifesté l’intention de déposer de manière imminente une demande d’asile ou sont en attente d’un enregistrement formel de leur demande d’asile auprès du guichet unique pour demandeurs d’asile ;

- les demandeurs d’asile en cours de procédure en attente d’orientation vers les structures relevant du dispositif national d’accueil adaptées à leur situation ;l

- les personnes sous procédure Dublin, qui pourront y être assignées à résidence, dans l’attente de leur transfert vers l’Etat responsable de l’examen de leur demande d’asile. » à savoir le premier pays de l'espace économique européen où ils ont mis les pieds (soit les pays de l'UE plus la Norvège, l’Islande, le Liechtenstein et la Suisse) ;

La réalité : Expulsion renforcée des « Dublinés » assignés à résidence

Or dans les faits ce PRAHDA vise presque uniquement les demandeurs d'asile sous procédure Dublin qui sont assignés à résidence dans ces hôtels avant expulsion, les autres publics visés étant laissés le plus souvent à la rue.

On ne peut que dénoncer une telle dérive qui dans le cadre d’un dispositif social et sous couvert d'une offre d'hébergement aux migrants souhaitant déposer une demande d'asile, sert en fait en s'appuyant sur un levier légal arbitraire, non obligatoire à discriminer un certain type de demandeurs d'asile, les "dublinés , à organiser leur «résidence forcée» en vue d'une expulsion plutôt que d'un accueil.

A Besançon : conditions d'accueil rudimentaires

C'est exactement la situation que l'on peut observer à Besançon où l'ancien hôtel Formule 1 de la Zac Valentin a été ouvert à Chatillon le duc dès juillet dans le cadre de ce programme.

Ce centre héberge effectivement en majorité des « Dublinés » qui y sont assignés à résidence avec l’obligation de pointage quotidien en attendant leur transfert après accord éventuel du pays responsable de leur asile. Ainsi une sorte de centre de rétention semi-ouvert s'organise à nos portes sans grande protestation officielle, ni réaction municipale ou de l'Agglomération du Grand Besançon et sans explication donnée à quiconque du reste avant son ouverture.

Quant aux quelques demandeurs d'asile à la rue hébergés récemment depuis les campements du centre ville au grès des référés, il semble que la scolarisation de leurs enfants pose problème dans les écoles environnantes. Que feront nos autorités de cette obligation ?

Côté aménagements spécifiques prévus pour reconfigurer cet ancien hôtel ne disposant que de petites chambres, sans cuisine, ni lave linge et dont les douches sont à chaque étage à l'extérieur des chambres, force est de constater que ce bâtiment a été investi sans que soient effectués les travaux qui selon les promoteurs du projet étaient nécessaires pour que ces lieux "soient adaptés à leur nouvelle destination sociale". Pourtant ce centre vise l'accueil de 90 demandeurs d'asile d'ici la fin de l'année.

On ne peut en attendant que souscrire à ce que le Mrap précise à ce sujet au niveau national : « Ces PRAHDA ne correspondent pas aux normes d’hébergements collectifs : le manque de matériel empêche de faire la cuisine pour tous et toutes, l’exiguïté des locaux, le manque de personnel et de moyens et l’éloignement des villes s’apparentent à de la maltraitance institutionnelle, tant du point de vue physique que psychologique ».

Des questions restent en suspens

On peut vraiment s'étonner qu'une politique visant l’éloignement qui relève traditionnellement davantage de la gestion sécuritaire des flux migratoires que de l’accompagnement social soit confiée à Adoma (ex Sonacotra) devant œuvrer en principe à l'intégration dans la société d’accueil des populations qu'elle héberge. Laisserons nous peu à peu avec ce programme se répandre un nouveau type d'hébergement policier géré par de curieux travailleurs sociaux dont le soutien qu'ils apporteront se concentrera sur une aide à l'expulsion ?

« Toute l’ambiguïté réside dans la superposition de ces deux dispositifs. Comment peut-on d’ailleurs à la fois protéger des personnes jugées vulnérables et chercher à les expulser parce qu’également indésirables? » s’interrogeait déjà en 2016 le sociologue Gilles Frigoli dans un dossier de la Cimade à propos de l'assignation à résidence, à l'occasion d'une enquête menée à Besançon.

Avec l'apparition d'un outil de financement inventif venu d'ailleurs pour satisfaire une commande de l'État, le migrant semble ouvrir soudain un marché où le privé viendrait accaparer des tâches relevant en principe des pouvoirs publics en prétendant à une plus grande efficacité. Tout dépend il est vrai de qui  est considéré comme principal bénéficiaire de cette efficacité. Loin de coûter, le migrant va même pouvoir rapporter davantage ? Et dès lors vous pouvez remarquer que les promoteurs ne parlent plus de risque « d 'appel d'air ».

 - Quand abordera-t-on sur le fond les causes qui contraignent ces migrants à fuir leurs pays alors qu'ils aimeraient pouvoir y vivre ?

- L'assignation à résidence est-elle pas une alternative à la rétention ?

- Le règlement Dublin ne devrait-il pas être abrogé au sein des institutions européennes ? En effet ce recours à cette procédure permet surtout d'augmenter le nombre des expulsions de demandeurs d'asile refusés en fonction de leur lieu d'entrée dans l'espace économique européen et non de la recevabilité de leur demande sur le fond.

 Alors que cette procédure n'est pas obligatoire et que tout pays peut examiner une demande d’asile même si un autre pays en est responsable en faisant valoir ce qu’on appelle la clause de souveraineté, le choix français se porte clairement sur une accélération de la machine à expulser et vise à se débarrasser de certaines demandes d'asile pourtant légitimes sur le fond.

Une telle situation organise de fait le non-accueil national et fragilise ainsi à la fois le droit d'asile dans notre pays ce faisant les relations entre pays européens en protégeant certains pays de l'Union au détriment d'autres, au prétexte qu'ils sont situés en bordure de l'espace économique européen. Sans compter que les personnes demandant l'asile doivent pouvoir choisir le pays de leur demande en fonction de leurs parcours personnel, du lieu où elles ont déjà de la famille.

- Au fait, comment actuellement appréhende-t-on en en haut lieu l'arrivée de l'hiver ? Nous prônons quant à nous un maximum d'efficacité au service de l'humain. Macron avait promis qu'il n'y aurait plus de campements en hiver et "plus une seul migrant à la rue d'ici la fin de l'année" ; qu'en sera-t-il à Besançon ?

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