Quand les bâches publicitaires deviennent des sacs…

Chez « Oh la Bâche ! », à Lons-le-Saunier, Béatrice Weidenmann transforme les bâches publicitaires et banderoles événementielles en accessoires de mode. Un réemploi qui évite d’enfouir ou d’incinérer quelques-uns des milliers de mètres carrés de PVC produits et jetés chaque année. Une filière de collecte tente de se mettre en place au niveau national à partir d'une initiative née en Loire Atlantique.

Des rouleaux de bâches s’empilent dans l’atelier de Béatrice Weidenmann. Colorés, blancs, plus ou moins épais, perforés ou lisses, avec des inscriptions, des dessins, unis… Ces banderoles servent de matière première à cette couturière installée à Lons-le-Saunier. La créatrice de Oh la Bâche ! n’achète pas des mètres de tissu pour confectionner ses sacs, trousses, sacoches ou porte-monnaie ; elle réutilise des bâches publicitaires. La matière ne manque pas. Pour annoncer un événement sur le bord d’une route ou suspendues dans la rue, aux abords d’un festival, lors de congrès ou de salons, des milliers de banderoles sont produites chaque année. Et détruites généralement dans la foulée.

Marion Charlot, à l’initiative du festival Les Rendez-vous de l’aventure, a vite pris conscience de ce problème. Dès la deuxième édition de cet événement lédonien, elle a cherché une solution pour réutiliser les bâches qui servaient de supports de communication. « On les avait stockées dans un coin. Nous n’osions pas les jeter, non seulement parce que ce sont des souvenirs mais aussi parce que nous savions qu’elles seraient enfouies », justifie-t-elle. Sur un autre festival, elle repère des goodies, de petits objets fabriqués avec les bâches de l’édition précédente. L’idée la séduit. Avec Béatrice Weidenmann et l’aide du Clus’ter Jura, l’entreprise Oh la Bâche ! voit alors le jour, en 2017.

Upcycler pour réduire les déchets

« Nous n’avons rien inventé », concède volontiers Béatrice. Ailleurs en France, d’autres entreprises transforment elles aussi les bâches en accessoires de mode. Mais concentrées sur l’aspect marketing, elles confient souvent la production à des ESAT. À Lons, Béatrice s’occupe elle-même de cette transformation. Dans son atelier, un petit bâtiment dans une cour intérieure, elle déroule un morceau de bâche sur une grande table. Pour faire un sac, le patron est toujours le même : elle découpe une forme rectiligne dans le tissu.

La plupart des bâches sont composées d’une trame textile, recouverte de PVC (polychlorure de vinyle). Cette matière résultant du pétrole, utilisée dans de très nombreux objets en plastique, présente aussi des caractéristiques favorables dans la mode : « C’est un matériau rigide, proche du cuir, imperméable, décrit Béatrice, et pour moi qui ne suis pas très créative, les bâches que je récupère sont parfois déjà ornées de jolis dessins. Je peux les valoriser ».

Elle s’efforce de se servir du maximum de matière possible : « J’essaie d’avoir zéro déchet, mais c’est impossible. Cependant, des petits objets, comme des porte-cartes, permettent d’utiliser de très petits morceaux de bâches », détaille-t-elle. Forte de longues années dans des entreprises textiles ayant leur site de production en France – « c’était important pour moi », insiste-t-elle – Béatrice est restée attachée à éviter le gaspillage, loin des pratiques de certaines enseignes de fast fashion (en français : mode éphémère) mais aussi de haute couture. En 2008, elle a créé sa propre marque, Rayon Jaune, en customisant des gilets de signalisation pour les cyclistes. Oh la Bâche ! vient compléter cette activité.

L’absence d’un système de recyclage

Béatrice estime recycler « environ 500 m² de bâche par an ». Une goutte d’eau dans la masse de banderoles, affiches, étendards produite chaque année. Impossible d’avoir des chiffres précis, mais Hugues Malhere, président de la commission environnement du syndicat de la communication visuelle, E-visions, parle de « plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés par an, dont assez peu sont réutilisés. » En théorie, ce sont les clients – ceux qui commandent les bâches – qui sont propriétaires de celles-ci. « Mais généralement, après un événement, ils nous les laissent », raconte Hugues Malhere, qui gère aussi une entreprise d’impression en grands formats.

« Même si elles ne nous appartiennent plus, nous nous substituons à notre client pour qu’elles soient réutilisées, enfouies ou incinérées », ajoute-t-il. C’est souvent l’une des deux dernières solutions qui l’emporte : le PVC est rarement recyclé. « Pendant une dizaine d’années, l’usine italienne Texyloop proposait de récupérer les bâches pour les recycler selon un procédé spécifique », rapporte Hugues Malhere. Mais l’entreprise a cessé son activité en 2018. Depuis, aucun réseau de collecte n’existe, pas plus qu’une quelconque obligation légale de recyclage. Résultat : les bâches finissent bien souvent dans les déchetteries, avant d’être enterrées ou brûlées.

En de rares occasions, elles sont « downcyclées », constate cependant Hugues Malhere : « Certaines sociétés les utilisent pour emballer des matériaux, ou des particuliers s’en servent pour recouvrir du bois ». Dans d’autres cas, rares également, elles sont « upcyclées », c’est-à-dire transformées en de nouveaux produits, comme chez Oh la Bâche !

Transformer des bâches locales

En Loire-Atlantique, Hugues Malhere participe à la mise en place d’une filière de collecte et de recyclage des bâches publicitaires, vouée à se développer au niveau national. La priorité : l’organisation d’une collecte de proximité. En attendant, des entreprises comme celle de Béatrice Weidenmann tentent de pallier les lacunes du système de recyclage. La proximité est également un maître-mot chez Oh la Bâche ! La Lédonienne récupère principalement des bâches de la région : celles du théâtre de Lons, de la ville, de la station des Rousses, du cirque Pagnozoo, ou encore de l’entreprise Nutravance. « Je voulais montrer qu’en milieu rural aussi, on produit des bâches. Et je trouve absurde de les faire circuler sur des centaines de kilomètres », justifie-t-elle, ancrée dans une démarche écologiste.

Sa logique reste la même lorsque des clients lui demandent s’ils peuvent commander une bâche pour qu’elle leur confectionne des accessoires : « Je ne peux pas les en empêcher, mais ça n’a plus vraiment de sens », affirme-t-elle. Elle-même refuse d’acheter les bâches : elle compte sur les dons. « Pour les amener à la déchetterie, les entreprises paient », développe-t-elle. Certaines structures achètent des objets issus directement des bâches qu’elles ont confiées à Béatrice, d’autres ne commandent rien en retour. Leurs bâches donnent alors vie à des accessoires, en vente sur le site internet de la créatrice. « Contrairement à mes approvisionnements, ma clientèle n’est pas forcément locale », constate donc Béatrice.

Sur le festival des Rendez-vous de l’aventure, il est possible, chaque année, d’acheter des goodies issus des bâches de l’édition précédente. « Nous n’en tirons pas non plus une fierté, tempère Marion Charlot. C’est super que nos supports retrouvent une seconde vie, mais le mieux serait d’en produire moins. Il faut repenser nos moyens de communication », conclut-elle.

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