Revenu universel, salaire à vie, extension du régime de sécurité sociale, gratuité, dotation individuelle d’autonomie, débattons !

Dans une note de blog publiée le 9 mai dernier, je présentais les risques et ce qui se trame derrière la proposition de revenu universel portée par nos camarades de Génération.s et rappelée dans leur communiqué du 5 mai. Suite à ce premier échange, nouvelle réponse de Génération.s et chose encore plus intéressante, la réponse d’un citoyen. Ne croyez pas que je trouve inintéressant les débats entre membres de deux forces politiques, au contraire, mais permettez-moi de me réjouir encore plus quand ce débat irrigue la société et que des citoyen.nes prennent leur plume pour y participer ! Car pour celles et ceux qui me connaissent peu, je suis avant tout une militante au service de la révolution citoyenne. En 2012, je scandais Place au peuple aux côtés de Jean-Luc Mélenchon et des camarades du Front de gauche, en 2017, avec la France insoumise, notre ligne de conduite fut aussi de fédérer et de redonner le pouvoir au peuple. En 2020, pour les municipales, c’est aussi cette volonté qui nous a animé en favorisant l’émergence d’une liste citoyenne, Besançon verte et solidaire. Je tenais donc avant de parler concrètement du sujet qui nous préoccupe ici, rappeler combien la mobilisation citoyenne est et sera primordiale dans le moment politique dans lequel nous sommes.

Depuis une quinzaine de jours donc, le site d’information Factuel.info est devenu un lieu de débat autour de ces notions. En ces temps troubles et de graves remises en cause de nos fondamentaux sociaux et de solidarité à la faveur de la crise sanitaire, il est bon de débattre. Car rien ne serait pire que de confiner notre démocratie. Alors échangeons, débattons !

Sur la base de ces trois contributions, celle de Génération.s, celle de Romain Biard, et la mienne, je vous propose une typologie des notions qui sont apparues dans ce débat. Car si celles-ci peuvent de prime à bord paraître toutes très proches, il y a lieu de séparer celles qui sont en réalité différentes parce que reposant sur des bases et concepts différents, de celles qui sont complémentaires.

Le revenu universel : le choix du revenu et non des droits

La proposition de revenu universel portée par Génération.s part du principe que pour lutter contre la pauvreté, il est urgent d’envisager le versement d’un revenu universel et inconditionnel. Je réitère mes craintes et analyses, résumées ainsi (pour plus de détails, voir ma précédente note de blog) :

- Le revenu universel opère un glissement du collectif vers l’individualisme dans les choix d’affectation des ressources mais aussi dans la lutte sociale

- C’est acter la critique libérale de l’Etat providence qui ne serait pas efficace pour réduire pauvreté et inégalités en omettant de combattre les réelles causes

- C’est se résigner et inscrire son action dans le système capitaliste et donc abandonner la lutte contre un système profondément inégalitaire, d’où l’expression d’un revenu universel « roue de secours du capitalisme ». Or je le répète, la justice sociale, ce n’est pas l’aumône.

- C’est choisir la lutte contre la pauvreté tout en abandonnant la lutte contre les inégalités, alors que celles-ci sont au cœur du processus de paupérisation de la population

- C’est renoncer à lutter pour la réduction du temps de travail

Je tiens ici à préciser à nouveau, que si cette notion est elle-même portée par divers courants politiques et idéologiques, j’accorde bien volontiers à mes camarades de Génération.s le fait que leur projet de revenu universel ne soit pas le même que celui des néolibéraux. C’est d’ailleurs sur ce point qu’ils concluent leur réponse du 14 mai, en parlant « d’utopie concrète et désirable ». Mais enfin, camarades, comment pouvez-vous balayer d’un revers de la main les rapports de force politiques actuels ? Qui peut croire raisonnablement, qu’aujourd’hui, à l’heure où le gouvernement adopte la stratégie du choc, poussant toujours plus loin ses choix idéologiques libéraux à la faveur d’une crise sanitaire sans précédent depuis plus d’un siècle, que la version sociale-démocrate du revenu universel pourrait s’imposer face à la version néolibérale ? Nous ne sommes plus là dans le domaine de l’utopie mais de la science-fiction.

Globalement le revenu universel porte en lui les germes d’une remise en cause totale de l’esprit de notre système de protection sociale. Il fait des individus des êtres de besoins à qui on donne de quoi consommer, et non des individus unis collectivement dans un même destin collectif, faisant société, l’intérêt général et la justice sociale chevillés au cœur et au corps. Le revenu universel, sous couvert de bonnes intentions nous amène quand on gratte le verni vers une pente dangereuse.

Des droits plutôt que des revenus, vers le salaire à vie

Je le disais un peu plus haut, le revenu universel s’accommode du système capitaliste. Il vise à adoucir les dommages collatéraux d’un système profondément pervers qui porte en lui le postulat de la domination et des inégalités. Proposer un programme politique c’est proposer une perspective heureuse. Or, je n’appartiens pas au camp de ceux qui veulent adoucir le système et répartir les miettes des 1% des plus riches qui détiennent plus de 2 fois la richesse de 92% de la population mondiale. Pour proposer une véritable « utopie concrète et désirable », il nous faudra battre ce système. Il nous faudra renverser la table. Nos urgences sont dorénavant multiples : urgence écologique, sociale, économique, démocratique et dorénavant sanitaire. La politique du petit pas n’est plus d’actualité. Pire, elle permet la survie de ce système de domination.

Vous me direz alors peut-être que je suis une douce rêveuse. Non, notre histoire nous offre cet horizon. Rappelons-nous de ce que nos anciens ont réalisé en 1945 avec la création de la sécurité sociale et de la fonction publique. Le patronat laminé par sa collaboration avec l’Allemagne nazie n’a pu que baisser la tête face à ces conquêtes sociales incroyables. Car de quoi s’agit-il en réalité ? La sécurité sociale n’est ni plus ni moins qu’un prélèvement direct sur la valeur créée qui fait ensuite l’objet d’une affectation collective de droits que ce soit sur la base d’un système d’assurance ou d’assistance. Nos cotisations sociales représentent environ le tiers du PIB. Un tiers qui avant 1945 passait entre les mains du capital et qui depuis leur échappe. La socialisation de la valeur produite, voilà un projet progressiste et révolutionnaire !

Le véritable projet politique qui a l’odeur et la saveur de l’utopie concrète et réalisable, c’est l’extension du système des cotisations sociales, c’est la création de nouveaux droits. Bernard Friot en modélisant le salaire à vie fournit un cadre théorique à cette perspective heureuse. Là est un objectif à plus ou moins long terme. Souvent confondu avec le revenu de base ou universel, pourtant il n’a strictement rien à voir. Le salaire à vie remet totalement en cause la mainmise du capital sur la valeur produite. Il reconnait l’existence d’un travail et d’une production de valeur en dehors de la sphère du capitalisme et du marché du travail. Pour cela, il s’agit d’étendre le fonctionnement des cotisations sociales à l’ensemble du PIB et non plus seulement au tiers comme actuellement. Les salaires nets et cotisations ne passeraient donc plus du tout par l’entreprise mais seraient versés à une caisse des salaires, qui se chargerait ensuite de verser les sommes dues à chacun.e en fonction d’un niveau de qualification. Ce système associe le fonctionnement des cotisations sociales actuelles qui prévoit le versement du salaire différé aux salarié.es par une caisse (couverture santé, chômage, retraite…) et le fonctionnement de la fonction publique dont le salaire est lié non pas à un emploi, ni à un niveau de production mais à une qualification. Toute forme de travail est alors reconnue, ce que l’on appelle aujourd’hui pension se nommant salaire.

Une autre caisse, gérée par une assemblée démocratique (travailleurs, spécialistes dans certains secteurs, citoyen.nes élu.es), serait aussi chargée de prélever le reste du PIB pour assurer les investissements en fonction des besoins de la collectivité, tout en maintenant un minimum d’autofinancement au sein de l’entreprise.  On touche ici un autre point essentiel du modèle du salaire à vie : la propriété d’usage plutôt que la propriété lucrative. L’entreprise n’appartient pas uniquement à ses actionnaires, elle appartient aussi à ses salarié.es. Les décisions doivent donc être prises par ce collectif. J’entends déjà crier au loup : « on n’est pas en union soviétique ! » Rassurez-vous, je ne cultive aucune nostalgie de ce type. Ce fonctionnement existe déjà, cela s’appelle les SCOP et ça fonctionne très bien. Personne ne part au goulag pour autant.

Le salaire à vie supprime l’existence de cette institution qu’est le marché du travail, le libérant alors. Beaucoup de jeunes le fuient par peur, par rejet de cette dépendance envers un employeur et ce chantage à l’emploi. Ces jeunes prennent souvent le chemin de l’ubérisation pour goûter de cette liberté. Mais cela ne va pas sans risque pour ce qui est de leur protection sociale. Le salaire à vie, répond là encore à cette problématique, à ce besoin de sortir de ce carcan de domination, tout en assurant une protection aux travailleurs.

Ce projet peut paraître fou pour certain.es, voire inaccessible et pourtant il s’agit juste d’étendre le fonctionnement de notre système de santé, d’éducation à d’autres secteurs. Cela pourrait donc se faire petit à petit. Par exemple l’agroalimentaire, secteur où les enjeux sont vitaux du point de vue de santé publique mais aussi face à l’urgence climatique ; les transports ; l’industrie du médicament (sujet éminemment d’actualité quand on voit le comportement de certains industriels comme Sanofi au sujet du vaccin contre le Covid-19) … Pour celles et ceux qui veulent en savoir plus, je vous invite à regarder cette vidéo qui explique de manière très claire ce projet de société.

C’est dans cette perspective que le programme l’Avenir en commun, porté par la France insoumise en 2017 et toujours d’une actualité puissante, propose par exemple, la sécurité sociale intégrale (sécurité sociale à 100% pour ainsi mettre fin au système des mutuelles, Etat-employeur en dernier ressort…), l’allocation d’autonomie pour les jeunes…. Toutes ces mesures sont des propositions qui vont dans le sens de créer de nouveaux droits, par la socialisation.

Etendre le champ de la gratuité

En introduction, j’ai précisé qu’il existait aussi dans les trois contributions à ce débat des mesures complémentaires. J’en viens donc à la contribution de Romain Biard, qui en réponse à ma note de blog, a souhaité nous parler de la Dotation Individuelle d’Autonomie. Je ne peux que lui répondre que je suis en total accord avec lui. En effet, cette DIA vise à remettre aussi en cause la logique capitaliste en faisant reculer le marché par l’extension du champ de la gratuité. Là encore, il s’agit d’accorder de nouveaux droits et cette mesure me paraît totalement complémentaire, étant dans le même esprit que le projet de socialisation du PIB.

Faire reculer le marché pour étendre les biens communs, créer de nouveaux droits pour les citoyen.nes reflétant une nouvelle organisation sociale et sociétale, permettre à chacun.e de vivre dignement, mettre fin à l’indécence des écarts gigantesques de revenus entre tous et toutes, sont autant de mesures que nous défendons au sein de la France insoumise : gratuité de l’accès au compteur et premiers mètres cubes d’eau, gratuité des transports en commun, droit au logement, la santé et l’éducation pour tous et toutes, instaurer un salaire maximum autorisé pour les dirigeants d’entreprise avec notamment un écart maximal de salaires de 1 à 20…

Bon nombre de ces mesures ont d’ailleurs été portées par la liste citoyenne Besançon verte et solidaire durant cette campagne électorale des Municipales. Permettez-moi de prendre un seul exemple qui illustre à lui seul la différence de philosophie entre des mesures qui visent à adoucir les effets du système de production capitaliste et les mesures qui visent à le remettre en cause : la gratuité des transports en commun. Il y en effet une différence fondamentale entre la gratuité pour telle ou telle catégorie d’usagers (les moins de 26 ans par exemple), ou selon la période (gratuité le samedi) et la gratuité totale pour tous et toutes. La gratuité pour tous et toutes est la conquête d’un nouveau droit, celui de pouvoir se déplacer pour son travail, pour ses loisirs, pour amener ses enfants à des activités... C’est l’avènement d’un bien commun. C’est une mesure sociale et écologique fondamentale, qui a déjà été mise en œuvre avec succès dans bon nombre de villes. La gratuité par catégorie ou par période de la semaine relève en réalité de la politique du petit pas et d’un énième pis-aller.

Pour conclure et si l’on devait résumer mon propos, le revenu universel est une adaptation au système capitaliste, là où l’extension du système des cotisations et la gratuité proposent des remises en cause profondes du système capitaliste en lui-même. Vous comprendrez donc que sous des termes qui peuvent paraître proches, en réalité le projet de société n’est pas le même. Proposer un projet politique heureux, une utopie, ce n’est pas seulement défendre notre système de cotisation et de la fonction publique, deux conquêtes incroyables, il s’agit de les étendre, en créant de nouveaux droits pour les individus. Là est la véritable « utopie concrète et désirable » face aux enjeux de notre temps.

Séverine VEZIES, Rédactrice en chef du Journal de l'insoumission

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