Peur des migrants, peur du FN et crise politique

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François Gemenne est venu le 30 septembre dernier à Besançon à l'invitation de Barbara Romagnan, pour parler de l'accueil des réfugiés et de l'ouverture les frontières. Cette présentation très stimulante d'un chercheur nous a permis au-delà de représentations déformantes, d'appréhender certains faits actuels aptes à nous faire sortir de fantasmes liés à ce qu'il nomme « le paradigme de l'immobilisme » et d'appréhender un projet humaniste pour l'Europe, le vivre-ensemble et et la mobilité.

Aujourd'hui la question migratoire pose les plus grands défis à l'UE car elle souligne l’absence de politique commune et de coopération sur un thème qui est en train de mettre en faillite l’idéal européen. Autour de cette question le débat politique français repose quasiment entièrement sur de l’émotion, de l’idéologie et une peur du changement qui paralysent l'émergeance nécessaire de nouvelles façons de voir la réalité et favorise par trop ce que Pascal Blanchard appelle « le Grand Repli »(1).

Dans ce contexte voici les 10 raisons proposées par F.Gemenne pour ouvrir les frontières qui nous permettent de voir autrement le problème posé :

  1. Arrêter le massacre

Ouvrir les frontières, c’est avant tout permettre aux gens de migrer dans des conditions sûres et dignes, c’est vouloir mettre un terme à la tragédie qui se joue actuellement aux frontières de l’Europe.

Fermer les frontières n’entraîne aucune baisse de flux migratoires puisque la mobilité est par ailleurs une réalité sociale valorisée. Cela ne fait que rendre les déplacements plus précaires, plus coûteux et plus dangereux, jusqu'à transformer aujourd'hui la Méditerranée en cimetière.

  2. Lutter contre les passeurs

La fermeture des frontières crée le business des passeurs. Ouvrir les frontières, légaliser les mobilités de tous permettrait de mettre fin à ce trafic mafieux profitant de plus en plus d’une économie de la prohibition.

  3. Fermer les frontières ne sert à rien

Faire croire que seule une fermeture des frontières permettra  la maîtrise des flux migratoires est une illusion et un mensonge électoraliste. La construction du mur entre le Mexique et les Etats-Unis n’a nullement ralenti les flux migratoires entre les deux pays.

  4. Permettre la libre circulation

L’ouverture des frontières permettrait la circulation des personnes, les mouvements d’allers et retours. Beaucoup de migrants sont aujourd’hui coincés en France, car ils n’osent plus en sortir par peur de ne plus pouvoir y revenir ensuite.

  5. Faire disparaître l'immigration illègale

Rendre toutes les migrations légales ferait de facto disparaître l’immigration "clandestine". Tout projet migratoire étant légitime, l'ouverture permettrait aux migrants de déployer leur plein potentiel économique dans le pays d’accueil. Toutes les études montrent que la contribution économique à leur pays de destination est d’autant plus positive que leur situation y est sûre et légale.

  6. Permettre un progrès social

L’embauche des travailleurs étrangers en situation irrégulière dans les pays riches constitue un «dumping social», l’équivalent d’une «délocalisation sur place». Les pires conditions sociales sont imposées à des travailleurs sans droits. Leur contribution économique est aussi dirigée vers leur pays d’origine et participe au codéveloppement. Cet apport financier des migrants par leurs transferts d’argent au pays est au moins trois fois supérieur à "l’aide au développement" officielle des pays industrialisés.

  7. Faire des économies

Depuis 2007, Deux milliards d’euros ont été dévolus à la gestion des frontières. Pour quel résultat ? La suppression de Frontex et des politiques sécuritaires ferait économiser plusieurs millions d’euros aux États de l’Union, qui pourraient être réinvestis dans des projets plus constructifs.

  8. Reconnaître la mobilité comme un droit fondamental

L’ouverture des frontières reconnaît la légitimité de toute migration et le droit à la mobilité de chacun. Le droit de quitter son pays est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais la fermeture des frontières empêche de le mettre en œuvre.

  9. Lutter contre les inégalités
Aujourd’hui, le destin des uns et des autres reste avant tout déterminé par l’endroit où ils/elles sont né-e-s. C’est la fermeture des frontières qui crée cette inégalité insupportable, ce privilège du lieu de naissance.

  10. Réaffirmer l'humanisme comme projet

Se préoccuper d’une hypothétique identité, n’est-ce pas refuser de voir la société française telle qu’elle est aujourd'hui : plurielle et en mouvement ?
L’Europe réalise que son idéal de croissance infinie est fini. Ce n’est pas pour autant la crise : c’est une autre croissance qui se dessine. Idem pour les migrants : la crise à laquelle on assiste est celle de l’UE incapable de faire face à ce changement de paradigme.

 

la peur du FN

Ce plaidoyer pour l'ouverture des mentalités européennes a été suivi d'un débat durant lequel on a dû constater qu'il n'évoquait chez plusieurs participants dont la Présidente du Conseil Régional rien d'autre que leur sidération devant le FN. Renonçant ainsi à aborder le sujet proposé, ils insistaient de façon hallucinée sur l'irresistible montée de ce parti.

F.Gemenne a tenté de leur expliquer qu'avant tout il fallait du courage pour combattre les réponses simplistes formulées sur des problèmes complexes. Il a souligné que la crise actuelle n'était pas humanitaire mais que s'il y avait certes une urgence humanitaire, la crise était bien politique puisque nous n'assumons pas les choix que nous avons fait et qui conduisent à la situation que nous connaissons.

La sincérité des propos de certains de nos élus pose en effet question. Comment peut on déclarer vouloir faire face au défi humain que représente l'accueil des réfugiés et en même temps accepter les lois votées en été sur le durcissement de la politique de l'immigration en France, qui organise la suspicion généralisée de tout arrivant et la prévention contre son installation durable dans notre pays ? Comment peut on défendre l'accueil sélectif pratiqué à Besançon en passant sous silence la quantité d'OQTF (Obligation à Quitter le Territoire Français) produite actuellement.

Les mots de «crise», de «vagues», ou d'«appels d'air» auxquels ils faudrait mettre fin contribuent de façon simpliste à entretenir la confusion entre demandeurs d’asile, immigration économique, clandestine ou légale. Mélanger ces parcours, distinguer soudain les bons réfugiés des mauvais migrants devient malsain. Une politique migratoire peut elle se limiter à une gestion de flux signifiant que toute arrivée de réfugiés implique l'expulsion concomitante d'autres migrants. Où peut on resituer plus d'humanité ?

Ces confusions entretenues, ces intolérences grandissantes sont elles propres au FN  et pourquoi ont elles lieu ? Cette impossibilité à penser autrement a des racines bien plus profondes en France et bien plus diffuses dans notre société pour les cantoner à l'expression brutale d'un seul parti.

 

La gauche et le vivre ensemble

Notre République est paradoxalement la patrie des droits de l'Homme et une ancienne puissance coloniale qui a toujours su vivre avec des distinctions construites entre Français, entre ceux dits "de souche", les vrais, et les autres. Depuis cette période coloniale perdure une discrimination constante entre différents « types » de Français qui ne savent même plus qu'ils ont une histoire commune, ne se reconnaissent pas entre eux et parmi lesquels certains croient même voir des étrangers.

Ainsi dans ce contexte de stigmatisation des étrangers de l'intérieur l'acceptation des réfugiés reste bien sûr problématique et «la crise humanitaire» tombe mal pour nos partis démocratiques qui n'ont pas foncièrement de grandes divergences sur l'immigration. Tout à fait prévisible vu le temps passé sans réagir, cette crise devrait nous faire réfléchir sur certaines de nos certitudes et sur notre façon de défendre nos valeurs qui théoriquement sont à l'opposé du repli actuel. Aujourd'hui en Europe « nous sommes dans la situation où chacun est en train de fermer sa frontière pour ne pas prendre les réfugiés de l'autre. Cela va à l'encontre des principes fondateurs et de la raison d'être de l'Union européenne » affirme F.Gemenne.

Or qu'a fait la Gauche depuis la marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983, de l'aspiration de certains Français à être reconnus comme tels ? Il s'agissait déjà d'une lutte contre le FN il y a 32 ans. A cette occasion Mitterrand avait octroyé aux immigrés la carte de résident de 10 ans que les lois actuelles sur l'immigration sont en train de mettre en cause et le vote des étrangers promis depuis des lustres est toujours dans les cartons. Que s'est il passé depuis les affrontements de 2005 dans certaines banlieues ? Quelle pédagogie a mis en forme le Vivre ensemble ?

Dans quel pays la Présidente actuelle du Conseil Général a-t-elle vécu depuis cette époque pour être consternée à ce point par la montée de la xénophobie sans daigner dire un mot sur le thème de cette conférence ?

De quoi a-t-on a peur aujourd'hui ? Que la France devienne multiculturelle et multicultuelle? Elle l'est déjà. Qu'elle ressemble à la Réunion qui devrait plutôt être un exemple de réussite sur ce point ? Notre société de plus en plus métissée est un fait incontestable dont on devrait plutôt faire une richesse en s'appuyant sur nos idéaux républicains. Veut-on se retrouver chacun chez soi comme au temps des colonies ? Va-t-on vers une ethnicisation de tous les problèmes sociaux au nom de la recherche d'un paradis perdu ? Ce qui est sûr, comme le signale le démographe François Héran, c'est que «nous sommes un grand pays d'immigration et de longue date, sans être pour autant un grand pays d'asile».

 

Le réel et ses représentations trompeuses

En France la peur actuelle des classes moyennes est de vivre un déclassement social et la peur de tout perdre engendre des comportements irrationnels, l'abstention ou le vote FN, car chacun(e) observe bien que la différence entre riches et pauvres s'accentue et que les milieux financiers semblent protégés.

Pour pouvoir devenir citoyen, tout Français doit pouvoir se sentir reconnu comme tel. On ne peut pas participer au déclassement et s'étonner de l'abstention grandissante ou des votes extrêmes. Le sentiment d'un déclin de la nation dû aux étrangers de l'intérieur comme aux migrants est un argument simple certes mais qui a son histoire et dépasse les positions du FN.

Selon F.Gemenne la France a la palme des écarts entre les représentations et la réalité et précise que dans une enquête récente par exemple, les Français estiment qu'en France les musulmans représenteraient 30 %  de la population alors qu'ils ne sont que 8 % .

Pour permettre à quiconque dans ce climat de sortir de ses peurs, il faut un courage politique capable de penser à l'abri des sondages et de mettre en cause la manière dont nous construisons nos représentations. Ce courage devrait permettre d'envisager d'autres projets car les migrations ne sont pas près de prendre fin si nous continuons à ne pas en appréhender les causes.

François Gemenne précise « Nous sommes dans ce que j’appelle le paradigme de l’immobilité. La classe politique française continue à penser que dans un monde idéal, chacun resterait chez soi et n’éprouverait pas le besoin ni l’envie d’émigrer. Elle n’a pas encore accepté l’idée que la migration était à la fois un phénomène structurel et un droit fondamental, qui traduit aussi, d’une certaine façon, les inégalités du monde – et permet, parfois, de les réduire un peu. Enfin, il y a l’impact de la répétition comme prédiction créatrice : à force de répéter partout que l’immigration est un problème, elle devient un problème ».

 

A suivre ….

 

(1) Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Ahmed Boubeker : Le Grand Repli, Paris, editions la découverte, septembre 2015

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