Migrants : précarité et santé

2014_04_08_ctdse_7_bd

Anticipant le vote de la nouvelle loi sur le séjour des étrangers en France, les règles et les pratiques concernant le séjour des étrangers malades se durcissent à la Préfecture du Doubs.

 

Le droit de séjour en France pour raison de santé est reconnu par l’article L.313-11 11° du CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : « à l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire […] La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l’autorité administrative, après avis du médecin de l’agence régionale de santé. »

 

Depuis plus d’un an, la Préfecture du Doubs, comme de nombreuses autres, poussées par le Ministère de l’Intérieur, testent de nouvelles règles sur le séjour des Étrangers, visant de plus en plus à refuser de délivrer des titres de séjour aux étrangers malades, anticipant ainsi la future loi qui vient d’être soumise en première lecture au vote des députés (juillet 2015). Ces pratiques préfigurent le Nouveau Code de Séjour des Étrangers en France.

 

Durcissement

Depuis les modifications du Code (CESEDA) faites par la loi Besson sur l'immigration du 16 juin 2011, il suffit désormais que le traitement « existe » quelque part dans le pays d’origine de l’étranger pour qu’il soit expulsé, sans que soit examinée la possibilité réelle d'« accès  aux soins » de la personne concernée.

Alors qu’Hollande en 2012 avait promis l’abrogation de cette loi et qu’il n’en a rien fait, les pratiques préfectorales se sont durcies au point que désormais le préfet s'octroie désormais une compétence médicale qu’il n’a pas, bafouant ainsi la compétence du Médecin de l’Agence Régionale de Santé (MARS).

 

Pour justifier qu’il ne suive pas l’avis du MARS, le préfet appuie sa décision sur l’avis du médecin référent de l'Ambassade de France du pays du demandeur ou de la Direction Générale des Étrangers en France (DGEF) créée en 2013 au Ministère de l'Intérieur qui décrivent de façon très générale l'état des soins dans le pays concerné. Ces avis ne sont donc pas circonstanciés puisque les «référents» n’ont pas à connaître la pathologie dont souffre le demandeur, ni les causes qui l’ont amené à fuir son pays, ni les moyens dont il dispose pour se soigner en cas de retour dans le pays. Ils sont du reste souvent remis en cause par des rapports d’organisations internationales ayant elles aussi « enquêté ».

 

Ainsi pour l’Arménie ils évoquent les « capacités locales en matière de soins médicaux  » le fait que «les institutions de santé sont à même de traiter la majorité des maladies courantes, » ou encore que « les ressortissants arméniens sont à même de trouver un traitement adapté à leur état de santé ». Si on évoque la disponibilité du traitement, rien n'y est dit par exemple sur les conditions d'accès (prix des médicaments, accès, lieu de traitement par rapport au lieu de résidence).

 

Quand le Préfet joue au Docteur

Avec de telles indications générales très imprécises, le Préfet se permet de contester l’avis du MARS au sujet d’une pathologie dont il n’a pu avoir connaissance si le secret médical a été respecté. Force est de constater que le Tribunal Administratif n'ayant pas plus de compétence médicale que le Préfet est amené à prendre une décision sans l’aide de l’expertise appropriée et peut confirmer une décision d’expulsion signant l’arrêt de mort de l’étranger malade qui ne pourra se soigner une fois de retour dans son pays.

 

C’est ainsi que, pour sa défense au Tribunal administratif, le demandeur se voit trop souvent contraint de dévoiler lui-même sa pathologie afin d’apporter la preuve de l’impossibilité de soin dans son pays d’origine. Le secret médical est ipso facto sérieusement ébranlé. La Préfecture interrogée à ce sujet justifie cette application systématique de la loi de juin 2011 en termes lapidaires : «  Il y a eu des abus ».

 

De nombreux médecins de l’ARS ont protesté auprès du Ministre de la Santé et de celui de l'Intérieur contre cette nouvelle politique pratiquée par de nombreuses Préfectures, dont celle du Doubs, venant à se substituer aux médecins des ARS. Ils insistent sur de :

« […...] graves dysfonctionnements dans l'application du droit des étrangers atteints de maladies graves […...] .Les éléments que nous avons recueillis [….] démontrent que certaines préfectures vont au delà des procédures réglementaires ajoutant un nouvel élément non prévu par les textes, leur permettant de ne pas tenir compte du MARS. C'est, à notre sens, une atteinte grave aux droits des étrangers, et une menace pour la santé des personnes. Cela illustre également une défiance inacceptable pour le travail effectué par les MARS.

Rappelons que le dispositif a aussi une finalité de protection de la population française, en évitant que ne subsistent dans la clandestinité des malades porteurs de maladies transmissibles non ou mal prises en charge. Cet objectif de sécurité collective nous semble pouvoir être partagé par nos deux ministères. »

 

Désastre humain

Si nous revenons à l’exemple de l’Arménie évoqué plus haut : une Arménienne arrivée en France en 2011 a vu son état de santé se dégrader rapidement suite au stress qu’elle venait de subir dans son pays d’origine. Elle avait obtenu en 2012 un premier titre de séjour étranger malade renouvelé en 2013 mais qui lui a été refusé en 2014, malgré l’avis positif du MARS. Elle a ainsi reçu une OQTF et perdu l'Allocation d’Adulte Handicapée (AAH) obtenue. Ne pouvant plus payer son loyer, elle et son mari qui n'a pas le droit de travailler, quittent leur appartement et commencent une vie d'errance en continuant à se battre.

 

Le Tribunal Administratif rejette le recours et confirme l'OQTF puis la Cour Administrative d’Appel de Nancy confirme le 24 juillet 2015 le jugement du Tribunal Administratif de Besançon. Parmi les considérants du jugement l'un d'eux soutient avec cynisme une absurdité toute administrative :

«  Si Mme X produit 2 certificats médicaux […..] qui mentionnent que son état de santé contre-indique tout déplacement, ces certificats n’établissent pas qu’elle ne peut voyager sans risque vers son pays d’origine .» 

 

Afin de prévenir la Préfecture qu’une expulsion en Arménie lui serait fatale, un certificat médical précis a été remis à la préfecture en février 2015 et se termine ainsi :

«  L’ensemble de ces pathologies entraîne un état de santé précaire, nécessitant des soins réguliers et une surveillance rapprochée. Une intervention chirurgicale est envisagée dans les mois à venir sous réserve d’un équilibre tensionnel. Son état de santé ne lui permet pas de faire des déplacements ».

 

Médicalement inexpulsable, cette femme ne sera pas pour autant régularisée par la Préfecture. Tout d'abord en situation régulière elle devenue graduellement, par la volonté de la Préfecture et du Ministre de l’Intérieur, «Sans papiers » et sans droits  « parce qu’il y a eu des abus », comme si les médecins de l’ARS délivraient des avis à la légère.

 

En matière d’expulsion, l’État ne s’encombre plus de ses propres règles de droit. Plusieurs étrangers malades ont été présentés à l’avion alors que le médecin de l'ARS était encore en train d’examiner leur dossier. De fait les associations comme la Cimade s'inquiètent du durcissement de la réforme du droit de séjour des étrangers en particulier en direction des étrangers malades et craignent surtout le transfert de l’évaluation médicale de l’ARS à l’Office français de l’immigration et l’intégration (OFII) qui dépend du Ministère de l’Intérieur. Ce « glissement » de compétence de l’ARS vers l’OFII laisse craindre une dégradation du niveau de protection des étrangers malades.

 

Étanchéité des compétences et protection sanitaire

L’Observatoire du Droit à la Santé des étrangers (ODSE) a dénoncé cette pratique dans la mesure où elle traduit une ingérence inadmissible des préfets dans une appréciation pourtant réservée au médecin de l’ARS et, dans certains cas, au mépris du secret médical. Francis REMARK, Médecin psychiatre en Dordogne écrivait un article de la LDH en 2013 : Situation des étrangers relevant du droit de séjour en France pour raison de santé 

 

« soigner les exilés qui ont subi, dans leurs pays, des violences qui les ont fait venir se réfugier en France, c'est oeuvrer pour restaurer l'humanité qu'il y a en eux et qui a été plus ou moins cassée, mais c'est aussi oeuvrer pour que l'humanité se décide à identifier, et à se protéger de « l'inhumain de l'humain ». Le choix thérapeutique est de soutenir le travail de soin pour que les patients puissent se vivre comme ayant été victimes et quittent leur identité de victimes »

 

L'OSCE formulait en 2013 quelques recommandations (annexe 2) parmi lesquelles :

« La garantie d’une étanchéité réelle entre la compétence du ministère de la Santé et celle du ministère de l’Intérieur, articulée avec une double référence hiérarchique distincte, sans interférence du ministère de l’Intérieur (des préoccupations liées à la police des étrangers) dans les décisions d’ordre strictement médical, ce qui suppose : La suppression du poste de conseiller médical au Ministère de l'Intérieur ».

 

L’infléchissement actuel de la politique d’immigration pour les étrangers malades anticipant la loi en cours risque en fait d'être contre-productive car dangereuse tant pour la santé individuelle que pour la santé publique. Si renvoyer des personnes malades vers des pays n'offrant aucune garantie d'accès aux soins met leur vie en danger, cette loi induit également d'autres effets pervers sans cesse dénoncés :

 

- Elle fait aussi courir un risque à la population dans son ensemble. En privant les personnes de leur titre de séjour, on les pousse à la clandestinité et on les éloigne de la prévention et du soin. Or dans le cas de maladies infectieuses comme le VIH ou les hépatites, les interruptions de traitements favorisent la transmission du virus et l'apparition de souches virales résistantes.

 

- Elle est enfin un non-sens sur le plan économique : en précarisant les personnes et en limitant leur accès à un suivi médical de qualité, les prises en charge tardives et les hospitalisations d'urgence vont se multiplier. Avec pour conséquence un surcoût considérable pour le système de santé. Dans le même temps, en leur refusant l'accès au séjour et au travail, on limite leur apport potentiel à l'économie du pays ; la précarité prolongée les acheminant par ailleurs vers la maladie a plus ou moins long terme.

 

A  lire pour prolonger

Le Titre de séjour "Étranger malade" ( Collectif Toulousain pour le Droit à la Santé des Etrangers 16 avril 2014)

Les personnes étrangères malades et leurs proches ont le droit de vivre dignement en France (ODSE janvier 2015)

 

 

Laisser un commentaire