Ludovic Fagaut : de la critique de l’extrême gauche à une accointance avec la droite ultra ?

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Voilà près d’un mois que les élections municipales sont relancées, où localement trois candidats restent à départager. Tous tentent de se poser en sauveurs de la ville, tant en solidifiant leur électorat de base qu’en attaquant les concurrents. Pour Ludovic Fagaut de la liste « Besançon maintenant », cette stratégie semble poussée au paroxysme. Avec comme cible privilégiée Anne Vignot, la principale prétendante à la fonction. Lors de débats télévisés, au cours d’interviews, ou dans les communiqués, une étiquette s’impose presque frénétiquement pour tenter de la décrédibiliser.

Par l’alliance entre écologistes, communistes, et socialistes, la chef de file de « Besançon par nature » se trouve ainsi taxée d’être une adepte de « l’extrême gauche. » Derrière ce poncif discutable, une rhétorique maccarthyste éculée dont le pendant hexagonal avait été l’invasion de chars soviétiques à Paris. Mais, et alors que le ténor du parti « les Républicains » se targue d’être loin de toute radicalité et balaie d’éventuelles sympathies pour le « Rassemblement national », cet argument pourrait se retourner contre lui et ses colistiers.

« Ne pas laisser détruire les bases de notre famille »

Dans les soutiens de Ludovic Fagaut, quelques cadres sont passés par ce qui était encore « l’UMP » jusqu’en 2015. Lors du projet législatif instaurant le « mariage pour tous », un mouvement d’opposition principalement marqué à droite s’était constitué. À Besançon, une manifestation a même eu lieu en février 2013, réunissant cinq-cent personnes dont des notables. On y retrouvait par exemple Marie-Laure Dalphin (alors plusieurs fois candidate à des scrutins locaux) et Michel Viennet (secrétaire départemental depuis 2010), respectivement en 28e et 37e place de sa liste.

Il faut dire que la section du Doubs avait appelé ses adhérents à se mobiliser, c’est pourquoi des maires, adjoints, conseillers généraux et régionaux, sont venus de toute la région pour l’occasion. Le meneur de « Besançon maintenant », qui n’a jamais caché être un fervent catholique, n’a d’ailleurs pas plus hésité à faire tourner un courrier interne fin 2012. Les mots, tranchés, imploraient « de ne pas laisser détruire les bases de notre famille et de notre société. » Plusieurs publications, la même année sur Twitter, illustrent d’ailleurs son objection « au mariage homo. »

Comme la majorité de leur camps, les parlementaires Jacques Grosperrin — aujourd’hui en 55e place — et Annie Genevard — qui apparaît en appui — ont toujours assumé l’un comme l’autre leurs désaccords avec l’idée du mariage pour tous. D’autres choix étaient pourtant possibles, comme celui de leurs collègues Luc Chatel et Benoist Apparu qui avaient voté en faveur de cette loi dite Taubira. Mais l’hostilité, bien qu’alors parfois jugée « rétrograde » et déjà rejetée par l’opinion, reste audible. Là où le bât blesse y compris dans la capitale comtoise, c’est par la présence de franges néo-fascistes dans l’ensemble.

Le « Front comtois » et les « Jeunesses nationalistes » étaient ainsi à la manœuvre, annonçant publiquement sur leurs sites et les réseaux sociaux leur engagement contre « le lobby des pédérastes et le mariage sodomite. » Depuis disparue suite à de multiples condamnations et une dissolution ministérielle, la présence de ces groupuscules fut en effet observée pendant le défilé du 2 février 2013.

Il apparaît encore difficile d’affirmer tout ignorer de cette « connivence », car outre son look rangers et bombers spécifique, la bande litigieuse a pu dégainer « des fumigènes tricolores », exhiber son emblème à l’aigle, et « scander des slogans. » Le tout « sans la moindre réaction », d’après nombre d’observateurs et les concernés eux-mêmes. Aucune voix ne s’est d’ailleurs élevée a posteriori, pour expliquer ou dénoncer cette réalité. Si les chroniqueurs n’avaient pas marqué qui que ce soit d’une faute, démonstration est faite que crier au scandale par contamination est aisé.

Manif derrière une banderole « invasion des gens du voyage ça suffit »

Une seconde polémique du même acabit est soulignée, plus directe et sensible. Le 4 août 2015, le maire « les Républicains » de Thise, Alain Loriguet, s’indigne après avoir été victime de ce qu’il estime être une « agression. » Alors que l’aire d’accueil de sa commune est à la fois spartiate et insécurisée, une communauté itinérante tente de s’installer sur un terrain agricole annexe. S’interposant en utilisant son véhicule, l’édile aurait été « insulté et bousculé » selon ses dires. Réunissant en urgence son conseil municipal, il décide d’organiser une « marche » dans la soirée.

Élus de droite, du centre, et de gauche, se sont retrouvés, incluant le sénateur Jacques Grosperrin et le responsable UDI Philippe Gonon qui s’est uni avec Fagaut au second tour. Tous ont fait quelques mètres, avec en main une banderole titrant « invasion des gens du voyage ça suffit. » Une phrase jugée raciste pour une multitude d’associations, « pénalement répréhensible » d’après certains et renvoyée à de la « propagande haineuse digne du FN » selon d’autres, provoquant des débats et un rassemblement. « Les Républicains » n’avaient quant à eux pas émis de doutes ou de regrets…

Difficile de dire comment le candidat s’inscrit. Aussi discret sur ses alliances, il était « derrière Sarkozy » en 2012, proche de « la droite forte » en 2014, puis de François Fillon fin 2016. Ce qui ne l’empêche pas de fréquenter, lors de déplacements ou de meetings, d’autres figures, avec lesquels il prend volontiers la pause ; ce fut le cas des députés Éric Ciotti et François-Xavier Bellamy, ainsi que des présidents du parti Jean-François Copé et Laurent Wauquiez. Des personnalités certes incontournables, mais aussi citées comme les poids lourds d’une ligne « dure. »

Les dérapages s’exercent aussi en version 2.0.

Le programme sécuritaire, mis en avant à travers des réactions récurrentes sur l’actualité et les faits divers, est l’une des questions centrales du moment. Doublement et armement de la police municipale, poursuite du déploiement de la vidéosurveillance, création d’une brigade « anti-fraude » dans les transports, reprise en main du vagabondage et de la mendicité, se mêlent à la défense des petits commerces et des grandes entreprises, ainsi qu’au rejet d’une vision décliniste de cité moribonde… tout en assumant la suppression du salon « les Mots Doubs » en 2016.

Un thème qui est repris sur les réseaux sociaux, en premier lieu par les soutiens de Ludovic Fagaut. Mais il y’a davantage. En farfouillant, on trouve quelques surprises lorgnant clairement sur des travers peu glorieux. À l’image de Laurence Mulot (4e sur la liste) qui conserve des archives de 2015, par mis lesquelles un premier partage d’une publication du site « Boulevard Voltaire », un second de la page « Macron dégage » tenue par la mouvance identitaire, ou encore un troisième dénonçant l’accueil de réfugiés syriens qui se ferait au détriment des SDF « français. »

Thierry Petament (11e), par ailleurs poursuivi pour outrage et dénonciation calomnieuse, reprenant du « Fdesouche » en mars, n'est pas en reste. Plus loin sur cette ligne, Jean-Philippe Allenbach du « mouvement Franche-Comté », qui a annoncé rejoindre l’équipe Fagaut ; sur la devanture de son local, celui-ci avait affiché leur rivale commune Anne Vignot, genou à terre en hommage à Georges Floyd, assimilant ce geste à celui du serment de la milice.

Colistier de la dissidente LREM Alexandra Cordier, un patron de bar voisin s’est empressé d’emboîter le pas à sa mentor ralliant « Besançon Maintenant. » Celui-ci, ancien policier, a entre-temps publié un cliché volé de l’écologiste pris lors d’une manifestation contre les dérives sécuritaires, la qualifiant de « fléau » et éructant sa détestation des mouvements sociaux. Alors qu’il avait été contacté le 11 décembre 2019 par Factuel.info au sujet de ratonnades perpétrées par des clients de son bar, le patron n’avait à aucun moment réprouvé ces actes graves. Chacun ses causes.

Une rhétorique clé en main

Côté numérique toujours, il est intéressant de retracer les prises de position passées du candidat. Si peu de problèmes de cohérence sont à relever, on constate que les frasques allouées à Anne Vignot sont loin d’être inédites. Ainsi, aux côtés de Jacques Grosperrin lors des législatives de 2012, il multiplie les piques à l’encontre d’un certain Éric Alauzet qu’il retrouvera en 2020. Sur Twitter, il dit se dresser face à « une écologie de bureau et sectaire », l’affuble d’être « un catalogue CAMIF », et enjoint de « ne pas laisser les syndicats ecrirent [sic] le programme de l’Éducation Nationale. »

Il fustige en 2016 un « déni de réalité de la majorité socialiste-écologiste-communiste », citant déjà lors des élections de 2014 « l’entente sur les sièges au détriment des bisontins. » Au plan national, il dénonce en 2012 : « depuis l’arrivée de François Hollande à la présidence le sentiment de sécurité devait être rétabli, c’est plutôt l’escalade qui s’intensifie. » Et use peu après d’un parallèle hasardeux sur la loi de réquisition de 2013 : « logement vacant. Madame Duflot est pour la délation ! Je suis heureux que mes grands-parents ne vous aient pas rencontré en temps de guerre. »

Concernant la formation Lepeniste, la tête de liste déclare en 2012 que « le Front national est un parti politique. Nous devons respecter les 18 % de votants. À nous UMP d’apporter des solutions aux problèmes. » Puis, précisant à ce sujet, en 2013, que tout en refusant ententes ou charmes, « qu’aucun parti n’est propriétaire de ses voix et encore moins de thématiques ! » Nouvellement conseiller municipal et communautaire d’opposition en 2014 puis départemental du canton de Besançon-5 en 2015, la prose va progressivement s’aseptiser au fil des portefeuilles.

Mais les mots et phrases repris, ici un simple échantillon tant ils ont été la règle, témoignent d’un vocable belliqueux rôdé depuis des années. Déployé à l’envi afin de pourfendre n’importe lequel de ses belligérants, téméraire ou plus timoré, les incriminations de laxisme, de dogmatisme, ou d’intolérance, ne cessent de pleuvoir, avec pour seul motif apparent le tord d’être discordant. Longuement sollicités et relancés par nos soins depuis samedi dernier sur les charges développées dans cet article, ni Ludovic Fagaut ni son équipe n’ont répondu à nos interrogations.

Qu’Anne Vignot et sa liste « Besançon par nature » soient critiqués et combattus par ses détracteurs dans un cadre « démocratique » même véhément, quoi de plus normal. La vision du monde de chacun conduit nécessairement à ce que l’autre soit perçu comme allant « trop loin », selon ses propres critères évidemment proclamés comme les seuls justes et pragmatiques. Mais s’employer à mettre un challenger hors-jeu par une appellation voulue infamante et ne reposant sur rien d’autre que des éléments de langage, c’est adopter une stratégie assez contestable.

Celle-ci est d’autant plus indigne, que l’émetteur peut se voir reprocher ce qu’il feint dénoncer. Apports et relations lors de la manif’ pour tous, affaire de la banderole discriminatoire envers les gens du voyage, diffusion de plateformes xénophobes, amalgames et silences scandaleux… tout cela fait-il de Ludovic Fagaut et de ses ouailles des disciples d’extrême droite ? Il vaut mieux laisser les proclamations attendues et pensées pour la vindicte populaire aux seuls intéressés. Mais en se figurant procureur en sorcellerie, le jeune quarantenaire devrait songer qu’à force il risque de se placer lui-même sur le bûcher.

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