Laye, Yaya, Sékou et les autres

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Laye a été régularisé, c'est un succès dont on ne peut que se réjouir même s'il ne touche pour l'instant qu'une personne. Maintenant la bataille se poursuit sur tout le territoire pour faire évoluer la loi. Que retenir au delà de ce dur constat soulignant qu'il faut qu'un artisan mette sa vie en danger pour qu'apparaisse au grand jour un gaspillage humain et social résultant de choix politiques  inconséquents ? Et que faire ?

D'abord une rencontre

Un boulanger tient à former des apprentis aptes à pétrir un pain de qualité et désireux de défendre un métier risquant sinon de disparaître au profit de la boulangerie industrielle. Par manque de candidats français il a recours à un apprenti étranger donnant toute satisfaction qui se voit soudainement menacé d'expulsion. Cette situation montre comment l'État peut participer à la fois, de façon croisée et incohérente à la casse d'un métier pour des raisons idéologiques et ce faisant participe à la casse de projets d'intégration de jeunes étrangers ayant fui leur pays.

C'est dans ce double combat que se sont lancés Stéphane Ravaclay et Laye Fodé Traoré à partir d'une pétition en ligne qui a reçu près de 230 000 signatures et qu'ils comptent visiblement poursuivre tant dans le travail que dans le soutien à des jeunes mineurs/majeurs étrangers dans la même situation. Merci à eux.

Comprendre la politique migratoire actuelle ?

Au delà de quelques communiqués locaux (Solmiré, Mrap, Cgt de l'Addsea), on ne peut qu'apprécier que la Maire de Besançon ait envoyé très tôt un courrier circonstancié au Ministre de l'Intérieur, demandant un changement de politique migratoire vu l'absurdité administrative en cause, (de nombreux autres maires signeront la Tribune de l'Obs). En effet comment des papiers qui n'avaient aucune importance lors de la prise en charge obligatoire par le département de ce jeune quand il était mineur, réapparaissent ils soudain à sa majorité et sont ils déclarés « non authentiques » dans le seul but de pouvoir l'expulser alors qu'entre temps il a reçu une formation lui laissant croire à une possibilité d'intégration et qu'aucun candidat français n'était pressenti? Il s'agit clairement de maltraitance administrative organisée autour d'un mensonge face à la volonté d'intégration de jeunes qui jouent le jeu à fond.

Cette histoire est en fait caractéristique de ce qui arrive à des milliers de jeunes mineurs isolés étrangers placés à l’aide sociale à l’enfance puis menacés d'expulsion à leur majorité et dont la régularisation reste à l'ordre du jour. Quel est le sens politique de ce profond gâchis tant humain que social ?

Il ne s'agit pas d'un cas isolé

Comme le souligne le syndicat des avocats de France dans un communiqué signé entre autres par deux avocates bisontines qui se battent sur ce sujet :

« Contrairement à ce qu’a déclaré Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, le 8 janvier 2021, la situation de ce jeune apprenti n’est pas « un cas particulier  ». La ministre prenait soin d’ajouter que la logique pour les mineurs non accompagnés, s’engageant dans des formations, est qu’ils puissent au bout de deux ans, continuer à travailler en France si tout s’est bien passé. Malheureusement, la logique ne correspond pas toujours à la réalité !

Nos organisations constatent quotidiennement que de nombreux jeunes étrangers inscrits dans une formation professionnelle diplômante (CFA, Bac Pro) dans des domaines en déficit de main d’œuvre (boulanger, boucher, maçon, mécanicien…) sont stoppés dans leur parcours d’insertion professionnelle en raison de la contestation de leur identité, au mépris des décisions rendues par les autorités judiciaires, sur la base de rapports effectués sans grande rigueur. »

La note de la PAF

L'argumentation de la Préfecture et de l’État sur la contestation d'identité a été construite effectivement à partir d'une Note de la PAF (police de l'air et des frontières) de déc 2017 appelée « Fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil » qui recommande de ne pas analyser les papiers des Guinéens, déclarés  globalement faux et de donner un avis défavorable systématique sur leur authenticité. Elle précise même que cet avis peut être formulé de la manière suivante :

« Au regard des informations sérieuses émanant du Service de Sécurité Intérieure (SSI) de l’ambassade de France en République de Guinée (Conakry) faisant état d’une fraude généralisée au niveau de l’état civil de ce pays tant au niveau des administrations et que des tribunaux, il n’est pas possible de formuler un quelconque avis relatif à l’authenticité du document soumis à analyse. Un avis défavorable est donc émis ».

Si pour émettre un avis sur un document il faut l'analyser, comment  peut on affirmer qu'aucun avis ne peut être formulé tout en en formulant un, bien évidemment négatif ? Comment une telle note peut elle avoir force de loi ?

La Préfecture de Haute Saône a finalement régularisé Laye Fodé Traoré au vu de son parcours dont elle semble avoir soudain pris conscience, et de papiers reconnus soudain authentiques par l'Ambassade de Guinée en France, la note de la PAF ayant alors été vite oubliée. La diplomatie a bien des vertus magiques.

En régularisant Laye, la Préfecture a fait usage de son pouvoir discrétionnaire et ainsi évité d'éventuelles décisions du Tribunal Administratif pouvant lui être défavorables et qui auraient pu faire jurisprudence. Grâce au fait du Prince, la République devient généreuse en avançant une étude au cas par cas de ces jeunes dont l'origine est surtout la médiatisation rapide de l'affaire.

Régularisation des migrants et migrantes en apprentissage

Ceci dit qu'en est il des autres jeunes dans la même situation. La Cour des Comptes a rédigé un Rapport en référé adressé au Premier ministre concernant la politique d’accueil des Mineurs Non Accompagnés. Ce rapport, daté d’octobre et décembre, fait un bilan extrêmement critique de l’action de l’État et des différences de traitement des jeunes mineurs par les départements en dressant «  un panorama critique de leur prise en charge, éloignée des objectifs attachés à la protection des enfants », souligne que « les conditions d’évaluation de la minorité et d’isolement s’avèrent très hétérogènes selon les territoires » et soulève « la question de l’égalité d’accès au droit »

Le Premier Ministre a voulu ensuite rassurer la Cour des Comptes en ne proposant que des expertises et études de faisabilité complémentaires ! La solidarité va donc encore traîner.

Pendant ce temps là, partout en France, d'autres cas semblables à celui de Laye apparaissent : à Besançon celui de Yaya, apprenti électricien qui attend la décision du Tribunal administratif mais aussi ailleurs en France, celui de Sékou en Normandie à Argentan, dans la même situation et soutenu par son patron restaurateur, ou ceux d'Ibrahima à Dijon ou d'Amadou apprenti électricien à Courseulles sur Mer dans le Calvados qui vient d'obtenir également un titre de séjour. Les États Généraux des Migrations (EGM) vont tenter de faire l'inventaire de ces cas grâce à leurs assemblées locales.

Stéphane le patron boulanger bisontin reste quant à lui déterminé. Il a créé « Patrons solidaires » sur Internet pour convaincre d'autres artisans et employeurs à défendre leurs apprentis menacés d'expulsions à leur majorité et pour collecter des témoignages de commerçants et artisans qui forment actuellement un apprenti d’origine étrangère. Il souhaite ainsi agir pour que les migrants mineurs en formation puissent aller au bout de leurs études, même après 18 ans et puissent être régularisés.

Désormais il faut selon la proposition de la LDH que « tous les mineurs engagés dans un parcours de formation initiale ou d’apprentissage, qu’ils aient été ou non pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, bénéficient d’un titre de séjour au moment de leur majorité. ». La mobilisation continue car la loi doit effectivement changer. En effet les 17 jeunes majeurs guinéens mis à la rue fin août 2020 à Besançon ont tous perdu leur contrat d'apprentissage et la majorité d'entre eux a été déboutée de leur recours au Tribunal Administratif.

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