L’asile, les chiffres et l’opinion

Source : http://aespriforum2013.overblog.com/mercredi

Le nombre de demandeurs d'asile a diminué en France. Cela changera-t-il quelque chose au discours idéologique ambiant ? La réforme du droit d'asile qui s'annonce semble très restrictive alors que le problème migratoire est ailleurs. Durcie par le Sénat, cette réforme devient plutôt criminalisante  et se trompe de cible. Réforme nécessaire ou idéologique ?

Reflet de la stigmatisation croissante des migrants que le discours politique assimile à des fraudeurs que l'inhumanité de notre système découragera ? Affirmation du droit d'asile comme une des fiertés de la France maintenant toutefois en 2014 les deux tiers des demandeurs d'asile à la rue  ? ...

Que nous apprennent justement les rapports 2014 d'Eurostat, l’Office statistique de l’Union européenne, ou de l'OFPRA, Office français de protection des réfugiés et apatrides, à ce sujet ?

 

Eurostat souligne :

« En un an, le nombre de demandeurs d'asile enregistrés dans l’UE a augmenté de 191 000 personnes (+ 44%) pour atteindre le nombre record de 626 000 demandeurs en 2014. En particulier, le nombre de Syriens a augmenté de 72 000 personnes, passant de 50 000 demandeurs en 2013 à près de 123 000 en 2014.

En 2014, le plus grand nombre de demandeurs d’asile a de loin été enregistré en Allemagne (202 700 demandeurs, soit 32 % de l’ensemble), suivie de la Suède (81 200, soit 13 %), de l’Italie (64 600, soit 10 %), de la France (62 800, soit 10 %) et de la Hongrie (42 800, soit 7 %). Il convient d’observer que ces cinq États membres ont connu des tendances différentes l’année dernière. Le nombre de demandeurs d’asile en 2014 a plus que doublé par rapport à 2013 en Italie (+ 143 %) ainsi qu’en Hongrie (+ 126 %) et a augmenté significativement en Allemagne (+ 60 %) et en Suède (+ 50 %), alors qu’en France, il a diminué de 5 %.

En proportion de la population de chaque État membre, les taux les plus élevés de demandeurs ont été enregistrés en Suède (8,4 demandeurs d’asile pour 1 000 habitants), bien devant la Hongrie (4,3), l’Autriche (3,3), Malte (3,2), le Danemark (2,6) et l’Allemagne (2,5). À l’opposé, les taux les plus faibles ont été observés au Portugal, en Slovaquie et en Roumanie. En 2014, on dénombrait 1,2 demandeur d’asile par millier d’habitants dans l’UE. »

La France pour sa part est à 1,0 pour 1000, soit en dessous de la moyenne européenne .

 

L'OFPRA fait le même constat :

« En termes de comparaison européenne, la situation de la demande d’asile en France contraste fortement avec celle observée chez ses principaux partenaires européens. En 2014, la France se situe au 4èmerang des pays d’accueil des demandeurs d’asile en Europe derrière l’Allemagne, l’Italie et la Suède. Parmi les principaux pays européens seule la France voit la demande d’asile enregistrer une baisse. Elle est en augmentation dans la majorité des États et parfois de manière spectaculaire, ainsi la demande d’asile enregistrée en Italie passe de 28000 demandes en 2013 à 170 000 en 2014. Pour l’Allemagne, la hausse observée est de 58%, comme aux Pays-Bas, de 50% en Suède et de 10% en Belgique et en Suisse. » (voir 1-1 L 'évolution de la demande)

Les principaux demandeurs d'asile en France viennent de la République démocratique du Congo, de Russie et du Bangladesh.

 

Baisse également en Franche comté :

l'OFPRA nous apprend également que la demande d'asile a baissé de -22 % en Franche-Comté et de -27 % dans le Doubs par rapport à 2013 (voir annexes 10-11).

 

Qu'en est-il de l'accueil des Syriens ?

À propos des Syriens, M. Valls précise également que « la France a fait déjà beaucoup, avec l'accueil de  5 000 réfugiés syriens et 4 500 irakiens depuis 2012 ». En arrondissant sur plusieurs années et en s'appuyant sur deux nationalités, Manuel Valls joue sur l'accumulation pour grossir les données alors qu'en fait  la France n'a accueilli que 2 000 Syriens en 2014 selon l'OFPRA, et que pour Eurostat, « avec 66 300 décisions de première instance accordant un statut de réfugié protégé (soit 41 % de toutes les décisions positives de première instance), les Syriens ont été les principaux récipiendaires dans l’UE, en 2014 ».  Avec 2 000 Syriens accueillis en France sur 66 300 décisions positives en Europe, la générosité de la France n'est donc que relative.

 

Faits ou représentations ?

Ces chiffres publiés par EUROSTAT et l'OFPRA peuvent-ils aider à déconstruire les représentations réductrices martelées constamment ?

S'il y a eu en France une baisse de 5 % du nombre des demandeurs et que l'on cherche encore à durcir la réforme du droit d'asile, alors qu'il a augmenté dans le reste de l'Europe, cela veut-il dire qu'on souhaite encore le réduire ? On comprend mieux pourquoi M. Valls est contre les quotas proposés par l'UE. Pour préciser sa pensée, il a ajouté qu'aujourd'hui  « la France, l'Italie, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède accueillaient 75 % des réfugiés, des demandeurs d'asile en Europe »... sans préciser que notre pays était bon dernier, et de loin, dans cette liste.

Si la Méditerranée offre une fin tragique à la fuite désespérée de nombreux migrants venant d'Afrique, M. Valls voudrait-il nous faire croire que les survivants de Lampedusa ne sont qu'un problème italien ? De quelle « répartition équitable » parle-t-il à cette occasion ?

En fait, la demande d'asile ne représente qu'une partie infime des migrations et c'est sous le poids des difficultés économiques et même climatiques que le droit d'asile devra évoluer. Durcir le droit d'asile en France correspond actuellement à le vider de sa substance sans résoudre le problème migratoire pour autant. En effet, on oublie par ailleurs que les sommes que les migrants envoient dans leur pays à leurs proches sont trois fois supérieures à l'aide publique au développement dans le monde, soit 435 milliards en 2014 selon la Banque mondiale.

 

Et l'opinion publique ?

Sur ce sujet comme sur d'autres nos gouvernants se réfèrent abondamment à l'opinion publique. Force est de constater qu'elle leur fournit un partenaire idéal pour créer artificiellement un consensus autour de leur action en cours. Comme le soutenait Pierre Bourdieu, ce partenaire n'existe pas;  il est fabriqué de toute pièce à partir d'une expression quantitative disparate par un discours politique trop souvent relayé par les médias sans éclairage critique.

Les chiffres de 2014 viennent porter une contradiction au discours ambiant qui voudrait que la France soit envahie pour un nombre croissant de migrants, justifiant ainsi toute prise de position politique se rapprochant dangereusement de la stigmatisation xénophobe et raciste.

 

Commentaires

  • Danièle Secrétant

    Difficile de commenter votre

    Difficile de commenter votre article ! Les chiffres n'éclairent que ceux qui vivent dans un monde de chiffres. Et encore ! Les chiffres peuvent être soumis à caution.

    Derrière cette qestion, des enfants, des femmes et des hommes. De la souffrance. Qui mieux que vous le sait ! Des problèmes politiques, économiques et sociaux non réglés. Une inaptitude de notre pays à intégrer les nouveaux arrivants, et la crainte, parfois légitime, que soient "importés" des modes d'être et de faire incompatibles avec les nôtres. L'argument des chiffres ne peut pas être convainqant, il est toutefois bien de l'avancer. C'est un élément du débat. Ce n'est qu'un élément du débat.

    Ne faudrait-il pas définir, re-définir nos fondamentaux ? Qui sommes nous ? Un pays laïque, par exemple. Qu'est-ce que ça veut dire, que la laïcité ?

    Un pays accueillant, par exemple. Qu'est-ce qu'accueillir ? Sous quelles conditions ? De quels moyens disposons-nous ? Les camps sur les trottoirs, les bidonvilles…

    Un pays dans lequel les femmes ont des droits. Il m'est arrivé, dans mon ancien métier, d'avoir à cotoyer des réfugiés de l'ex- Yougoslavie. Même en tenant compte de ce qu'ils avaient vécu, pas facile, pas facile !

    Alors, les chiffres …


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