L’art de l’indignation à géométrie variable

Depuis plusieurs semaines voire mois, des député.es, des ministres, des candidat.es LREM ou leurs soutiens sont la cible des manifestant.es et opposant.es du gouvernement Macron-Philippe. Tags sur les permanences, déplacements chahutés, vœux perturbés ; les soutiens locaux de la LREM comme Eric Alauzet ou Alexandra Cordier (ex référente en marche du Doubs) n'y échappent pas.

M. Alauzet, hurle à la tyrannie (rien que ça), Mme Vignot et M. Bodin, à la tête de la liste des sortants, condamnent en cœur ces agissements et en appellent à « la bonne tenue des débats démocratiques et républicains ».

Si, en effet, on peut regretter ces formes d’expression populaire qui débordent, on ne peut que dénoncer l’absence d’une même indignation de la part de cette même équipe sortante, pour les violences que subissent nos camarades depuis plus d’un an. Entendre M. Nuñez, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur, accompagné de Messieurs Fousseret et Alauzet, déclarer lors de sa visite à Planoise, que les violences policières « ne sont absolument pas une réalité » est insupportable. Combien d’images ou vidéos faudra-t-il ? Combien de vies brisées faudra-t-il ?

Si personne ne peut effectivement se satisfaire de voir un député 100% candidat à la municipalité être suivi dans les rues bisontines, personne ne devrait, non plus, se satisfaire du climat de tension et de violence étatique qui règne dans notre pays. Alors, au-delà des discours moralisateurs, sous couvert d'unité et de bienséance républicaine, il est important de prendre du recul sur ces situations et de comprendre ce qu'il se passe dans notre pays.

Novembre 2018, le début d’un soulèvement populaire

Usés par plus de 30 ans de politiques libérales menées inlassablement par les différents gouvernements de droite ou dit de gauche, qui se sont succédés, nos concitoyen.nes sont à bout de souffle, à bout de ce qu’ils peuvent encore supporter. La taxe carbone aura été la mesure qui a mis le feu aux poudres, il y a un peu plus d’un an. Certain.es ont voulu caricaturé le mouvement des gilets jaunes comme un mouvement anti-impôt, ils seraient temps qu’ils se rendent à l’évidence ! Nos concitoyen.nes mobilisé.es depuis plus de 438 jours le sont pour défendre une société plus juste. Ils le sont car ils en ont assez de trimer pour des salaires de misère pendant qu’une infime minorité se gave sur leur dos. La France n’a jamais été aussi riche de son histoire, la France est championne d’Europe de distribution de dividendes avec un nouveau record en 2019 de 51 milliards d’euros, deuxième au niveau mondial derrière les USA, la part des dividendes dans le PIB a été multipliée par 3 depuis les années 80. Entre 2011 et 2017, les salaires moyens dans les pays du G7 ont augmenté de 3 %, alors que les dividendes des riches actionnaires ont bondi de 31 % (rapport Oxfam). On assiste à un véritable hold-up des actionnaires !

Et pourtant dans le même temps, les inégalités et les taux de pauvreté augmentent. Plus de 9,3 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté en France, avec un taux de pauvreté de près de 15% en 2018, la plus forte augmentation depuis 8 ans entre 2017 et 2018 (source INSEE). Si quelqu’un avait pu économiser l’équivalent de 8 000 euros par jour depuis la prise de la Bastille (14 juillet 1789), il n’arriverait aujourd’hui qu’à 1 % de la fortune de Bernard Arnault (rapport OXFAM 2020). On pourrait continuer à égrainer longtemps les indicateurs qui confirment cet état de fait et cette misère sociale qui tue nos concitoyen.nes.

C’est donc bien contre cette société toujours plus inégalitaire et contre les politiques menées par l’équipe Macron qui renforcent cette situation, que se battent les gilets jaunes.

Ils se battent aussi pour dénoncer ces politiques écologiques punitives. L’écologie ne peut être que populaire, c’est-à-dire associer toute la population en repensant globalement nos systèmes de production et de consommation. Pour les plus optimistes, 2031 serait le point de non-retour et de basculement vers l’effondrement ; pour les plus pessimistes, il resterait moins de 18 mois pour changer la donne. Quel que soit le scénario, l’urgence est là. Et pourtant le gouvernement en est encore à prendre des mesures, par exemple, d’interdiction du plastique jetable pour 2040 ! Quelle irresponsabilité !

A Besançon, l’équipe Vignot propose, par exemple, la gratuité des transports publics pour les moins de 26 ans. Une mesure inefficace sur le plan écologique puisqu’elle vise une population déjà très utilisatrice des transports en commun, le report modal serait donc nul. Elle propose également la gratuité pour tou.tes, mais juste le samedi ! La gratuité pour quoi faire ? Pour aller consommer ? Il faut dire que M. Bodin, deuxième de liste, dans la droite ligne du PS, est là pour veiller au grain de l’austérité budgétaire ! Il déclarait dans la presse bisontine de ce mois-ci, à propos de la liste Besançon par nature : « On leur rappelle certaines réalités. Dans la période actuelle de restriction budgétaire, on explique que telle décision impose tel choix ». Nicolas Bodin, une sorte de gardien du temple de l’austérité. Deux phrases qui en disent long sur le sens et les modalités des choix politiques faits par cette équipe sortante : le financier détermine le choix politique. On n’est pas loin du fameux TINA « There is no alternative » de Thatcher, dogme qui justifie le détricotage de nos systèmes de solidarité et de nos biens communs, sous couvert de restriction budgétaire. Bas les masques ! 

Un régime autoritaire s’installe

Depuis plus de 438 jours donc, les gilets jaunes hurlent leur détresse. Le mouvement social contre la réforme des retraites est le plus long depuis 1968 avec plus de 60 jours de grève. Cheminots, égoutiers, pompiers, personnels soignants avec notamment la démission administrative de plus de 1200 chefs de services, enseignants, musiciens et danseurs de l’Opéra de Paris, avocats… les actions se multiplient dans toutes les professions et une majorité de français.es est opposée à la réforme. Les colères grondent et s’agglomèrent, et le gouvernement n’apporte comme seule réponse que la violence. Violence démocratique avec un compte à rebours qui a démarré et un passage en force : présentation du projet de loi en conseil des ministres le 24 janvier dernier, début des discussions à l’Assemblée Nationale le 3 février, menace de 49-3 et d’ordonnances… Et ce malgré un avis défavorable du Conseil d’Etat. Mais aussi, des violences policières inouïes qui se banalisent : 2500 blessés dont 432 graves, 1 décès, 5 mains arrachées, 236 blessés à la tête dont 25 éborgnés, 21 blessés par grenades et 221 par tirs de LBD. 1000 gardes à vue, 3000 personnes en procès, 1000 personnes condamnées à de la prison ferme.

Ce régime ne tient plus que par sa police, la dérive autoritaire n’est plus une illusion, elle est réelle. Je pèse mes mots quand je parle de régime autoritaire, nous ne devons pas avoir peur d’appeler un chat un chat ! Nous sommes, en effet, dans un régime qui s’arrange pour que la violence règle ce que le processus démocratique et le fait de réussir à convaincre du bienfondé d’une politique n’arrivent plus à faire.

Une démocratie en panne

Ce climat de tension entretenu par le gouvernement, l’est d’autant plus que les français.es ont la sensation qu’ils ne sont pas entendus. Le gouvernement feint de ne pas comprendre ce que révèle le mouvement des gilets jaunes en terme de crise démocratique. Au-delà des revendications pour plus de justice sociale et fiscale, ce mouvement historique crie son besoin de reprendre son destin en main. Un destin qui lui est confisqué depuis trop longtemps. Ce n’est pas pour rien que l’une des grandes revendications du mouvement porte sur le RIC (référendum d’initiative citoyenne) Gouvernement après gouvernement, même constat, même politiques libérales menées. Elections après élections, c’est le chantage au vote utile et l’épouvantail du RN qui sert de gage à la réélection du nouveau qui n’est que le nouveau visage de l’ancien monde. Nous sommes dans une impasse démocratique avec une 5ème République pensée en 1958 pour être au service de l’exécutif au détriment du législatif. Une monarchie présidentielle, où les contre-pouvoirs n’existent plus.

A Besançon, que dire d’un maire qui en cours de mandat change d’étiquette pour devenir « En marche » ? Que dire de cette majorité bisontine contre nature, LREM/PS/EELV/PCF qui perdure encore aujourd’hui ? Que dire quand des elu.es EELV et PCF sont adjoints d’un maire « En marche » ?

A ce blocage démocratique organisé, s’ajoutent les lois liberticides votées ces dernières années, qui là encore, brident voire criminalisent la contestation : introduction de mesures de l’état d’urgence dans le droit commun, loi anti-casseurs, dont une partie a d’ailleurs été déclarée anticonstitutionnelle par le Conseil Constitutionnel.

Le problème, ce ne sont donc pas les manifestants mais l’obstination du gouvernement qui, pour des raisons purement idéologiques, continue, à marche forcée, à imposer aux français.es une politique libérale qui détruit nos systèmes de solidarité et de cohésion sociale. Ce gouvernement, tel un pompier pyromane, est le premier responsable de cette colère populaire qui ne trouve plus sa place dans le débat politique, qui ne trouve plus les moyens de l’exprimer dans un cadre dit « démocratique ».

Alors, oui, je suis triste pour mon pays, pour ma ville, de voir mes concitoyen.nes dans cette impasse démocratique. Mais je suis aussi en colère, de voir que depuis plus d’un an, pas un mot, pas un tweet, pas un communiqué, de M. Alauzet ou de « l’équipe » de Besançon par nature, pour dénoncer cette violence étatique et policière. Pas un message pour condamner cette absence, pour le coup, de « bonne tenue des débats démocratiques et républicains ». Pas « d’union des élus de la République » et de la ville de Besançon, « face à ces actions qui mettent à mal notre démocratie » (pour reprendre un tweet de M. Alauzet cette semaine concernant l’action « député godillot »).

Pour conclure, Messieurs Alauzet et Bodin, Mesdames Vignot et Cordier, je dénonce et condamne votre indignation à géométrie variable.

Séverine Véziès

Commentaires

  • Je partage totalement l

    Je partage totalement l’analyse de Séverine Vezies sur la situation actuelle à Besançon avec cette « équipe de sortants » qui s’indigne de voir chahuter les représentants de la république en marche par des citoyens qui n’en peuvent plus.

    Totalement, pas tout à fait cependant, car de mon côté, je ne « regrette pas » ces formes d’expression. Je les comprends à tout le moins, voire j’y participe bien souvent. Et j’étais vendredi dernier dans ce petit groupe de manifestants répondant à l’appel de l’intersyndicale à l’occasion de la venue de Nunez. Enfin, j’en étais au début, puis ayant rejoint isolément le centre commercial Ile de France, ne portant aucun signe distinctif, j’ai été arraché violemment par un policier qui m’a traîné de force jusqu’au petit groupe de manifestants nassé 100m plus loin et qui l’est resté plus de deux heures alors qu’il répondait à un appel à manifestation « déclarée ». J’ai près de 79 ans…

    Alors oui, je comprends les mouvements de chahut à l’encontre des politiciens locaux qui soutiennent la politique macronienne et je m’indigne de la passivité de ceux qui, plutôt que de dénoncer les violences du pouvoir en place, dénoncent les modalités de réaction de celles et ceux qui se battent depuis plus d’un an contre une politique qui les écrase ou depuis plus de deux mois contre un projet de loi qui va détruire notre système de retraite par répartition.

    – quand ils ont matraqué les Gilets Jaunes, je n’ai rien dit. Je n’étais pas Gilet Jaune,

    – quand ils ont empêché les syndicalistes de manifester, je n’ai rien dit. Je n’étais pas syndicaliste,

    -quand ils m’ont empêché de m’exprimer….


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