La Méditerranée, l’asile et la solidarité

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La procédure « Dublin » sur laquelle s'appuie Manuel Valls pour refuser l'entrée en France aux migrants venant d'Italie est en train d'enterrer la solidarité européenne en matière d’asile.

Ce règlement, créé pour décourager le dépôt de demandes dans plusieurs pays de l'UE, désigne le pays qui a laissé entrer un migrant, volontairement ou involontairement sur son sol, comme seul responsable de l'examen de sa demande d'asile. Ce règlement fait ainsi reposer sur les pays formant les frontières extérieures de l'UE un poids disproportionné (cas fréquent de l’Italie, de l’Espagne de Malte et de la Grèce). Dans le cas d'une arrivée massive de migrants, vouloir s'y référer et bloquer les frontières en invoquant la responsabilité italienne est à la fois cynique et irresponsable.

 

Qu'est ce que le règlement Dublin ?

Prévu par les accords de Schengen, puis à la Convention de Dublin de 1990. Cette disposition dans ses versions successives I, II et III, oblige les États qui forment les frontières extérieures de l'UE à renforcer leurs contrôles migratoires et autorise tout autre État de l'UE à refuser la prise en charge d'un migrant entré sur son sol et à le réintroduire dans le pays frontalier où il est entré dans l'UE.

 

Pour ce faire toute préfecture prendra les empreintes dans le fichier Eurodac (banque des empreintes digitales des demandeurs prises à leur arrivée sur le sol européen). Si elles y figurent déjà, le demandeur fera l'objet d'une demande de réadmission dans le pays d'entrée.

 

Toute cette procédure, plus ou moins longue, cherche à retarder, décourager ou empêcher l’accès au droit d’asile. Mais en définitive elle s'avère être un échec puisqu'en France, en 2012, seulement 17% des personnes pour lesquelles l’application du règlement a été demandée ont été finalement transférées dans le pays désigné comme “responsable” de leur demande d’asile. Soit que le pays d'entrée refuse la réadmission ou que les délais sont dépassés, obligeant ainsi la prise en charge de la demande d'asile par la France,soit que les personnes sont reparties dans un autre pays.

 

Au départ le traité a été négocié à cinq (France, Allemagne, Benelux) puis « vendu » comme élément du «paquet Schengen» aux 28 autres pays plus l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein. A aucun moment les «pays perdants» n’ont pu réellement ouvrir la discussion face au bloc des «pays gagnants». «Dès que la pression concentrée sur un seul pays monte, et comme il n’y a pas de mécanismes sérieux de solidarité, le système saute.» précise Francesco Maiani, professeur à l’Institut de hautes études en administration publique à l'Université de Lausanne et spécialiste du droit européen et des questions d’asile.

 

Les perversités du système

En fait ce règlement porte actuellement préjudice aussi bien aux migrants qu'aux États membres. En effet d'un côté il interdit à un demandeur d’asile qui vient sur le sol européen de décider dans quel pays il va demander asile. De plus le mode de répartition qu'il opère est à l'origine de traitements inéquitables des demandes étant donné que les moyens d'accueil varient d’un État européen à l’autre tout comme les taux de reconnaissance du statut de réfugié (allant de 17 % pour la France à 97% pour l'Allemagne). D'un autre côté ce règlement est également inéquitable pour les pays de l'UE car certains, dont le notre, sont protégés par les pays frontaliers qui leur permettent d’éviter de faire des efforts en matière d'accueil mais par contre d’effectuer autant de réacheminements de migrants que possible dans le pays membre par lequel ils sont entrés.

 

Ce jeu de passe passe est ainsi une des explications de la baisse du nombre de demandeurs en France en 2014 ( Baisse de 5 % en France contre une augmentation de 44 % en Europe). Le « Dubliné » (devant être réadmis dans un autre pays de l'Union dans un délai défini par les textes mais dont le demandeur ne connaît jamais le terme puisqu'il dépend de la date de demande de réadmission par la France, date qu'il ne connaît pas) n'est pas perçu par les autorités comme un demandeur d'asile, bien qu'il ait certains droits jusqu'à sa réadmission. Il reste en particulier exclu du dispositif d'accueil et se retrouve le plus souvent à la rue.

 

Et la Solidarité ?

Pourtant, face à cet afflux de migrants en Méditerranée dont Manuel Valls ne veut pas entendre parler vu qu'ils viennent d'Italie, de nombreuses associations jugent qu'avec 28 États membres, il est techniquement et financièrement possible d'opérer en Méditerranée, comme le faisait l'opération « Mare Nostrum », qui a permis de sauver 160 000 personnes. Promue et supportée par l'Italie, puis jugée trop chère par Bruxelles, elle a été remplacée par un projet européen très controversé, nommé « Triton » et mené par Frontex (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne) pour faire essentiellement la chasse aux passeurs ; un type d'interceptions qui sera dangereux pour les migrants et inefficace puisque les bateaux sont désormais lancés sans passeurs ou abandonnés en pleine mer dans les eaux internationales.

 

Or il ne faut ne pas se tromper de cible. « Les chefs d’État et les instances européennes ne peuvent pas, en désignant les passeurs comme étant à l’origine des naufrages qui se produisent en Méditerranée, se défausser de leur responsabilité », affirme la Cimade (association de solidarité active avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile). Les migrants « ne recourraient pas aux services des passeurs s’ils pouvaient voyager de façon régulière, avec des visas », ajoute l’organisation, pour qui « il est urgent de changer radicalement l’orientation des politiques d’asile et d’immigration de l’UE ».

 

De fait, le problème de fond reste l’impossibilité pour les migrants, et notamment pour ceux qui ont besoin de protection, d’arriver en Europe par les voies légales, ils ont donc recours à des filières illégales, sans lesquelles ils devraient continuer à vivre leur calvaire dans les pays du nord de l'Afrique (Libye par exemple).

 

Dans l'urgence, qui est la nouvelle manière de faire de la politique, l'UE a envisagé des quotas, pour finalement mettre en avant un mécanisme de répartition volontaire pour 60 000 personnes. Vous avez dit solidarité européenne ? L'Europe devient surtout le refuge des égoïsmes.

 

Les lois oubliées

Pourtant la Directive 2001/55/CE, du 20 juillet 2001, du Conseil de l'UE, existe et prévoit un dispositif exceptionnel dans les cas d’arrivée massive dans l’Union européenne (UE) de ressortissants étrangers qui ne peuvent rentrer dans leur pays, notamment en raison d’une guerre, de violences ou de violations des droits de l’homme. La législation met en place une protection immédiate et temporaire de ces personnes déplacées et devrait théoriquement assurer un équilibre entre les efforts réalisés par les États membres pour les accueillir.

 

De plus l'article 67 TFUE (traité de fonctionnement de l'union européenne) précise pour sa part que l'Union européenne "développe une politique commune en matière d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres". Or nul ne fait état actuellement de ce dispositif et rien de tout cela n'a jamais été appliqué. Il est clair que la volonté politique des États membres fait défaut et cela depuis de nombreuses années.

 

Le système doit changer

L'échec patent de la procédure Dublin devrait permettre de réfléchir à promouvoir un autre système axé d’un coté, sur des critères objectifs tels que la qualité des infrastructures, la perspective de travail et le nombre de réfugiés accueillis et, de l’autre, sur des facteurs plus subjectifs tels que l’existence des liens culturels, familiaux et linguistiques. Des financements pour ce type d'efforts peuvent être obtenus par l'intermédiaire du Fonds européen pour les réfugiés (FER). Ainsi un véritable mécanisme de solidarité se mettrait-il en place pour soutenir les États membres en fonction du nombre de demandeurs d’asile qu’ils accueillent.

 

Ce système devrait permettre aux demandeurs d’asile de déposer leur demande dans le pays de leur choix à l’intérieur de l’Union européenne et de favoriser ainsi l'intégration.

 

A suivre...

Plutôt qu'à chercher à nous barricader, ne vaudrait-il pas mieux nous engager avec détermination vers une politique de codéveloppement réelle conçue à partir d’intérêts partagés pour que ces personnes puissent vivre chez elles comme elles le souhaiteraient, et envisager les migrations qui sont une donnée constitutive de notre République, autrement que de façon sécuritaire ?

 

A lire pour prolonger :

Il faut supprimer le dispositif Dublin, mais il faut surtout supprimer Frontex, sur le site du GISTI (groupe d'information et de soutien des immigrés)

Gestion des flux migratoires : réflexions sur la politique française de codéveloppement, sur le site l'Institut des hautes études internationales et de développement.

 

Commentaires

  • Le 12 juin 2018 l’Aquarius

    Le 12 juin 2018 l’Aquarius est en péril, les conditions météorologiques s’annoncent mauvaises:les Espagnols comme les Italiens ont fini par faire ce qu’ils avaient à faire, en tant qu’Hommes.L’Humanité se doit de les remercier.Le gouvernement français n’a RIEN fait, strictement RIEN.Il n’a pas même levé le petit doigt.Enfin, si, par la voix de son 1er représentant la France a fait la leçon, vertement qui plus est.C’est une honte.


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