Faut-il le rappeler : la cuisine libanaise est savoureuse, comme le sont la plupart des cuisines du proche et du moyen orient. On sait le chaos dans lequel ce pays est aujourd’hui plongé, et les libanaises et libanais, en particulier les plus démunis, ont d’autres chats à fouetter que se préoccuper de la manière dont certains de leurs plats emblématiques sont maltraités dans notre pays qui aime tant le Liban. Il s’agit d’abord pour eux de mettre quelque chose dans les assiettes de leurs enfants.
Alors que mon épouse et moi nous étions rendus dans une supérette bio ayant le vent en poupe afin d’y acheter deux blocs d’un tofu encore abordable, ma curiosité culinaire, peut-être maladive, m’a conduit devant un rayon « traiteur » qui proposait, entre autres réjouissances, un « taboulé oriental », comme s’il en existait un occidental, latino-américain ou inuit. Cet amas de semoule de blé humide ressemblait comme un jumeau à la sinistre pitance dont les supermarchés, mais aussi certains traiteurs très en vue en centre-ville de Besançon, vendent sans vergogne des mètres cubes.
La première caractéristique de cette préparation, c’est qu’elle n’a absolument rien à voir avec le plat d’origine, libanais donc. Rien. C’est un peu comme si, au Liban, on prétendait vendre une pâte pressée premier prix pour du Comté grand cru, au risque du rappel de l’ambassadeur français et d’une crise de nerfs de la Présidente de notre Si Belle Région. La deuxième caractéristique, c’est la consistance plâtreuse de semoule de couscous trop hydratée qui occupe la cavité buccale longtemps, longtemps. Très longtemps. La troisième, c’est la présence fréquente de raisins secs, peut-être liée, dans la pénombre culturelle des fabricants, à l’exotisme de la préparation. Il existe une grande variété de « taboulés » : j’en ai croisé agrémenté de moules, d’autres d’emmenthal, de lardons, de poulet… Carrefour, un jour, l’orthographia « Taboulet » sur une grande affiche promotionnelle, à l’entrée de son enseigne de Valentin, pour encourager le pékin à s’offrir cette merveille « orientale ». Rien ne peut arrêter l’imagination des traiteurs industriels dès lors qu’il s’agit de nous faire prendre de sinistres vessies au prix de revient dérisoire pour des lanternes levantines.
Le taboulé n’est pas le seul à subir un tel traitement méprisant : Les cuisines de Chine, et celles d’Indochine, par exemple, subissent souvent les effets de cette ignorance suffisante, qui consiste à baptiser de noms pompeux de tristes préparations qui ont peu de rapport avec le mets d’origine.
On est en droit de s’étonner que Biocoop, qui prétend constamment respecter l’environnement, les producteurs, l’origine des produits, leur qualité, les terroirs, les manières de faire ancestrales, les vignes et les vignerons, et j’en passe, fasse preuve d’une telle désinvolture et propose à la vente un machin pareil, que le label bio n’anoblit pas. Ignorance ? Manque de curiosité ?
Le regretté J-P Géné, chroniqueur gastronomique, s’en offusqua il y a quelques années, dans les colonnes du Monde. La cuisine est une culture et, à ce titre, elle se respecte. C’est aussi une façon de voyager, de rêver, de quitter le quotidien et de s’en aller voir ailleurs. Toute l’humanité cuisine, souvent de peu de choses, lorsque les femmes ramassent ce qu’elles peuvent pour agrémenter une vie d’exil, de transits, d’incertitudes, de misère. Avec du blé et de l’eau, on fait du pain, ça commence par là.
Le taboulé (« tabūleh ») est une simple salade de persil et de menthe coupés au couteau et assez fin, saupoudrée de quelques graines de boulgour (et surtout pas d’un saladier de couscous !), à laquelle, selon la tradition familiale, sont mêlés dés de tomates, d’oignon blanc et éventuellement de concombre, parfois des graines de grenade, assaisonnée d’huile d’olive et de citron. C’est un plat frais, léger et goûteux, digne de la grande tradition de cuisine libanaise et proche-orientale, et évidemment pas du Maghreb dont la gastronomie nous offre bien d’autres trésors.
Parmi d’autres, Sabrina Ghayour, perse et cuisinière, nous propose, dans ses ouvrages, un merveilleux voyage culinaire au Moyen Orient.