Hommage à Jean-Jacques Boy : le parcours d’un militant

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Jean-Jacques,

nous ne t'appelions pas seulement Jean-Jacques, pour nous, tu étais aussi JJ, prononcé Djidji parfois, en insistant sur la première syllabe, avec une pointe d'accent méridional dans le sourire, et immédiatement, le tien resplendissait.

En Palestine, tu étais Abu Sara, le papa de Sarah, ainsi que te nommaient affectueusement nos amis des camps de réfugiés d'Aqbat Jabr ou de Deisheh.

Pour certains d'entre nous, tu étais un camarade de syndicat, d'abord à la FSU, puis, passé à Sud Education Franche-Comté dont les orientations internationalistes et solidaires correspondaient mieux aux tiennes, tu as pris les responsabilités de la trésorerie pendant de longues années. Elu et constamment réélu par tes collègues au Comité technique de l'ENSMM, tu t'y présentais comme tête de liste commune SUD-FSU. Des Ponts, pas des Murs, y compris au travail...

Depuis longtemps déjà, en effet, tu te préoccupais de solidarité internationale avec les victimes de persécutions et de l'accueil des réfugiés sur le sol de notre pays : dès 1994-95, dans le sillage de Pierre Bourdieu, tu avais créé à Besançon le CISIA, Comité International de Solidarité avec les Intellectuels Algériens victimes de la furie meurtrière des Islamistes intégristes. La France refusait de leur délivrer des visas pour qu'ils puissent se réfugier de l'autre côté de la Méditerranée ; c'était intolérable pour toi. Il te fallait agir.

La suite logique de cette bataille politique et juridique pour défendre les droits des Algériens à venir et obtenir l'asile en France, c'est le CDDLE : tu crées, avec des militants de plusieurs organisations et associations, le Collectif de Défense des Droits et Libertés des Etrangers en 1997, dans le but de combattre les lois racistes et d'aider les personnes étrangères à faire valoir leurs droits face à l'Administration d'Etat. Ceux qui fuyaient la  Bosnie et le Kosovo après les guerres des Balkans, par exemple, pourront ainsi trouver un appui à leur difficile parcours pour obtenir un titre de séjour.

Le CDDLE, pour toi, c'est un parcours de vie et tu en es resté le président, le militant assidu, malgré toutes les limites que t'imposait la maladie. Nous voulons t'en remercier et te dire notre admiration de ne jamais avoir abandonné ce Collectif qui a tendu la main et soutenu tant de personnes dans leurs difficultés à vivre ici et à y trouver leur place.

Je pense en particulier à Siva, le vendeur de roses Indien, que tu as défendu et dont tu as tenté d'empêcher l'expulsion avec toute l'énergie et la détermination qui te caractérisaient.

Dans le sillage du CDDLE, c'est aussi le RESF, Réseau Education Sans Frontières, que tu contribueras à animer localement pour défendre la régularisation des familles dont les enfants sont scolarisés : parrainages mixtes citoyens/élus locaux et manifestations mettront en avant la problématique des familles en danger d'expulsion.

Les Cercles de Silence, qui ont longtemps réuni jusqu'à plus de 100 personnes chaque premier samedi du mois à Besançon, sont aussi ton oeuvre pour "changer la politique migratoire en France et en Europe", "changer le regard sur les migrants".

Pendant tout ce temps, la mémoire du martyre des Algériens en France ne te lâche pas. 17 octobre 1961, massacre perpétré à Paris par les sbires du préfet Papon contre des centaines de travailleurs immigrés descendus des banlieues pour dire pacifiquement leur volonté d'Indépendance. Au début des années 2000, tu seras l'un des initiateurs du rassemblement annuel bisontin, sur le pont Battant, chaque 17 octobre, pour honorer leur mémoire et pour que notre République d'aujourd'hui n'oublie pas sur quels crimes d'Etat elle est assise. Qu'on n'oublie pas non plus "l'autre 8 mai 1945" à Sétif, à Guelma, à Kherrata, dans le Constantinois, les massacres perpétrés par l'armée française et des milices sur des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants.

Ton Algérie, c'est encore celle des Aurès, celle des Chaouis si chère à Germaine Tillion, l'ethnologue, la Résistante, et à Claude Cornu, le soldat-appelé qui refusa de porter les armes et préféra faire la classe aux enfants. L'association A la Rencontre de Germaine Tillion allait naître de ton amitié pour Djemaâ Djoghlal, fille des Aurès, et qui fut, selon ton expression "l'âme du CISIA".

Dans ton esprit, il y a place aussi pour d'autres causes justes : sur une autre rive de la Méditerranée, la Palestine et son peuple enfermé derrière des barbelés et aujourd'hui des centaines de kilomètres de Mur. Tu as fait le voyage dès 1983, bien avant les accords d'Oslo qui enterreront le droit au retour des Réfugiés palestiniens sur leurs terres d'avant 1948 et entérinent la séparation de Gaza l'emprisonnée de la Cisjordanie hérissée de colonies israéliennes. D'abord militant à l'AFPS, Association France-Palestine Solidarité, fondée en 2001, tu rejoindras l'association Palestine-Amitié, à sa création en 2010, dont tu seras un membre actif (ses affiches de l'époque sont signées de ta main). Tu regrettais ne pouvoir t'y investir plus, mais tu as refait le voyage vers Jéricho, Jérusalem, Bethlehem et Hébron, en 2010, puis en 2011 avec Sarah, à qui tu as insufflé une belle passion pour la Palestine libre !

Car toutes tes convictions, tu savais les diffuser et les partager, homme de media que tu étais. Ta porteuse de voix à toi a d'abord été Radio 25, fondée en 1977 avec quelques autres partisans des "radios libres" (comprenez interdites d'émettre librement, et donc pourchassées par la police de Giscard) ; vous aviez 20 ans ou un peu plus, vous n'en pouviez plus de l'ORTF - voix de son maître, tu maîtrisais la technique, solide formation à l'ENSMM oblige, Françoise faisait le guet, votre enthousiasme faisait le reste.

L'impertinente radio pirate deviendra Radio Bip en 1981, quand Mitterrand légalisera les radios "libres".

A propos de Tonton, lui aussi est mort un 7 janvier, 25 ans avant toi. Ironie de l'Histoire...

Mais ce long curriculum ne résout pas la question qui demeure, Jean-Jacques : où puisais-tu cette formidable énergie qui, chez toi, transformait une cause en combat ?

Que ce soit le Maroc des opposants à Hassan II, l'Irlande du Nord et ses militants Républicains martyrisés par l'occupant anglais, l'Algérie combattant pour sa liberté ou contre l'effacement de la mémoire, la Palestine et son droit à la terre, le droit des étrangers à construire leur vie ici et à y trouver asile, rien de ce qui portait atteinte à la fraternité des êtres humains et à leur dignité ne te laissait indifférent.

Et cette constance de ton engagement, tu ne la concevais pas en dehors d'un cadre collectif, tu cherchais toujours à la conjuguer avec ceux qui partageaient ton indignation, ta révolte, par-delà les clivages partisans. C'est ce qui fait que nous sommes si nombreuses et nombreux à t'avoir rencontré et apprécié, si nombreuses et nombreux à avoir voulu partager ce moment de recueillement et d'hommage aujourd'hui, autour de Françoise et Sarah, les femmes de ta vie, "mes danseuses", comme tu disais.

Nous le partageons aussi avec ton père, trop éloigné pour se trouver ici, et ton frère.

A toutes et tous, la famille, les amis, nous voulons dire ce que Jean-Jacques nous a donné, sa disponibilité, sa bonté, sa force de vie, son extraordinaire capacité à porter les combats ; JJ, c'était un laboureur, un tisserand, un semeur de graines, un passeur patient, bienveillant, humble. Et un sourire, un éclat de rire qui résonneront longtemps dans nos têtes.

Salut et fraternité, JJ,

ton esprit espiègle continue de nous accompagner, en particulier dans ce Collectif qui est aussi ton œuvre et que tu nous laisses en partage : Solmiré.


Chanson naïve, du poète palestinien Mahmoud Darwich, traduit par le poète marocain Abdellatif Laâbi, que Jean-Jacques avait invité à Besançon dans le cadre du CISIA

Ici, sur les pentes des collines, face au couchant
Et à la béance du temps,
Près des vergers à l’ombre coupée,
Tels les prisonniers,
Tels les chômeurs,
Nous cultivons l’espoir
A quoi servirait le printemps clément
S’il ne tenait compagnie aux morts, s’il n’accomplissait,
Après eux, la joie de vivre et l’éclat de l’oubli ?

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