Comme la vie est bien Vaîtes pour les bétonneurs

Ah oui, c’est beau.

Imaginez.

Sur un dossier d’urbanisme hyper-tendu, attendu, critiqué, observé, discuté, une mairie prend le risque de lancer un grand processus de « concertation », multi-étapes et multi-niveaux. Des experts scientifiques triés sur le volet, des citoyens lambda réunis en conférence, des entretiens d’associations et de citoyens aux positions divergentes, des centaines d'avis recueillis sur une plateforme web, tout cela s’ajoutant à la tambouille ordinaire d’une majorité municipale plurielle…  Et là, tout au bout de ce long très long chemin semé d’embuches, on trouve quoi ? Exactement le projet qui avait été imaginé au départ, avant de lancer le bazar. C’est fou ça, non ?

Alors là, Mme la maire Vignot et les autres, chapeau bas. C’est quoi, une sorte de clairvoyance ? Au fond, vous êtes tellement en phase avec l’air du temps que vous saviez, je dirais même vous sachiez, avant tout le monde, ce qu’il fallait faire. Une maîtrise totale du dossier et des enjeux. Ou alors, c’est une intuition, l’instinct du décideur public né-pour-ça, tellement collé à sa collectivité qu’il fait corps avec elle et bouge en synchronie parfaite avec la respiration de son territoire. Non mais rendons-nous compte ! En campagne pour les municipales vous aviez dit que ce que vous vouliez pour les Vaîtes, c’était bétonner un peu moins, le faire près du tram et garder un bout de pelouse pour la biodiversité. Et c’est exactement ce qui a été voté hier !

Marie-Hélène Parreaux de l’association Jardins des Vaîtes le dit aussi, un peu différemment : « On savait bien que c’était vers là qu’ils voulaient aller. Ça me fait l’effet d’une politique politicienne. On a l’impression qu’ils ont utilisé tous les moyens qu’ils avaient en leur possession pour arriver à des conclusions qui étaient déjà posées d’emblée. » (tiré d'un reportage de Radio-Bip)

Ah merde, c’est tout de suite moins glamour dit comme ça. Bon en même temps, on le sait bien, c’est quand même un peu ça qui est arrivé, non ? « On vous voit venir » criait la banderole au-dessus des Vaîtes. Vous rétorquerez, main sur le cœur, que non, que vous étiez prêts à entendre et à suivre les recommandations des experts et des citoyens, mais que pour le coup, tout le monde étant tellement, consensuellement, co-contructiblement en phase que ça s’est fait tout seul. Vous nous remontrerez le petit tableau que vous avez créé pour le dossier de presse accompagnant la présentation du projet, pour que l’on constate bien que toutes les cases ont été cochées. Vous ressortirez vos cartes des Vaîtes, avec vos pavés verts et bleus (tiens pourquoi bleu et pas rouge pour matérialiser les zones bétonnées ? Couleur complémentaire du vert, ça serait plus lisible, non ?) pour qu’on voit bien que vous avez laissé un max de vert. Même si ce vert englobe un « nouveau parc urbain » que l’on compare déjà à la promenade Micaud (parce que oui, des buttes de gazon entrecoupées de platebandes aménagées avec des poneys qui chient sur des chemins en terre battue en tournant en rond, c’est de la biodiversité, vous ne saviez pas ?).

Mais un tableau, un plan, ça résume les choses… et ça peut les (sur)interpréter. Ça peut même en oublier ! D’ailleurs à ce sujet, les Jardins des Vaîtes ont produit une analyse du dossier de la mairie qui ne laisse pas de doute : la mairie a truandé. Ou on va dire « écrémé » pour être sympa, mais la conclusion reste la même : ni les recommandations du GEEC, ni celles de la conférence citoyenne n'ont été correctement prises en compte. Même, presque la moitié des citoyens ayant participé aux conclusions de la conférence citoyenne voient leur position complètement éclipsée, disparue, envolée ! Parce que oui, la recommandation de ne pas artificialiser les Vaîtes et de remettre en état ce qui a été saccagé par les premiers travaux a été faite, rédigée et argumentée. Mais un écran de fumée verte semble avoir été mis en place. La mairie nous enfume, visiblement.

Donc après, c’est certain que c’est facile de faire un tableau plus que parcellaire, de tronquer les avis des gens, de cocher des cases et de pavaner fièrement en martelant qu’on est enfin parvenu à une « situation de consensus ». Mais comme le souligne justement Claire Arnoux de l’association Jardins des Vaîtes : « une situation de consensus, c’est toutes les parties qui doivent estimer que c’est une situation de consensus, sinon ce n’en est pas un. » (extrait de l'émission Dimanche en politique sur France 3)

Donc voilà, hier la municipalité a entériné le projet. Toute la majorité a voté pour (les plus bétonneurs d’entre eux sachant qu’ils n’obtiendraient pas mieux, donc se satisfont) et l’opposition s’est abstenue (malgré toute « l’opposition » justement qu’elle a manifesté pendant les débats). Une autre sorte de grand consensus insipide, mais duquel nous sommes de plus en plus nombreux à être dégoutés : celui de l'apparente « décision » politique qui n'est en fait qu'une nuance supplémentaire du même projet global de croissance libérale.

Car comme l’indiquait le collectif Alternatiba Besançon : « Cet écoquartier est le symbole de l'impuissance de la municipalité pourtant d'obédience écologiste à agir d'après les paramètres d'urgences et de radicalité qui s'imposent à toute conscience éclairée en matière de climat, d'environnement et de biodiversité : rompre avec la logique productiviste et politique qui impose de bâtir aveuglément. »

Et tout l’enjeu est là aujourd’hui, d’autant depuis la dernière publication du GIEC. Nous avons plus que jamais besoin de changements systémiques et de mesures radicales pour nous sortir de l’énorme mouïse écologique où l’on s’est mis. Les collectivités locales, et les politiciens qui les font vivre, tout empêtrés qu’ils sont dans leurs habitudes, leurs vieilles tambouilles et leurs cultures politiques affadies par 40 ans d’aplatissement libéral des politiques publiques, n’ont visiblement pas en leur sein ni l’énergie ni les moyens politiques (ni l'envie ?) de convaincre et agir avec radicalité. On en aurait pourtant tellement besoin, et on ne peut pas compter sur eux, aussi verts qu’ils se présentent.

Ah! comme la vie est mal Vaîtes pour le monde vivant.

Mais pas pour les bétonneurs. Allez, gavez-vous encore un peu avant que tout se casse la gueule.

(Crédit photo : Les soulèvements de la terre)

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