408, c’est fini.

La dernière barre des 408 disparaît dans un nuage de poussière que les projections d’eau ne parviennent pas à contenir. Ce qui était devenu un lieu de commerce de drogues, d’occupations illégales, de trafics illicites se réduit à un tas de gravats. Par nécessités techniques, les déconstructions liées à la réhabilitation des années 90 avaient été menées avec soin, panneau par panneau ; en comparaison, la mise à bas de la dernière barre semble sans gêne, irrespectueuse.

Les collectivités publiques se félicitent de cette disparition et agitent des projets. Certes, une ville change. Son habitat évolue. On ne saurait cependant se satisfaire de destructions spectaculaires sans s’interroger : comment en sommes-nous arrivés là ? Une telle désintégration n’est qu’un pis-aller auquel chacun doit se résoudre, parce que c’est comme ça. Sous le tas de gravats cependant, un morceau d’histoire populaire est enseveli. Il y a, certes quelques décennies, les cités de la rue du Général Brûlard étaient un quartier essentiellement ouvrier, et ses habitants s’y trouvaient plutôt bien. Les barres des 408 ressemblaient à bien d’autres barres édifiées sur tout le territoire national pour loger des travailleurs et leurs familles, parfois nombreuses, sans souci architectural. Une élévation de béton cloisonnée sans autre préoccupation que la stricte et très relative fonctionnalité. Je n’y ai jamais vécu. Les appartements étaient simples, sonores. Tout cela pouvait sembler triste. Mais les enfants jouaient sur les premières pentes du Mont Rosemont. Une vie sociale existait dans laquelle les éventuelles tensions entre habitants se diluaient.

Sauf erreur de ma part, aucun bilan critique de la réhabilitation des années 1990 n’a été réalisé. Ou, si cela fut le cas, il n’a bénéficié d’aucune publicité. L’argent investi répondait plus à la volonté d’affichage d’une apparence extérieure ornée de bardages métalliques, d’une signature architecturale prétentieuse et coûteuse. Dans les appartements, seules les pièces humides ont été réhabilitées ; les parquets, qui donnait une manière de cachet, arrachés et remplacés par des dalles en plastique. Les cages d’escaliers furent simplement repeintes de couleurs neutres, les céramiques au sol sont restées ébréchées. Mais aucune loi n’oblige les architectes à vivre quelques années dans les immeubles qu’ils construisent ou rafraichissent. Rien, dans le projet, ne pouvait prétendre à favoriser une mixité sociale. En menant pendant des années l’opération d’insertion de personnes en difficulté dans les entreprises intervenantes, j’ai évidemment parlé avec des habitants. Je n’ai pas souvenir d’avoir rencontré une personne satisfaite du projet. On le sait bien, les locataires ne sont jamais contents…

Au fil des années, les immeubles sont devenus un des lieux où on logeait les plus pauvres, les familles nombreuses, les gens de peu, celles et ceux qui, pris dans les difficultés quotidiennes, un peu perdus dans leur vie, ont du mal à éduquer leurs enfants. Les arguments des quelques éducateurs encore présents sur la dalle étaient évidemment de peu de poids face à l’autorité de petits caïds dont l’autorité a remplacé celle des parents et qui apprennent vite à jouer à cache-cache avec les patrouilles de police.

Se trouvera-t-il un étudiant en histoire, en urbanisme, en architecture pour travailler sur l’histoire des 408 avant que les mémoires ne s’éteignent ?

Les dealers ont changé de crèmerie. Voilà, c’est fini.

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