Vous êtes Charlie ? Prouvez-le !

« Vous êtes Charlie ? Prouvez-le ! », a demandé Luz lors des obsèques de Charb.

Alors, imaginez une grande feuille de papier Canson. Elle est couverte de dessins. Elle est pleine de couleurs. On y voit des cours d’école avec des enfants rieurs, filles et garçons mélangés. On y voit des hommes et des femmes en maillot de bain, allongés sur le sable d’une plage. On y voit des frontons de Mairie, Liberté, Égalité, Fraternité. Des façades de musées et des façades de conservatoires de musique. Des théâtres. Des salles de spectacles.

Des librairies remplies de livres. Des bibliothèques. Des kiosques à journaux. Des Églises, des Temples, des Synagogues…

On y voit aussi des files d’attentes devant l’ANPE, ou devant les Restos du Cœur. Des hommes et des femmes assis sur les trottoirs, en train de mendier. Des enfants en train de mendier...

Sur la page, arrive une gomme passablement usée. Elle a déjà fait un sacré (Sacré ?) travail !

Elle vient de gommer toute une rédaction de dessinateurs-journalistes. Elle vient de gommer des flics et des gendarmes. Elle avait déjà gommé des enfants Juifs, des adultes Juifs et des militaires. Elle vient de gommer des clients Juifs d’une épicerie casher. Elle milite pour gommer les femmes dévoilées. Elle s’apprête à gommer des boites de pilules contraceptives et des boites de préservatifs. Elle se dirige vers les hôpitaux où l’on pratique l’IVG. Elle projette de gommer les écoles laïques, gratuites et obligatoires. Les autres aussi.

Elle gommera les notes de musique. Celles de « La Marseillaise », celles de « l’Internationale », celles de « Douce France, cher pays de mon enfance ».

Elle projette bien d’autres choses encore, cette gomme.

En bas de la page encore pleine de couleurs, Marianne.

Une pâquerette entre les lèvres, elle somnolait dans l’herbe bien épaisse d’un pré.

Quand elle ouvre les yeux, elle est effarée. Une gomme est en train d’effacer tout ce qu’elle a dessiné, parfois au prix de luttes et de grandes souffrances !

Crénom ! s’écrie-t-elle.

Marianne ne crie pas « f. de p, ni enc. de ta r.. » Non. Elle est bien élevée. Le pire qu’elle se permet c’est « Crénom ! »

Elle se redresse. De la poche de sa robe à fleurs elle tire un plumier. Elle a vite fait de l’ouvrir. Des millions de crayons bleus, blancs, rouges, jaunes, noirs et même quelques verts en sortent. Ils se mettent au travail. Ils s’opposent à la gomme, ils l’empêchent de progresser, ils finissent par la jeter dans la poubelle de l’Histoire. Enfin débarrassés d’elle ils redessinent tout, en appuyant un peu plus sur le trait, là où elle était déjà passée.

En haut de la page, un très beau portrait de Lassana Bathily.

Un crayon jaune trace les premiers mots de la prière du peuple Juif pour la République française :

À côté, un crayon multicolore dessine de grosses cloches en mouvement. Celles d’une Notre-Dame laïcisée.

Un autre multicolore termine d’écrire la déclaration de la Fédération protestante de France.

« Nous redisons que la République laïque et ses valeurs, notamment la liberté de conscience, la démocratie et la liberté de la presse demeurent pour nous au fondement de notre vivre ensemble. »

Un peu plus loin sur la page, un crayon rouge écrit en s’appliquant :

« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?

« Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?

« Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme.

« Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes.

…

« Ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place. »