Vous avez aimé l’article 24 de la loi sécurité globale ?

Voici le texte de ma prise de parole, samedi 12 décembre, en préambule de la Marche des libertés à Lons-le-Saunier à laquelle 150 à 200 personnes ont pris part. Une affluence plus faible que le 28 novembre qui peut notamment s'expliquer par la météo très humide. Après mon propos, Richard Dhivers (CGT) a évoqué les décrets renforçant le fichage, notamment des opinions politiques, et Springfield Marin (FSU) a dénoncé la perspective de la remise en cause de l'ordonnance de 1945 protégeant les mineurs, notamment l'abaissement de la majorité pénale à 13 ans...

Vous avez aimé l'article 24 de la loi sécurité globale ? Vous allez adorer l'ancien article 25 devenu article 18 pour, a dit le ministre de la Justice, éviter la confusion, du projet de loi confortant le respect des principes de la République ! Cette loi que tout le monde appelle loi sur les séparatismes. Comme si le gouvernement et sa majorité n'étaient pas eux-mêmes à la source de la confusion !

Celle-ci consiste à tenter de masquer le fait qu'ils cherchent à profiter de la sidération provoquée par l'état d'urgence sanitaire et le risque terroriste pour rogner les libertés fondamentales. Nos libertés. Les libertés d'expression et de la presse, les libertés d'informer et de manifester, libertés cruciales pour la transmission des faits, pour la circulation des idées et des arguments, pour que le débat public ne soit pas confisqué.

Vous avez aimé l'article 24 ! Il leur colle aux doigts comme le sparadrap du capitaine Haddock. Ne sachant plus quoi en faire devant le tollé, le gouvernement a voulu le faire réécrire par une commission extra-parlementaire, ce qui violait tellement les droits du parlement, qu'il a provoqué un nouveau tollé dans son propre camp et a fini par laisser la procédure se poursuivre : le Sénat devrait débattre du texte mi janvier, et, sans doute, faire sortir la disposition de la loi de 1881 sur la liberté d'expression.

Cet article, je cite, « punit d’un an de prison et 45.000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale » ! L'amendement « sans préjudice du droit d’informer », a été introduit pour amuser la galerie...

On nous dit que que la « diffusion dans le but manifeste de porter atteinte à l'intégrité des forces de l'ordre » sera finalement évaluée par un juge ! La belle affaire ! Parce que si un juge est saisi, c'est qu'un gendarme ou un policier aura, dans le feu de l'action, décidé, deviné, découvert, que tel porteur de caméra, de téléphone ou d'appareil photo est en train de diffuser ou va diffuser des images dans le but de porter une atteinte manifeste à son intégrité. Peu importe que ce but soit indémontrable, le fauteur du soit-disant trouble aura été placé en garde à vue et son matériel saisi ou détruit, bref empêché de témoigner. Et cela lui fera une maigre consolation d'être relaxé six mois plus tard.

Voilà pourquoi ce texte doit être retiré. Parce qu'il produit de l'arbitraire et sert de prétexte à une intervention illégitime de la police, parce qu'il ne sanctionne pas un acte mais une intention supposée. Parce que le Conseil constitutionnel a de grandes chances de le censurer, ne serait-ce parce que, comme nous l'a dit l'attaché parlementaire de la Sénatrice Sylvie Vermeillet, « le problème, c'est comment pénaliser une intention ? »

Ils l'ont tellement aimé, cet article 24 dont ils pourraient être contraints de faire leur deuil, qu'ils lui ont fait un clone dans la loi qui elle aussi a changé de nom. Ce n'est plus celle sur les séparatismes, mais celle confortant le respect des principes de la République. Ce pouvoir qui a décidément un problème avec les mots, en a aussi avec les chiffres puisque l'article 25 est devenu l'article 18 ! Et que dit-il ? Qui vise-t-il ? Non pas ceux qui ont le but manifeste de porter atteinte à l'intégrité physique ou psychique d'un agent des forces de l'ordre, mais ceux qui ont le but de mettre en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne, permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but d’exposer elle-même ou les membres de sa famille à un risque immédiat d’atteinte à la vie, à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens.

Qui peut croire ceux qui affirment que ces deux textes n'ont rien à voir, ne se ressemblent pas ? Ah oui, il y a une différence, dans l'article 24, la peine encourue est de un an de prison et 45.000 euros d'amende, dans l'article 18, de 5 ans et 75.000 euros...

Mais qui peut croire que ces textes ne seraient pas utilisés à d'autres fins que la lutte anti-terroriste ? D'ailleurs, le ministre de l'intérieur a vendu la mèche en défendant ses décrets sur le fichage en indiquant qu'il visaient l'islamisme radical et ceux qui veulent faire la révolution. Quelqu'un peut-il lui souffler le titre du livre de campagne d'Emmanuel Macron : Révolution ?

Ne soyons pas dupes ! Personne ici rassemblé n'a la moindre complaisance pour le terrorisme. D'ailleurs, nous sommes nombreux à être venus ici même en hommage à Samuel Paty. Personne n'a non plus de doute sur l'usage dévoyé d'un texte censé lutter contre une vraie menace, mais visant aussi une opposition démocratique s'exprimant notamment dans la rue, la presse qui en témoigne et les lanceurs d'alerte.

Nous devons à ce propos porter notre attention sur d'autres articles de la loi sécurité globale. Annoncée comme devant encadrer juridiquement le recours aux caméras piétons et aux drones, elle permet le visionnage des images en direct par la salle de commandement dès lors que la sécurité des agents de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité des biens et des personnes est menacée. Des notion si larges que c'est la porte ouverte à la surveillance en tout temps et en direct des manifestants. Quant aux drones, l'information du public de leur utilisation est prévue sauf lorsque les circonstances l’interdisent... Quelles circonstances ? Mystère !

Tout est rédigé comme si les manifestations devaient être traitées comme des faits divers et les manifestants, comme les journalistes qui les suivent, considérés comme des délinquants potentiels. Cela fait penser aux lois scélérates de 1893 et 1894.

Le transfert de missions de la police nationale aux polices municipales et aux sociétés de sécurité privées complète le tableau. Nouvelles prérogatives juridiques pour les premières, tâches régaliennes pour les secondes. Un seul exemple : les escortes de détenus pourraient ne plus relever de la police nationale mais de sociétés privées.

Dans l'expression sécurité globale, ce n'est pas la sécurité qui fait craindre le pire, mais le mot globale. Pas un moment de la vie en société n'est censée échapper au regard d'un acteur de cette sécurité globale qui est présentée comme un continuum... Faut-il en frémir ? Nous avons choisi de dire non !

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