Une ville française qui ne [voulait] pas laisser mourir sa librairie

Non loin de la Place principale, quelques centaines de pieds (un pied = 30,48 cm) plus bas dans la Grande Rue, une librairie a, pendant 150 ans, fourni culture et distraction à la population de Poligny. Pendant des générations elle a, selon les habitants, fait partie du paysage et était devenue un endroit où les enfants s’attardaient sur le chemin du retour de l’école et où leurs parents se pressaient pour acquérir le dernier roman.

Par Edward Cody à Poligny, France (traduction Yves Lagier)
The Washington Post, 16 Novembre 2009.

C’est pourquoi, quand le magasin fut sur le point de fermer ce printemps, un groupe d’habitants entreprit de créer une petite société au capital de 70 000 $ (un euro = 1,37 dollar) et reprit le bail. Résultat : ouverture de la nouvelle librairie il y a deux semaines, repeinte et dotée d’une mission toute simple : être un refuge où les gens se sentiront bien, qu’ils achètent un stylo à bille ou qu’ils feuillètent des livres.

L’effort des Polinois pour maintenir dans la rue principale une librairie à l’ancienne peut paraître bizarre à l’époque de l’électronique, de la communication instantanée et des immenses surfaces de « discount ». Tel n’est pas le cas en France, un pays exceptionnellement attaché à ses traditions centenaires et déterminé à sauvegarder son patrimoine culturel.

« Cet endroit fait partie de l’histoire de Poligny, de son patrimoine «  affirme Corinne Dalloz, actionnaire et seule employée de la librairie, dans une ville d’un peu moins de 5000 habitants située au pied des agrestes collines du Jura, à 250 miles (un mile = 1,6 km) au Sud Est de Paris.

Identité et histoire

Le respect du patrimoine aide à comprendre pourquoi la France est si agréable – c’est la première destination touristique mondiale, avec plus de 80 millions de visiteurs par an. Cela a un prix. Les autorités nationales et locales dépensent près de 1 milliard de dollars par an pour maintenir en état et restaurer les monuments historiques, y compris la rénovation de l’armature de la Tour Eiffel (en cours), selon le Ministère de la Culture et de la Communication.

Les grands vins français et la cuisine renommée font beaucoup aussi pour la vénération des traditions ancestrales. La sagesse populaire, par exemple, exige que les bons fromages proviennent de quelques artisans s’inspirant de leurs ancêtres. Mais les méthodes « à l’ancienne » coûtent plus cher que les modernes – il est avéré que la fabrication du fromage industriel est meilleur marché- et l’agriculture est notoirement subventionnée.

Au plan politique également, un retour sur l’image de la France fait penser aux barrages routiers.

L’ancien Président Jacques Chirac fit remarquer, à juste titre, que les Français n’acceptaient pas les changements indispensables pour affronter une économie moderne et mondialisée, préférant une longue pause déjeuner à une augmentation de salaire et un bon système de protection sociale à une baisse d’impôts.

Le Président Nicolas Sarkozy fut élu en 2007 en grande partie sur une promesse de rupture avec ce conservatisme, s’engageant à ce que les Français travaillent plus et gagnent plus pendant sa présidence.

Mais la méfiance publique l’a amené à revenir en arrière en de nombreux domaines et rien ne prouve qu’aujourd’hui les Français travaillent plus que sous les présidences Chirac.

La dernière initiative politique de Sarkozy, ce qu’il appelle un « débat sur l’identité nationale », a une nouvelle fois souligné la tendance des Français à s’en remettre au passé quand on leur demande de se projeter vers l’avenir.

Sarkozy et ses lieutenants expliquèrent que l’idée consistait à lancer un débat national sur la signification d’être français au moment où la population change- elle comprend maintenant plus de 6 millions de musulmans - et s’accroît d’un flux d’Africains et d’Européens de l’Est. La plupart des débats portèrent cependant sur la nécessité pour les nouveaux arrivants d’adhérer aux valeurs relevant du passé de la France, quand la population était presqu’entièrement chrétienne et blanche.

« L’identité nationale nous concerne tous » a déclaré Sarkozy jeudi lors d’une cérémonie à la mémoire des victimes de l’occupation allemande lors de la deuxième guerre mondiale. «  L’enjeu dans l’industrie, l’agriculture, la campagne, chez les artisans, n’est pas seulement économique. C’est aussi la disparition d’une forme de civilisation, d’un héritage de valeurs, d’une culture du travail».

La philosophe Chantal Délos, dans une tribune parue dans le Figaro de vendredi, déclarait qu’être français signifiait d’abord « d’assumer le passé de la France ». La splendeur de ses rois au 18ème siècle mais aussi l’ignominie de sa collaboration dans les années 40. Elle suggérait cependant que la France dépasse son passé, le monde ayant profondément changé pendant que la France continuait à s’accrocher à une grandeur qui n’est plus.

« Les Français ne peuvent plus continuer à compter sur un héritage, la richesse du pays, sa langue admirable, son message universel », dit-elle.  Tous ces éléments sont en voie de dislocation et nous ne pourrons plus demander aux gens de nous suivre au son de la Marseillaise. 

Se regrouper

Le débat sur l’identité nationale était loin des préoccupations des Polinois quand la précédente propriétaire de la librairie a averti ses amis, au début de l’année, qu’elle allait fermer pour raisons de santé. Bien au contraire la préoccupation portait sur le risque pour la Grande Rue d’avoir une devanture bouchée, à l’endroit même où des générations avaient trouvé une source de plaisir et de savoir. En Mai l’idée d’un rachat a pris forme. Près de 100 habitants, dont le Maire Dominique Bonnet, achetèrent des parts sociales à 750 dollars chacune. Ce fut suffisant pour garantir un emprunt, acheter le fonds et commencer à transformer les locaux de 525 m2.

Un libraire de la ville voisine de Dole donna des conseils.

Mme Dalloz, nouvelle arrivante à Poligny, eut l’idée de l’agencement des lieux, forte de son expérience dans plusieurs librairies à Paris.

De plus la Mairie et les commerçants proches étaient impatients d’éviter la fermeture d’une devanture dans la principale rue commerçante de Poligny. Nombre d’eux mirent la main au porte-monnaie ou aidèrent à la réfection pendant les travaux, selon les dires de Geneviève Dandelot, un professeur retraité figurant parmi les premiers initiateurs de la reprise du magasin. «  Nous ne voulions pas voir mourir cet endroit », dit Frédérique Brelot, qui tient une épicerie fine de l’autre côté de la rue. « Si cette affaire avait disparu, il en aurait été de même pour nous très bientôt ».

Jean-Pierre Thévenin, fonctionnaire retraité, souligne que l’Association pour la sauvegarde du patrimoine de Poligny, dont il est le trésorier, a également joué un rôle en mettant en avant

le côté culturel. La Mairie s’est récemment engagée à restaurer une tour médiévale sur la place centrale, par exemple, et quand le cloître d’un couvent des Ursulines a été réhabilité il y a dix ans, les autorités municipales ont fait apposer une plaque à l’entrée sur laquelle on peut lire : «  Le patrimoine fait partie des trésors de Poligny. Protégez-le ».

Traduit de l’anglais le 10 Février 2010 par Yves Lagier

 

 

Commentaires

  • Danièle Secrétant

    Je dois ajouter que Corinne

    Je dois ajouter que Corinne Dalloz fait en sorte que des auteurs "locaux", soient reçus dans la librairie, qu'elle en assure la promotion, qu'elle organise des signatures et que oui, il y a un véritable esprit autour du livre, de la culture et de leur défense. En ce qui me concerne, je n'achète pas mes livres sur Amazon, ou autre. Mais dans les librairies…


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