« Une sorte de fascisme à visage libéral »

En 1997, pour tenter d'empêcher des suppressions de postes, à l'initiative de tous les syndicats enseignants, nous avons occupé l'Inspection Académique du Doubs durant huit jours et neuf nuits. Lors de notre entrée dans le bâtiment, l'Inspecteur d'Académie fut soulevé du sol par la foule en colère qui forçait le passage. Pour ma part, j'ai dormi quelques nuits sur la moquette de son bureau. Nous avons finalement vidé les lieux après négociation et sans aucune poursuite ni sanction d'aucune sorte. Un an auparavant, pour dénoncer le chômage des précaires, nous avions occupé le rectorat de Besançon et "retenu" le recteur durant une heure, sans sanctions ni poursuites, après avoir obtenu un réemploi des auxiliaires.

L'échange avec le recteur avait pourtant été particulièrement "vif". En 2000, nous avons réoccupé l'Inspection Académique, toujours pour les mêmes raisons. Au petit matin, une vingtaine de CRS nous a poussé dehors, sans un coup de matraque ni jet de gaz, encore moins de menottes. Ni poursuites. Oui, c'était possible.

Mais c'était avant ça :

En 2017, une vingtaine d'étudiants, comme des milliers l'ont fait avant eux à Besançon et ailleurs, intervient pour empêcher le vote d'une mesure qu'ils contestent par le CA de leur université. Là, le président, appelle immédiatement la police et les accuse de "séquestration". La police empêche les étudiants de sortir, les plaque au sol et les menotte dans le dos avant de les enfermer, jusqu'à 48 h, à 7 dans une cellule 4 m2 puant la pisse. Puis la préfecture invente une histoire entièrement fausse : des "violences" de leur part, qui n'ont jamais eu lieu, comme une vidéo en est la preuve formelle. Une moitié d'entre-eux, claironne-t-elle, ne seraient "pas étudiants", alors que c'est le cas de deux d'entre-eux seulement, une troisième étant lycéenne. Tout le monde peut le vérifier. Ils auraient aussi tous dissimulé leur visage pour commettre leur "délit", alors qu'en réalité seuls deux d'entre-eux, que tout le monde a immédiatement reconnu, portaient par dérision une photo du président sur le visage. Des membres du CA auraient enfin été "choqués" par cette "séquestration", alors que nombre de ces élus le nient absolument et disent n'avoir été choqués que par l'intervention totalement disproportionnée des policiers. La procureure et le recteur en rajoutent, ce dernier, pourtant historien de métier, poussant le ridicule jusqu'à parler de "prise d'otage". La presse, dans l'ensemble, diffuse abondamment le gaz de la désinformation. 19 étudiants sont à présent visés par une enquête préliminaire pour "séquestration", "rébellion", "violences volontaires" et risquent la prison ferme. Ils sont menacés d'un conseil de discipline qui pourrait leur interdire de poursuivre leurs études.

J'ai le vertige. Que s'est-il passé dans notre pays entre ces deux moments ? Un spectaculaire durcissement de la répression policière, judiciaire et symbolique de la contestation sociale, désormais systématiquement criminalisée. De ce durcissement, à mettre surtout au crédit d'une "gauche" qui a fini de couper tous les ponts avec ceux qui luttent pour une société plus juste, ces 19 étudiants sont les dernières victimes en date, comme les dizaines de condamnés, dans l'indifférence générale, du mouvement contre la loi Travail. Sans parler des mutilés au flashball ni d'un mort, Remy Fraisse. Quand toutes les institutions de l'Etat "démocratique", prônant le "dialogue social", mentent pareillement pour écraser les oppositions et parviennent à faire détourner le regard de la majorité, c'est bien que nous sommes entrés dans une sorte de fascisme à visage libéral.

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