Un arrière goût de plomb

Au rond point. Tous habillés pareil. Je me cogne les yeux sur les feux de détresse de la voiture qui me précède. Je sors. Il fait froid. Glacial. Le bitume est luisant de givre. Ils filtrent le trafic. Je remonte dans le SUV de papa. Au chaud. Sous le siège. Le laisser-passer. Bien en évidence sur le tableau de bord. Je pousse la radio. RT1.

Ça devrait être bon.

Position marche. La boite automatique, je me laisse aller. Glisse. Il y a des lumières. Comme des flammes. D'autres véhicules éparpillés autour du rond point. Quand arrive mon tour, ils me dévisagent. Je souris. Éviter le moindre geste brusque. Le bout de la semelle qui effleure la pédale.

Un bras se lève. Paume ouverte. Au dessus de toutes les têtes qui me fixent. Je regarde. Michel ! Je lui fait signe à mon tour. Je passe le rond point. Je roule cent mètres. Puis m'arrête sur le bas coté. Retour.

-Salut Fred ! Sa grosse main gantée. Rude et forte. Il fait si froid. De la vapeur d'eau au sortir de nos bouches.

-Un café ?

A l'écart. Un break. Hayon grand ouvert. Un thermos de collectivité. Le plastique semble fondre dans les doigts. Un sucre. Une touillette. Un gars approche. Pas très souriant.

- C'est Enzo, mon fils.

Lui aussi, je demande.

- On n'est pas des bourges nous. Il rigole. Vaguement. Je remue le fond de sucre fondu.

Des cris. Une camionnette tente de forcer la passage. Les autres accourent. Entouré.

- La vie c'est pas facile. On n'arrête pas de payer, pour le gasoil, pour la bagnole, pour l'école, pour le pavillon.

Le baraqué. Son fils. Cheveux ras. Épaules immenses. Pectoraux. Une grosse boucle de ceinturon.

- Et tous ces mecs ils se foutent bien de nos gueules

Le café a un arrière goût de plomb.

Un souvenir lointain. Michel. Même carrure. L'été après le bac. Qui sonne chez nous. Son sac à la main.

- Tu as dit que tu pouvais m'aider pour le concours.

J'ai regardé ma montre. Deux heures avant Rebecca. Mais elle peut attendre, la classe prépa ne reprend qu'en septembre. Et il y a d'autres Rebecca.

On s'installe dans le jardin. Fenêtres ouvertes. Aspirateur. Clope. Café déjà. Je déplie les feuilles qu'il me tend. Sur le marbre de la table, les stylos billes rongés jusqu’à l'os.

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