Tribulations d’un président au sein d’une mutuelle

MGEN, un acteur du changement dans votre vie

Après avoir signalé des faits choquants et incompatibles avant les valeurs de la mutuelle, il m'a été proposé 9 mois plus tard de démissionner du comité de section. Récit de cette aventure.

La mutualité est un « système de solidarité entre les membres d’un groupe, à base d’entraide » selon la définition du Larousse. Ce système de solidarité a fait ses preuves. Je suis convaincu qu’il est une réponse indispensable aux difficultés de toute nature, présentes ou à venir, notamment celles apportées par le changement climatique et ses conséquences écologiques, économiques ou sociales, qui sont déjà bien visibles. Les personnes les plus fragiles sont ou seront touchées les premières.

Comment alors expliquer mon choix d’accepter de démissionner du poste de président de la section départementale du Doubs d’une grande mutuelle ?

Vers un modèle assurantiel classique

L’expérience, en tant que président depuis plus de 6 ans, formateur régional, correspondant de l’ESPER (économie sociale et solidaire partenaire de l’école) m’amène à penser que la solidarité a du mal à s’exprimer dans les grands ensembles, où s’exerce une forte concurrence. On prend peur. On ne fait plus confiance aux principes de base. Pour résister, nous sommes contraints de mettre à mal nos valeurs démocratiques et solidaires. Certes, nous procédons par petites touches, chaque année, en nous consolant de voir encore de nombreuses marques de solidarité dans ce que nous n’avons pas encore osé détricoter. On se méfie. On « organise » la démocratie pour permettre de choisir élus et administrateurs. Il me sera reproché en 2018, de n’avoir pas fait élire le directeur de la section.

On préfère mettre en place une gouvernance par les nombres. Les délégués s’appliquent régulièrement à remplir les tableaux d’évaluation, de « reporting » d’activités. Le projet stratégique de notre région que nous élaborons, « en associant les élus, les salariés », est un tableau avec des indicateurs et des objectifs chiffrés. Ceux que l’on bichonne particulièrement, ce sont les objectifs de croissance, de ventes de contrat, d’offres additionnelles ; ce qui fait rentrer l’argent dans les caisses. On établit des entretiens tous les mois avec chaque salarié. On les évalue, on leur fixe des objectifs. Certains, notamment les anciens, s’inquiètent de perdre ce qui donne du sens à leur travail, une relation humaine avec les adhérents.  L’introduction d’un management issue du productivisme fordien est évidente. Pourvu au moins que ce management se fasse en toute bienveillance. C’est ce qu’on nous assure. C’est ce que nous croyions. La solidarité, la bienveillance, c’est une évidence pour une mutuelle. Qui pourrait soupçonner le contraire ? Poser la question aurait été même choquant. C’est ainsi que les mesures du new public management se mettent en place si facilement dans l’univers mutualiste, sans que cela suscite la moindre réaction.

Ainsi, on se rapproche de plus en plus des entreprises privées lucratives, dans ce qu’elles font de plus discutable. On aime les condamner, sans savoir que certaines peuvent faire mieux que nous en ce qui concerne le respect de l’humain, la responsabilité sociétale, et même la gouvernance. Un article du monde diplomatique « Les mutuelles, des assureurs comme les autres ? » d’octobre 2020 traite le sujet de façon très pertinente et j’y renvoie le lecteur.

La place des élu·es dans cet ensemble

Nous comprenions, les élus, la nécessité du respect des consignes nationales mises en œuvre par les militants permanents en section, les délégués. Nous les soutenions. Ce qui a été voté en assemblée générale doit se décliner dans les régions. Nous étions tous préoccupés par la mise en place de mesures qui devaient permettre d’atteindre les objectifs chiffrés, fixés pour la section. Nous souhaitions être disciplinés. Nous étions convaincus qu’une mutuelle qui veut être solidaire, doit aussi être performante sur le plan économique. Nous nous le répétions souvent depuis l’élaboration du projet stratégique. C’était la pilule à avaler. J’ai participé avec 50 personnes aux prémices du projet stratégique national, lors d’un séminaire qui réunissaient des acteurs des « deux piliers » : salariés et militants. J’avais bien conscience de ce que la performance économique pouvait signifier, mais j’avais confiance en nous, en nos valeurs. Je ne savais pas que j’avais participé à ouvrir la boîte de pandore.

Je partage avec les élus du comité de section, spontanés, francs, sincères, un idéal de solidarité, de valeurs mutualistes. Il était difficile de cacher nos interrogations, nos inquiétudes aussi. Les objectifs poursuivis par les uns, les élus bénévoles, avec leur idéal, et les autres, les délégués salariés, avec leur souci de bien faire, d’appliquer les directives, s’accommodaient mal. La régionalisation a créé une emprise sur ces derniers. Ils prêtent désormais allégeance à une direction régionale qui s’est mise en place. Ils n’ont plus de compte à rendre au comité de section. Les directeurs de sections sont directement placés sous l’autorité du directeur régional. Reste à mettre en place une ligne hiérarchique entre l’administrateur régional et les présidents de section. C’est ce qui sera voté à la prochaine assemblée générale extraordinaire qui a été repoussé à cause du contexte sanitaire. Je redoute une mise au pas.

Un dicton dit « si tu veux connaître quelqu’un regarde ce qu’il fait, n’écoute pas ce qu’il dit » : à la MGEN, on nous parle de gouvernance horizontale et dans les faits on installe des délégations de pouvoir. Le comité de section a tout perdu et ne devient plus qu’un rouage de transmission. Ce n’est même plus un lieu de débat. L’administrateur national le rappelle sans cesse : « il n’y a pas à débattre de ce sujet », comme précisément celui qui intéressait au plus haut point les élus de notre comité de section : la mise en place de la régionalisation et de ses conséquences. Le comité de section est amené à devenir une coquille vide.

La genèse d’une rupture

Les délégués semblaient perdre leur temps dans les instances démocratiques du comité de section. Ils ne participaient guère aux échanges, semblaient absorbés par d’autres préoccupations. Les enjeux n’étaient plus là pour eux. Nos débats valaient-ils la peine d’être menés ? Ne perdions-nous pas notre temps ? Les élus avaient l’impression qu’on se montrait peu ouvert à leurs interrogations, à leurs remarques qui questionnaient l’évolution de notre mutuelle. Nous ne faisions plus une seule équipe, soudée. Seules les apparences laissaient croire à une fausse amitié. Je sentais un fossé se creuser depuis quelque temps, la confiance s’émousser. Leur présence dans les moments conviviaux qui réunissaient les élus se faisait de plus en plus rare.

Mes prises de position, il faut bien l’avouer, seront sans doute pour quelque chose dans le fossé qui se creusait. J’ai voté contre le déplafonnement des allocations journalières qui met à mal le principe de « chacun contribution selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ». Je m’apprêtais à manifester également mon opposition, ou au moins à questionner la réforme de la gouvernance.

Je me suis opposé à la création de l’offre hospitalière qui devait concurrencer la mutuelle MNH, sur le principe qu’une mutuelle ne peut concurrencer une autre mutuelle. D’autant plus que les méthodes employées n’ont rien à envier à celles des entreprises lucratives, que nous dénonçons : avec notre offre hospitalière, qualifiée par son créateur de « non solidaire », nous attaquons un marché. Les réponses à mes remarques, lors d’une réunion régionale, étaient fallacieuses : « les adhérents de la MNH ne sont pas satisfaits de leur mutuelle » (je connais certains de nos adhérents qui ne le sont pas non plus de la nôtre). Le second argument : « si nous n’y allons pas, des groupes privés lucratifs iront ». Comment peut-on à la fois construire un grand groupe mutualiste, le groupe VYV, et dans le même temps entrer en concurrence avec une mutuelle ?

Ainsi, depuis deux ans, le doute s’est emparé de moi sur la pertinence des grands groupes à assurer les valeurs proclamées. Nous lançons de grandes campagnes publicitaires pour les revendiquer. Dans la lutte pour la performance économique, nous continuons de nous agrandir. Si on peut se permettre de montrer nos biceps dans le monde des géants de l’assurance, espérer la proximité des administrateurs avec les militants bénévoles sera une gageure. Ils deviennent invisibles dans cet ensemble. Peu s’intéressent au groupe VYV, y compris parmi les militants permanents. Nous abordons très rarement le sujet. Lors des dernières rencontres interrégionales, aucun d’eux dans notre département n’a jugé utile d’y participer. Il est difficile de créer un sentiment d’appartenance dans ces conditions. Les appels du pied des dirigeants, lors des dernières rencontres interrégionales du groupe VYV en visioconférence depuis Lyon, pour montrer l’importance des militants de base, risquent de ne rencontrer qu’un faible écho. On pressent que les décisions vont s’imposer de haut en bas, comme ce fut le cas pour la création du Festival VYV des solidarités à Dijon. Pas de quoi motiver les élus.

J’exprimais des doutes. Je ne trouvais plus l’énergie dans nos assemblées nationales ou régionales. Je m’interrogeais parfois sur la poursuite de mon engagement. J’avais exprimé mon souhait de passer la main. J’étais sur le point d’y parvenir. Pendant ce temps, les liens qui unissaient élus et délégués étaient en train de se dénouer.

Le premier élément déclencheur, un élu du comité de section bafoué par l’équipe de direction.

Il aura fallu qu’un élu du comité de section s’interroge sur la réorganisation régionale en cours, avec le transfert d’activités au sein d’un pôle prestations régionales à Dijon pour déclencher le mécanisme qui devaient me conduire vers la sortie.

Je ne reviendrai pas sur les détails, cela ne nous glorifie pas. L'article de Factuel.info décrit bien ce qui s'est passé. Je déplore seulement l’absence de dialogue qui a plongé les militants élus dans le désarroi et qui nous a empêchés de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous sommes dirigés. J’ai tenté de combler ce fossé, en activant des espaces de dialogue, sans y parvenir. Une rencontre du bureau départemental sur le sujet, avec les militants permanents, s’est soldée par le mutisme des uns et la déception des autres.

Le second élément déclencheur : une directrice démise de ses fonctions pendant un congé maladie sans lui en parler.

Dans une section voisine, la destitution en mars 2020, pendant son congé maladie, d’une directrice en situation de burn-out lié à un mal-être dans son travail, me met en colère. Aucune communication sur le sujet, n’a été faite par la direction régionale. Je comprends que cela est lié à un mauvais management que moi-même je remets en cause. Une entreprise, qui elle-même, a rédigé un guide des bonnes pratiques dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire, ne serait-elle pas fautive ? Les marques d’empathie, de bienveillance qu’on est en droit d’attendre dans une entreprise de l’économie sociale et solidaire ont fait ici défaut.

Les délégués restent aveugles à cela, insensibles ? Disciplinés ? Ou peut-être alors, ne mesurent-ils pas la gravité de ce qui s’est passé, ou bien n’osent-ils pas réagir ? Je les questionne sur le sujet mais n’obtiens aucune réponse. Je ne veux pas croire qu’on puisse cautionner cela. L’administrateur national nous rappelle à chaque fois qu’il ne faut pas s’occuper de ce qui se passe ailleurs, dans les autres sections. « Cela ne vous concerne pas. » On obéit. ""Il faut se discipliner" me dira l'ancien directeur. On casse ainsi les liens qui nous unissent, on remise l’empathie en dehors de nous-même.

J’ai fait ce qui semblait être le devoir d’un président de section. J’ai alerté le siège national, qui a accueilli, sans rien dire, mes propos avec gravité. J’ai dressé l’analyse de la situation en région et dans notre section, fait un historique. On m’a remercié de ma franchise. On m’a assuré de la confiance du siège.

Pourtant, aucune marque de cette confiance n’était réellement perceptible. Pas d’appel, de mail, de contact, ce qui me plonge dans une solitude rapidement.  L’option de l’étouffement de cette affaire se profilait à mes yeux. J’ai alors choisi d’en faire part aux élus du comité de section, qui me demandaient ce qui se passait. Ce faisant, je m’attirai les foudres des personnes mises en cause, la direction régionale et l'ancien directeur de la section, soutenus par les deux collègues nouvellement arrivés. Le malaise s’est installé.

Le secours du siège national

Il nous a été proposé un dispositif d’accompagnement qui m’a paru solide. Je reprenais confiance. Mais cela n’a pas duré. Ce dispositif a été avorté dès la première phase. Dans la matinée, après les premiers échanges, la coach a conclu que l’équipe de délégués de la section ne pouvait plus s’entendre avec le président. Le verdict était posé. J’ai trouvé hâtive cette conclusion. Ce travail n’était pas sérieux, d’autant plus que les principes du coaching n’étaient pas respectés : l’écoute bienveillante et l’absence de jugement à mon égard. Ce fut pour moi, un moment difficile à vivre.

Le point d’étape qui a suivi se bornera à établir le constat d’une mésentente, laquelle a été nourrie par le directeur lui-même. En effet, je pense qu’il fallait ne pas sortir de cette crise pour pouvoir aller là où on voulait m’entraîner. On s’arrêtera donc là. Dont acte. Malgré les promesses et mon insistance, aucune autre mesure, pourtant prévue par le plan d’accompagnement, ne sera mise en place. Je n’insistai pas. J’ai fait remonter au siège la situation dans laquelle je me trouvais : sans clé de la nouvelle section. Mais, ce faisant, je n’ai fait qu’exaspérer le bureau national, auquel la situation de la section du Doubs a été exposée. Cette histoire de clé a été jugée navrante par un des vice-présidents : « Il suffisait d’en discuter » me lança-t-il. Effectivement, c’était si simple. Pourquoi n’y avais-je pas pensé !

Prié de partir sans avoir commis de faute

Ainsi, sans aucun reproche formulé par écrit ou par oral de la part du siège national, sans jamais avoir abordé le sujet de la section et des maux qui l’ont traversée, on me montrait la porte, laquelle, vous l’aurez compris, j’aurais pris moi-même, mais seulement après avoir assuré ma succession. On m’épargnera cette tâche.

Je laisse les élus, les amis militants, des salariés aussi, dans l’incompréhension et parfois même le désarroi. J’en ai bien conscience, mais il n’est pas possible de travailler dans une équipe de direction, de 4 personnes, avec certaines qui ne le souhaitent pas. Vous savez comment cela se passe. L’absence de confiance, l’absence de communication, les omissions dégradent le climat de travail. Des décisions qui vous concernent ou pourraient vous concerner, prises sans vous consulter, (comme l’attribution des clés de la section par exemple, ou une « non-invitation » au repas avec tout le personnel pour fêter le déménagement) conduisent à de petites vexations récurrentes, qui vous plongent dans un malaise durable. Je ne voulais pas vivre ça. Il fallait me préserver. Pour me consoler, je recevrai le livre dédicacé du président : "ESSentiellement humain" ; pas de parachute doré dans les entreprisses de l'ESS.

Je ne regrette en aucune façon mon action en faveur des valeurs mutualistes. Je ne regrette pas avoir dénoncé ce qui me paraît y faire entrave. Je remercie infiniment les nombreuses personnes qui m’ont accompagné et soutenu, notamment les élus du bureau du comité de section. Je partage leur déception. Je ne désespère pas de voir les valeurs mutualistes triompher des maux qui gangrènent le système mutualiste ; si ce n’est au sein des mutuelles, alors dans la renaissance de l’entraide là où les gens sont proches les uns des autres, se connaissent et se soutiennent.

Commentaires

  • Prologue

    Prologue

    Pas de parachute dorée à la MGEN. Pour que j’accepte de démissionner, mes interlocuteurs du bureau national m’ont affirmé (oralement en novembre) que je pourrais continuer à bénéficier des avantages liés à ma fonction jusqu’en juin. Le père Noël est passé et m’a apporté une fiche de paie d’un montant de 0 euros (correspondant à la prime accordée aux présidents) et un message hier m’annonçant la demande de la MGEN de mettre fin à ma décharge. Au niveau RH, on sait bien y faire à la MGEN. Je ne suis pas contre le fait de reprendre un temps plein. Je l’avais déjà fait savoir avant même ma démission et acceptais même un poste de faisant fonction de personnel de direction si cela m’était proposé. Je ne leur en veux pas et comprends bien que mon billet d’humeur peut agacer et qu’on puisse décider d’agir d’une autre manière.


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