Travailleurs relocalisés contre travailleurs détachés

Dès son origine, en décembre 1996, la directive européenne sur les travailleurs détachés, (le fameux plombier polonais) a entrainé des craintes de dumping social. Ce dernier consiste à tirer vers le bas le niveau des normes fondamentales du travail dans le pays d’accueil, telles les salaires, le temps de travail, la sécurité au travail etc. Mais les partisans de la directive se voulait rassurant contre ses dérives. Cependant, en 2020, près de 14 années après, on constate qu’en réalité, leurs revenus se révèlent plus bas que les travailleurs du pays d’accueil. Donc cette directive a bien produit du dumping social, comme le prédisait les opposants à cette politique économique libérale. Quelques années après le lancement de cette directive, on observe que « le phénomène des travailleurs détachés s'est significativement développé dans les années 2010, dans certains secteurs économiques en Europe, notamment dans les  grands groupes du bâtiment et des travaux publics (...), pour les activités les moins qualifiées »[1]. Selon le ministère du travail en 2018, plus de 250.000 travailleurs détachés sont venus en France, le nombre de contrats détachés atteignait ainsi les 580.000, la plupart des travailleurs ayant été détachés plusieurs fois. Selon l’Insee, toujours en  2018, « la population active (au sens du Bureau international du travail (BIT)) est estimée a 29,8 millions de personnes de 15 ans ou plus en France (hors Mayotte). Elle regroupe 27,1 millions d’actifs ayant un emploi et 2,7 millions de personnes au chômage ». Par conséquent, les 250 000 travailleurs détachés représentaient donc près de 1 pour 1000 des salariés français et presque 1 pourcent des 9,1 %  chômeurs en France[2].

Par conséquent, en l’absence des travailleurs détachés, il y aurait 10% de chômeurs en moins, à la condition que les français disposent de la compétence et de la motivation pour occuper les emplois disponibles. Pour les chômeurs originaires du pays d’accueil, il peut donc être difficile d’accepter, que des travailleurs étrangers viennent accroitre encore leur difficulté pour retrouver un emploi, à cause de l’augmentation de la concurrence entre des demandeurs d’emploi en nombre croissant. A l’inverse, l’usage des travailleurs détachés satisfait pleinement les employeurs, qui rémunèrent généralement ainsi des travailleurs qualifiés à des salaires inférieurs au SMIC français. Le sociologue Frédéric Decosse spécialiste de l’immigration affirme que « faute de contrôles et de moyens, ces ouvriers agricoles saisonniers travaillent sans que la réglementation liée à leur tâche soit toujours appliquée. Les atteintes à leur sécurité et à leurs droits sont de ce fait invisibilisées ». Or, ce sont majoritairement des travailleurs étrangers[3].

En 1996, la France était présidée par Jacques Chirac, membre du RPR, un parti de droite libérale. Face aux craintes des travailleurs des pays les plus industrialisés d’Europe, les dirigeants politiques français et européens avaient affirmé, que les travailleurs détachés seraient rémunérés au même niveau que les salariés du pays dans lequel ils viennent travailler et avec les mêmes protections juridiques concernant leurs conditions de travail. Ils avaient aussi promis que ne seraient employés que des travailleurs dont les compétences manquaient dans le pays d’accueil. Ils affirmaient donc que leur travail serait un service utile pour la nation accueillante, mais aussi pour le travailleur détaché, qui bénéficierait généralement d’un meilleur salaire que dans son pays d’origine. 

Si ces conditions avaient été rempli, la directive s’avérerait relativement conforme à la philosophie politique d’une relocalisation économique et sociale. Cette dernière consiste à diminuer au maximum (et non absolument) l’usage des travailleurs détachés, dans le but de parvenir à plus d’autonomie économique pour chaque pays, mais aussi d’éviter le dumping social. En théorie, l’esprit de la directive poursuivait un objectif assez similaire : les travailleurs détachés ne devaient travailler dans le pays d’accueil, que lorsqu’il était certain et prouvé, que les employeurs ne parvenaient pas à trouver de salariés suffisamment compétents. Dans ces conditions ils n’entraient pas véritablement en concurrence avec les chômeurs du pays d’accueil et ce dernier trouvait une réponse à sa demande de travailleurs qualifiés.

Or, les enquêtes socio-économiques montrent qu’en réalité, la directive sur les travailleurs détachés à permis de faire appel majoritairement aux salariés les moins qualifiés. Or, ces derniers ne manquent généralement pas dans les pays d’accueil. Néanmoins, le manque de main d’œuvre nationale pour la cueillette des fruits et légumes au printemps 2020 en France a montré que les chômeurs des pays industrialisés ne sont pas tous prêts à réaliser ce type d’emploi pénible physiquement lorsqu’il n’est rémunéré qu’au niveau du SMIC. Avec la crise du Covid 19, « dans les exploitations agricoles, la fermeture des frontières à occasionné « un déficit de main d’oeuvre estimé à 200 000 personnes ce printemps – soit le quart du nombre de travailleurs agricoles français », pour les récoltes au printemps 2020. Ce déficit de main d’œuvre s’explique par le fait que dans l’agriculture,  près de 80% de la main d'œuvre salariée est d'origine étrangère[4]

La proportion importante des travailleurs détachés montre que contrairement aux promesses de la commission européenne et des chefs d’Etats, la directive sur les travailleurs détachés à généré du dumping social et qu’elle a accrut la concurrence envers les travailleurs nationaux. C’est d’ailleurs pour cette raison que le gouvernement français envisage d’essayer d’en limiter l’usage au profit des travailleurs nationaux. Alors même que ce gouvernement est présidé par Emmanuel Macron, un président néolibéral. La directive s’avérait donc soit mal conçue à l’origine volontairement ou non, ou bien les employeurs sont parvenus à en contourner l’esprit.  Durant, près d’une dizaine d’année, le gouvernement français a plus ou moins laissé faire, mais depuis le 24 juin 2020, Emmanuel Macron a décidé de limiter en France, le recours au travailleurs détachés venus de l'UE. Peut-être est aussi le résultat de la crise sanitaire mondiale et de la volonté politique dans la majorité des pays du monde de relocaliser leur production et leur consommation, pour des raisons écologiques et d’autonomie économique, en particulier. Nous verrons donc si, le gouvernement français parvient à faire appliquer l’esprit de cette directive, soit en changeant la loi française, soit en faisant modifier la directive européenne de 1996.

Il existe donc plusieurs problèmes à résoudre simultanément dans le cadre d’une politique de relocalisation solidaire : le dumping social, le besoin de main d’oeuvre qualifié ou non, le faible niveau des salaires, la pénibilité du travail, le faible des normes du travail légale relative aux  conditions de travail. Plusieurs solutions sont envisageables. Tout d’abord, cela nécessite de supprimer ou durcir la directive sur les travailleurs détachés provenant de l’étranger au profit des travailleurs nationaux, comme l’envisageait le gouvernement français en 2020. Cela supposerait aussi plus de contrôle et de sanction de l’inspection du travail, donc aussi plus d’inspecteurs, afin de faire respecter les normes du travail, telle que les lois, directives et normes techniques. Pour répondre aux besoins de main-d’œuvre des employeurs français dans les secteurs en tension, cela supposerait aussi d’accroitre la rémunération des salariés nationaux, qui n’acceptent pas des métiers aussi pénible physiquement à un salaire aussi bas. Cela nécessite donc soit d’accroitre les prix pour les consommateurs, soit de diminuer les profits des employeurs et de leurs éventuels actionnaires. La relocalisation solidaire peut donc s’avérer globalement vertueuse pour l’intérêt général, mais certains s’y opposeront, car cela diminuera leur bénéfice économique.


[1] CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL (NOR:CESL1100024X), Les travailleurs détachés ; Avis du Conseil économique, social et environnemental, vol. 24, Journal officiel de la République française, 2015, 162 p.

[2] INSEE Références  Travail - Emploi, Edition INSEE, 2020

[3] GISTI, « Saisonniers en servage », La revue du GISTI, Octobre 2008.

[4] OFFICE FRANÇAIS DE L'IMMIGRATION, Immigration, asile, accueil et accompagnement des étrangers en France Ministère de l'Intérieur, 2016

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