Réponse à l’association « Jardin des Vaites »

Le contexte politique actuel de Besançon se cristallise autour de la question des Vaites et du projet d’aménagement de cet espace. Après une tribune publiée le 24 Juin, il y eut une réponse le 29 Juin de la part des responsables de l’association jardin des Vaites. Celles-ci cherchèrent à défendre leur opposition à toutes constructions aux Vaites en déployant leur argumentation dans un court billet. Nous nous intéresserons aux questions de fond, et montrerons en quoi ce texte constitue la quintessence d’une certaine écologie aveugle aux questions sociales.

Une indifférence aux données

Tout d’abord, vous faites référence à l’augmentation du taux de vacance de 10% à Besançon comme si cela montrait la véracité de vos propos. Néanmoins vous isolez ce fait en ne disant pas que le taux « normal » pour une ville comme Besançon devrait être aux alentours de 15%...

Concernant les 500 logements par an nécessaire à Besançon. Ce sont les données dont nous disposons ; je serais bien aise de voir quels seraient vos chiffres concernant ce phénomène…. Vous donnez l’impression d’avoir sur cette question une vision basée sur la technique du doigt mouillé, de l’à peu-près, qui repousse par principe des éléments qui ne vont pas dans votre sens. On peut critiquer un élément d’une étude bien entendu, voire l’étude en elle-même, mais la renier par principe parce qu’elle viendrait des « élites » manipulatrices et menteuses nous semblent une démarche très problématique, voire peu scientifique…. En effet, sans être naïf, les données issues des organisations publiques restent le socle le plus solide sur lequel s’appuyer, afin de définir notre rapport à la réalité et à ce qu’on souhaite mettre en place comme politique.

L’oubli des classes populaires

Notre soutien à ce projet  n’est pas un blanc-seing aux différents acteurs à l’origine de cette entreprise. D’une part, nous resterons vigilants à la portée sociale du projet qui nous paraît pour l’instant insuffisant, et d’autre part, nous chercherons à favoriser le respect de l’aspect environnemental dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Ainsi nous nous plaçons dans un rapport au monde tel qu’il est, en cherchant à améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la population. 

Soit dit en passant, votre insinuation concernant la prétendue similarité de notre argumentation avec celle des promoteurs immobiliers en faveur du projet de construction, pourrait vous être retournée. Les arguments de M. FAGAUT, opposé lui aussi à ce projet, son très proches des vôtres. Pourtant, de notre côté, nous faisons l’effort de ne pas identifier vos positions avec les siennes car nous savons, bien entendu, que vos finalités ne sont pas les mêmes. Ayez, s’il vous plaît, la même charité avec ceux qui ne partagent pas vos positions.

Nous pensons que votre position ne sert les intérêts de personne….

Ainsi parlons de ceux qu’on n’entend jamais, de ceux qui subissent des conditions de vie dégradées qui, dès qu’ils le peuvent, quittent leur logement, de ceux qui n’ont pas de relais médiatiques ou politiques pour faire entendre leur voix. Parlons des classes populaires et défendons leurs intérêts, sans se substituer à eux, mais cherchons à améliorer les conditions de vie de chacun. Ne considérons pas que sous prétexte de « sobriété », nous devions abandonner la mission première de tous les mouvements de transformations sociales, l’amélioration de la vie des exploités. En effet, souvent lorsque nous entendons, "efforts de chacun" nous comprenons « allez les pauvres serrez-vous encore la ceinture quitte à vous péter le bassin ! ». Ne faisons pas des classes populaires la variable d’ajustement de nos politiques et mettons- les au cœur de nos préoccupations.

En conséquence, considérer qu’un bâtiment de 15 étages, délabré, peut constituer un élément sain pour vivre et se construire semble tout de même assez incroyable. La fuite des habitants des quartiers populaires dès qu’ils le peuvent montre bien la fausseté de cette assertion On peut citer à l’appui de ce propos, le rapport 2017 de l’Observatoire national de la politique de la ville intitulé : « Mobilité résidentielle des habitants des quartiers prioritaires ». Celui-ci est résumé ainsi par Sébastien Jallet, commissaire général délégué du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) :« Dans les quartiers, il y a un effet de sas permanent. Ceux qui restent sont [les] plus précaires ». Chacun a le droit à un cadre agréable et ne doit pas être casé dans des bâtiments inadaptés.

De plus, il faudra nous montrer ces habitants des quartiers populaires et particulièrement des Orchamps (que nous connaissons très bien) qui vont se promener aux Vaites… Avant la publicité autour des projets de construction, peu de gens de ces quartiers étaient au courant de l’existence même de ce lieu.

Pour finir, la question de l’expropriation peut sembler assez ironique lorsque l’on sait que l’argument premier à l’opposition à ce projet consistait dans le refus de l’expropriation des propriétaires de ces terrains, nous ne pouvons qu’inviter tous ceux qui le souhaitent à lire ou visionner les torrents de larmes, que la droite bisontine versait sur ces pauvres propriétaires volés par la bolchévique mairie bisontine.

Le concept de densification en question

Néanmoins nous sommes d’accord sur un point. La question centrale concerne la viabilité ou non du concept de densification et son application concrète dans l’aménagement d’un territoire dans une optique sociale et environnementale. Nous nous appuierons sur des études récentes afin de faire part de notre opposition à votre vision de l’aménagement du futur.

Ainsi dans votre billet vous faites référence à ce qu’on nomme communément « l’effet barbecue », lorsque vous contestez l’utilité de la densification dans la lutte contre le changement climatique. De quoi s’agit-il ? « Les habitants des zones centrales, des zones denses, des centres villes, explique le géographe Sébastien Mufano (2014), se déplacent plus fréquemment pour le loisir que des habitants des zones périurbaines plus étalées. Cet écart s’expliquerait [...] par le fait que les périurbains, les habitants de l’habitat pavillonnaire, ont un environnement résidentiel plus favorable pour passer leur temps libre, notamment un jardin ou des forêts à proximité. En revanche, les habitants des centres villes devraient compenser ce manque d’environnement vert ou de nature dans leur environnement quotidien et se déplacer plus fréquemment pour en profiter ». Quand vous habitez en ville, vous fuyez la ville lors de vos loisirs parce que vous ne supportez plus ce cadre urbain invivable (par exemple, vous prenez l’avion). Quand vous habitez dans le péri-urbain, vous ne bougez pas, vous faites des barbecues.

Ces réflexions remettent en question le caractère durable des villes denses. Ce qui est l’un des arguments de la construction aux Vaites comme élément de réponse à l’étalement urbain.

Vous citez à l’appui de cette idée une étude de 2010 qui est pourtant bien moins affirmative que vous semblez le dire. On y lit en effet : « ces recherches posent l’hypothèse de l’existence d’un comportement de "compensation" en lien avec la forme urbaine ou des éléments tels que l’accès aux espaces verts. Cela reste une hypothèse et des recherches doivent encore être réalisées pour clarifier les mécanismes en cause » (page 31). On y apprend aussi la chose suivante : « Ces analyses soumettent quelques pistes intéressantes, mais les données utilisées sont anciennes et ne permettent pas de rendre compte des tendances actuelles » (p. 32).

Mais laissons ces études déjà anciennes pour de plus neuves. Des études empiriques récentes remettent en cause l’hypothèse que vous soutenez. Citons-en deux. D’abord celle de Sébastien Munafo : « Forme urbaine et mobilités de loisirs : l’« effet barbecue » sur le grill » (2017) et celle de Quang-Nguyen Nguyen, « Articulation temporelle des mobilités individuelles en France et impact CO2 » (2014), étude qui pose la question suivante : « Des citadins vertueux en semaine et forts émetteurs le week-end ? ».

Ces études relativisent fortement « l’effet barbecue ».

Tout d’abord, les déplacements occasionnels des urbains ne sont pas tous des déplacements de loisir, loin de là. Ils sont aussi largement des déplacements liés à l’activité professionnelle. Ces déplacements sont liés à la structure économique des territoires urbains et non à la densité de la population.

Ensuite, les déplacements de loisir très énergivores ne sont pas tous des déplacements « compensatoires », c’est-à-dire une fuite du cadre urbain pour aller au vert. « Une grande partie de nos mobilités de loisirs, écrit Sébastien Munafo, est d’abord réalisée en vue d’entretenir des liens sociaux, rendre visite à nos familles, fréquenter les bars, les restaurants ou encore, profiter d’aménités culturelles. Autant d’activités qui ne sont pas fondamentalement liées à des espaces naturels ». Par ailleurs, nombre de déplacements de loisir sont des déplacements vers d’autres villes. Grâce aux compagnies lowcost, on va de Paris à New York ou de Lyon à Londres. Donc « oui », il peut exister un lien entre habiter en ville et se déplacer sur de longues distances pour ses loisirs, mais « non », ça ne s’explique pas prioritairement par le manque de verdure du cadre urbain. L’étude que vous citez rappelle les nombreux autres facteurs expliquant cette mobilité des urbains, facteurs étrangers à l’idée de « compensation » : « L’augmentation de l’espérance de vie, l’existence de nombreux jeunes retraités, l’arrivée tardive du premier né dans les ménages, la réduction du temps de travail, les nouvelles technologies de communication, ainsi que l’apparition des compagnies aériennes « low cost » vers la fin des années 1990, ont certainement eu un fort impact sur la mobilité à grande distance ». Bref, les motivations des mobilités occasionnelles sont largement indépendantes des environnements urbains.

Enfin, pour la part des loisirs, liée au besoin de « compensation », il existe des solutions. Développer les transports publics qui vont des villes vers les campagnes proches et parallèlement, limiter les voyages en avion, ainsi que le propose François Ruffin, en mettant en place un quota carbone individuel, quota qui a l’avantage de ne pas pénaliser en premier lieu les classes populaires.

 Nous laisserons la conclusion à Jean-Marc Jancovici du Shift Project : dans un monde soutenable, « il est vraisemblable que les villes seraient globalement plus denses que maintenant (ou en tous cas pas plus étalées), la zone urbaine la plus vertueuse sur le plan énergétique étant la zone dense ». Parallèlement à cela, « il faut assurément remettre en cause le modèle politique de la métropolisation, et donc faire dégonfler les grandes villes », ce que Besançon n’est pas. On ne fera pas dégonfler les métropoles, Lyon, Paris, Marseille, etc. sans faire gonfler aussi, mais pas seulement, les villes moyennes.

Alors bien entendu, ces éléments n’apportent pas de réponses absolues et définitives mais apportent un cadre allant au-delà d’un simple anathème concernant l’ancienneté ou non d’une vision écologique, et permettent un débat serein basé sur des données scientifiques concrètes.

En conclusion, les Vaites un projet à améliorer mais à mener

Pour terminer, le projet est loin d’être parfait et mérite d’être revu, c’est pourquoi la position de madame la maire concernant un GIEC local afin de prendre en compte les questions environnementales va dans le bon sens. Néanmoins lorsqu’on voit que dans la périphérie bisontine, des villes comme Braillans ont vu leur population doubler en 10 ans, ou encore Saint-Vit qui a vu son nombre d’habitants augmenter de 10% dans la même période alors que Besançon la ville-centre, elle, perdait des habitants, on se dit qu’il y a urgence….

Ce qui signifie très concrètement qu’on bâtit dans le Grand Besançon, sur des surfaces bien plus grandes qu’aux Vaites, sans que cela suscite de réactions...

On a reproché l’utilisation du terme « écologie champêtre », en prétextant que celui-ci décrédibilise inutilement un mouvement de lutte. Dont acte, nous allons alors simplement parler d’une vision écologique partielle, partiale et non populaire, qui est indifférente aux données, abandonne les classes populaires et ne cherche plus à changer le monde.

Pour terminer je vais reprendre un slogan souvent utilisé pour mettre en avant la nécessaire imbrication entre questions sociales et environnementales.

L’écologie si elle ne prend pas en compte la question sociale se résume à du jardinage.

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