Le jour de l’adoption par l’Assemblée de la République de Serbie de la déclaration condamnant le massacre de Srebrenica, le président serbe Boris Tadić a invité à Belgrade le président de la Chambre des peuples (une des deux chambres de l’Assemblée de Bosnie-Herzégovine) et leader du SDA, premier parti bosniaque, Sulejman Tihić.
Dans une interview au quotidien serbe Danas, Tihić juge l’adoption de la déclaration comme étant « un important pas en avant dans la confrontation avec le passé, autrement dit avec la vérité de ce qui s’est passé à Srebrenica ». Il fait part aussi de l’accord donné à sa visite à Belgrade.
A l’issue de plusieurs mois de débats, d’hésitations, de spéculations, l’Assemblée serbe, dans la nuit du 30 au 31 mars, a voté largement (127 députés de la coalition au pouvoir dirigée par le Parti démocrate du président ainsi que le Parti socialiste et d’autres formations des minorités ont voté pour ; 21 ont voté contre, 15 se sont abstenus et 2 n’ont pas pris part au vote) un texte qui condamne le massacre de Srebrenica et présente les excuses du peuple serbe aux victimes. Lors du conflit yougoslave, la ville de Srebrenica en Bosnie orientale est tombée aux mains de l’Armée de la République serbe (Republika srpska, entité serbe en Bosnie-Herzégovine) le 11 juillet 1995, peu défendue au final par les troupes musulmanes qui pour certaines ont commis des exactions dans les villages serbes alentours. Le lendemain, les militaires serbes investissent une base de la FORPRONU (tenue par les soldats néerlandais à Potočari) et organisent l’évacuation de femmes et enfants. Les hommes en âge de combattre sont isolés et sont exécutés tout comme d’autres qui tentaient de rejoindre Tuzla en zone croato-bosniaque. A l’automne, les traces des différents lieux de massacre font l’objet de tentatives de dissimulation par les autorités de la République serbe. La croix rouge a évalué le nombre des victimes à environ 7.300, estimant toutefois que certaines avaient pu être recensées plusieurs fois.
Pendant des débats tendus où la contradiction a été portée par les membres du Parti radical serbe et ceux du Parti progressiste serbe qui ont voté contre la déclaration, la réalité des crimes n’a toutefois pas été niée. Rappelons que le Parti progressiste est une dissidence du Parti radical qui dépend encore de l’inculpé Vojislav Šešelj à La Haye et vante Ratko Mladić le chef militaire des Serbes de Bosnie fugitif et responsable du massacre de Srebrenica. Le contentieux a porté sur la nécessité corollaire que les autres pays condamnent de la même manière les crimes commis contre les Serbes. Le texte de la déclaration ne mentionne pas le terme de génocide mais prend en considération le verdict prononcé par la Cour Internationale de Justice de La Haye le 26 février 2007, condamne le crime et affirme que tout sera fait pour arrêter ceux qui l’ont perpétré s’ils se trouvent en Serbie.
Les commentaires à Belgrade, spéculent, d’une part sur la sincérité du contenu et de l’initiative (volonté principale de plaire à l’Union européenne pour progresser dans les démarches en vue de l’adhésion), d’autre part sur la position de faiblesse dans laquelle la Serbie se placerait ainsi vis-à-vis des pays de la région.
Après des réactions d’insatisfaction et de déception en Bosnie-Herzégovine (Madame Mehmedović, présidente de l’Association des Mères de Srebrenica, a perçu également une manœuvre destinée à séduire les instances européennes, d’autres soulignent le refus d’employer le terme de génocide) le ton adopté par Tihić est marqué par une volonté de « prendre au mot » les responsables de l’initiative à Belgrade et de répondre aux offres de dialogue renforcé. Le leader de la République serbe, Milorad Dodik, trouve lui le texte « inutile » et semble disposé à relancer une compétition victimaire, y compris en se référant aux victimes serbes de la Seconde guerre mondiale (à l’instar des campagnes d’opinions qui ont précédé les conflits des années 1990).
Pour S. Tihić : « Même si dans la déclaration le terme génocide ne figure pas, le jugement de la Cour Internationale de Justice de La Haye est mentionné, et celui-ci mentionne le terme de génocide, le nombre de victimes et qui sont les responsables… Je pense qu’il est préférable de faire état du jugement de la Cour de La Haye plutôt que d’employer simplement le terme de génocide. » Le jugement de la CIJ établissait que, si la Serbie n’avait ni commis, ni incité, ni été complice du génocide à (Srebrenica), elle n’avait pas rempli ses devoirs d’en empêcher la perpétration puis de punir et particulièrement extrader Ratko Mladić au Tribunal pénal international. Le leader bosniaque anticipe le développement de meilleures relations diplomatiques entre voisins de Serbie et Bosnie-Herzégovine, de même qu’un climat meilleur au sein du Parlement de son pays. Il semble douter cependant des intentions et des menées de Dodik en République serbe. Selon lui, tant que ce dernier sera en position de force, une déclaration de condamnation des crimes de Srebrenica ne pourra pas être adoptée au Parlement de Bosnie-Herzégovine. En tout état de cause, Tihić se prépare à faire ce voyage à Belgrade (que la diplomatie turque aurait également favorisé).
Tout symbolique que soient ces propos et ces actes (d’abord aux yeux des rescapés et réfugiés dont les conditions de vie demeurent très précaires), ils n’en ont pas moins une influence sur des opinions publiques qui ont évolué mais restent promptes à se crisper sur ces sujets. Ils tendent à encourager ceux pour qui les perspectives européennes (moins exaltantes qu’il y a encore cinq années) sont fondées sur la nécessité de rapprochements initiaux entre « ex-Yougoslaves » et à affaiblir ceux qui se font les vecteurs des replis ethno-nationalistes. La presse internationale a beaucoup titré sur l’acte du Parlement de Serbie et l’a présenté comme la preuve d’une « volonté de rompre avec le passé ». Ne s’agirait-il pas plutôt de l’exigence de prendre à bras le corps ce passé justement et de conjurer les forces qui ne manqueront pas de tenter les uns et les autres, à la « faveur » d’une dégradation des conditions de vie matérielles et spirituelles des peuples de la région ?