Philosopher en dialoguant

- Est-ce que tu penses que le dialogue fait partie des besoins de l’âme ?

- Pourquoi demandes-tu ça ?

- Parce que je viens de lire "L’enracinement" de Simone Weil et elle analyse les besoins de l’âme. Elle parle des besoins de l’âme : l’ordre, la vérité, la sécurité, le risque. Et je demande : est-ce qu’il faut ajouter le besoin de dialogue ?

- Oui, bien sûr qu’on a besoin de dialogue ! Tout le monde dialogue, dans les bars, dans les restaurants, en famille, en couple.

- Il y a un problème dans ton argument. Ce n’est pas parce que tout le monde fait une chose que nous en avons besoin.

- Tu me fatigues à voir des problèmes dans mes arguments ! Mais au moins es-tu capable de dire pourquoi l’âme a-t-elle besoin de vérité ?

- Ouh là, tu t’emportes simplement parce que je vois un problème dans ton argument ! Est-ce si dramatique ? 
Mais je réponds à ta question. Dans son livre Simone Weil montre plutôt comment une société peut permettre de satisfaire le besoin de vérité mais elle ne dit pas pourquoi nous en avons besoin. Eh bien, je propose une hypothèse. De même que le corps a besoin de nourriture pour se fortifier, de même l’âme a besoin de vérité pour se fortifier. Lorsque nous sommes dans le mensonge, dans l’incohérence nous ne pouvons pas agir ou nous agissons par erreur et nous ne pouvons rien construire de solide. Par exemple Simone Weil, dès 1936, dénonce les incohérences de la France qui d’un côté prône les lumières, l’égalité, l’émancipation mais de l’autre pratique l’obscurantisme, l’inégalité, la soumission des peuples qu’elle colonise. La philosophe dénonce l’incohérence de son pays et des actions qui affaiblissent son avenir et son âme.

- Tu proposes donc que la vérité nous rend plus fermes et plus puissants. Mais elle peut aussi nous fragiliser regarde un peu Edward Snowden qui a révélé des vérités sur son pays les États-Unis, depuis lors sa vie a basculé et il ne peut plus connaître la tranquillité.

- Certes Snowden a renoncé à la puissance extérieure qu’offre la richesse et le prestige d’un poste à la NSA. Mais c’est une puissance extérieure qu’il a troquée contre une puissance intérieure. S’il avait continué à être le témoin complice des malversations de son pays, il aurait sombré dans le trouble et la confusion. Les tyrans, tout-puissants soient-ils grâce à leurs appuis extérieurs, finissent par s’effondrer sous le poids de leurs mensonges. Ils se perdent dans leur propre confusion.

- D’accord pour la vérité qui m’apparaît en effet comme un besoin de l’âme. Mais quel lien établis-tu avec le dialogue ? On peut dialoguer pour échanger avec les autres mais sans chercher la vérité comme on fait quand on parle au restaurant ou au café par exemple.

- J’appelle cela plutôt bavarder. Le dialogue au sens fort de ce terme implique une recherche de vérité. "L'être se cache sous la langue" comme dit un proverbe arabe. On examine plusieurs idées, on les compare, on les critique et on choisit celle qui nous semble la plus vraie. C’est très simple à comprendre en théorie mais c’est très difficile à mettre en pratique.

- Pourquoi ?

- Parce que l’ego, c’est-à-dire notre attachement à notre image, s’invite généralement dans le dialogue.

- Et quel est le problème pour la vérité ?

- Nous préférons mettre en valeur notre image, la défendre et attaquer tout ce qui pourrait la remettre en question plutôt que chercher des idées. Nous avons peur de perdre la face et nous voulons paraître intelligent. Souvent nous aimons davantage notre ego que la vérité et nous ne sommes pas prêts à dialoguer pour examiner celle-ci avec désintéressement.

- Mais est-il possible de faire autrement ? Est-il seulement possible de penser de façon désintéressée ?

- Oui si on renonce à cette image de soi.

- Comment ?

- En commençant par comprendre qu’elle n’est qu’une illusion que nous avons fabriquée. Ensuite on peut observer cette illusion plus ou moins grossière que nous avons construite au fil notre existence. Nous pouvons la questionner, l’examiner. Alors il devient plus facile de dialoguer, nous tenons moins à défendre cette illusion, nous devenons un peu plus capable d’observer la vérité de façon désintéressée.

- Donc le dialogue est-il un besoin ?

- non car c’est la vérité qui est un besoin mais le dialogue est la voie royale vers la vérité. La vérité c'est la fin, le dialogue le moyen.

- Pourquoi la voie royale ?

- Car il nous permet non seulement d’examiner d’autres points de vue. Mais il nous donne aussi l’occasion de nous détacher de notre ego car nous pouvons nous observer dans le regard de l’autre, nous pouvons mesurer nos résistances, nous questionner sans relâche grâce aux autres : suis-je en train de défendre une idée parce que j’y ai attaché mon ego ou bien parce qu’elle me parait juste et vraie et parce que je suis en mesure de montrer pourquoi ?

Commentaires

  • Jean Bernard EMONIN

    L’un des deux protagonistes

    L’un des deux protagonistes affirme que » les tyrans, tout-puissants soient-ils grâce à leurs appuis extérieurs, finissent par s’effondrer sous le poids de leurs mensonges. Ils se perdent dans leur propre confusion. » J’aimerais que ces affirmations soient argumentées. Merci de m’éclairer.


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