Permettez à un éleveur laitier de faire un peu de sentiment !

Le gouvernement prépare les derniers arbitrages pour soumettre à la Commission européenne son projet de Plan Stratégique National pour la nouvelle PAC (Politique Agricole Commune) qui apporte 9 milliards € par an à la France. L’objectif du bien-être animal risque, une fois de plus, d’en faire les frais. Parlons du cas des veaux laitiers.

Imaginez que vous êtes éleveur laitier :

Une de vos belles vaches Prim-Holstein donne naissance à un veau. Vous vous levez la nuit pour surveiller la mise- bas. Votre vache se donne beaucoup de mal, et son veau naît. La mère le lèche affectueusement. C’est un mâle. Le petit se débat avec ses longues jambes maladroites, il réussit à trouver la mamelle. Quelques heures plus tard, vous enlevez le veau à sa mère parce que, comme toujours, c’est vous qui récupérez le lait pour le vendre. La mère, enfermée dans sa case, suit son veau du regard, elle essaie de le suivre, sans succès. Vous posez le veau seul dans une niche à veau, vous lui donnez le colostrum. Il restera seul, parce que la seule chose qui compte pour vous, c’est le sanitaire : pas de contagions entre animaux. Mais vous ne pouvez rien en faire, il vaut à peine 60 €. Quand il sera âgé de 2 semaines, il sera ramassé dans un camion comme l’immense majorité des veaux laitiers mâles, avec d’autres veaux, emmené dans un centre de tri et d’allotement. S’il supporte le voyage, la faim et la soif, il sera  traité aux antibiotiques et finira dans un atelier d’engraissement industriel, où (en attendant son tout dernier voyage) il passera 5 mois dans une case exiguë aux normes minimales, d’abord seul, puis en petit groupe, sur des sols perforés durs et inconfortables laissant passer les courants d’air. Il ne connaîtra jamais un congénère adulte, ni le soleil ni la pluie, ni un arbre ni une fleur, et ne saura pas ce que c’est de courir ni de sauter ni de jouer ni de téter au pis, il ne connaîtra ni paille ni litière, il ne saura jamais quelle est l’alimentation naturelle d’un jeune veau, car jamais il ne pourra goûter du vrai lait ni de la vraie herbe ni du vrai foin, et jamais il ne sera léché ni protégé ni accompagné ni instruit par sa mère. Vous, l’éleveur qui a fait inséminer la vache pour qu’elle donne naissance à ce veau, vous savez tout cela. Quand vous le voyez partir dans le camion, votre petit veau, vous vous plaignez du peu d’argent que vous touchez. Et peut-être êtes-vous de ceux qui ont déjà ressenti un petit pincement de cœur, parce que vous savez que votre petit veau sera malheureux. Mais un chef d’entreprise ne donne pas dans la sensiblerie ?

« Il faut » que ce soit ainsi ? Vraiment ?

Une autre vie de veau laitier mâle est possible. Si la PAC le veut bien…

Le Collectif Plein Air, plusieurs fédérations de France Nature Environnement et des associations locales demandent au gouvernement de mettre en œuvre cinq niveaux d’amélioration du bien-être des veaux laitiers, allant de l’urgence immédiate à l’expérimentation de l’excellence. Au centre des propositions, une idée originale : encourager les éleveurs laitiers à garder leurs veaux mâles à la ferme. Ne plus les envoyer sur la route et dans les ateliers d’engraissement industriels permettrait en même temps une réduction substantielle de la consommation d’antibiotiques. Ce serait aussi une voie honnête et éthique vers la transition agro-écologique dont la planète a besoin et, entre autre, vers un meilleur équilibre entre lait et viande, en privilégiant le pâturage quel que soit le type racial (allaitant ou laitier) des bovins.

Téléchargez notre courrier au cabinet du Ministre de l’agriculture et le plaidoyer en Annexe

Comment améliorer le bien-être des veaux laitiers destinés à la boucherie

Nous identifions cinq niveaux de progrès pertinents :

1) Un nouveau socle facilement accessible, sans coûts particuliers : mettre fin à toute privation en fer et à toute grille de paiement valorisant la couleur claire due à l’anémie, et placer les veaux en groupe dès le départ, sans phase d’isolement.

2) Un logement amélioré : confortable avec litière, spacieux, et une alimentation à volonté qui satisfait le besoin de succion. Pour augmenter encore le niveau d’ambition, rajouter une aire d’exercice  et/ou du pâturage.

3) Le maintien des veaux mâles à la ferme qui les a fait naître : cela réduira avec certitude et sensiblement la consommation d’antibiotiques et s’intègre dans une transition cohérente vers l’agroécologie et vers une alimentation durable.

4) L’élevage des veaux auprès de vaches nourrices, avec pâturage saisonnier : profitable pour la croissance et la santé des veaux, favorable à certains comportements naturels, faisable pour de très nombreuses fermes, mais seule la solution (5) prend aussi en compte les besoins de la mère.

5) Le maintien du veau auprès de sa mère : la solution idéale et naturelle, puisqu’elle répond aux besoins de la vache et du veau, mais aussi la plus éloignée des pratiques actuelles. Elle relève encore de l’expérimentation, mais la filière lait aurait tout intérêt à s’y préparer. Prévenons tout  malentendu : il n’est pas question de 2 ou 3 semaines auprès de la mère (suivies d’une séparation déchirante), mais d’une durée prolongée, idéalement jusqu’au sevrage naturel, et en tout cas sans sevrage brutal.

Les outils de la PAC permettraient de soutenir ces différents niveaux d’amélioration :

  • La conditionnalité peut valider un socle général.
  • L’écorégime peut rémunérer un logement amélioré.
  • Des aides couplées pour garder les veaux laitiers de boucherie à la ferme où ils sont nés, peuvent répondre à l’objectif de réduire la consommation d’antibiotiques, aux objectifs généraux et spécifiques de la PAC, et à des justifications d’ordre économique. Contrairement aux critères d’éligibilité de race et de carcasse appliquées à des veaux dans le passé, il faut un soutien aux veaux laitiers quel que soit le type racial, sur des critères de bien-être animal.

·         Des aides du second pilier (FEADER), gérées par les Régions, peuvent apporter  une  grande souplesse en fonction des projets, investissements et pratiques, aussi pour élever les veaux avec des vaches nourrices et idéalement auprès de leur mère, y compris en soutien à des transitions.

  • Différentes mesures sont disponibles pour soutenir la transformation et la commercialisation.

La recherche et l’expérimentation sont indispensables, en assurant que les financements arrivent chez les éleveurs eux-mêmes qui travaillent pour l’acceptabilité sociétale de la production laitière.

Quelques-uns de nos dossiers récents :

  • Le Change (Bassillac et Auberoche, Dordogne) : atelier d’engraissement de 800 veaux sur caillebotis. Projet abandonné (en lien avec un recours) Intégrateur: VanDrie. Voir aussi L214 L’enfer des veaux à l’abattoir de SOBEVAL
  • La Courtinière-La Baconnière (Mayenne) : 424 veaux laitiers sur caillebotis, en cage individuelle jusqu’à 5 semaines, prises de sang pour maintenir une anémie contrôlée. Intégrateur : Denkavit. Enregistré le 16/12/2020.
  • Pommerieux (Mayenne) : centre d’allotement de 650 places de très jeunes veaux laitiers, mais présence simultanée inférieure à 24 h : jusqu’à 1 250 veaux. Aucun soin curatif sur place. Equarrissage. Expédition des veaux vers la France ou l’étranger. Enregistré le 12 octobre 2020.
  • Balschwiller (Haut-Rhin) : 496 veaux laitiers sur paille. Enregistré le 8 octobre 2020.

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