Notre Dame des Landes : que faire de la victoire ?

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« Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » serait d’après un passage du Discours de la Méthode, publié par le mathématicien-philosophe René Descartes en 1637, ce que les hommes parviendront à faire lorsqu’ils auront développé leur savoir par la connaissance de la science. Cette pensée de conquête et de domination de la nature a largement inspiré, depuis cette époque, l’esprit scientifique qui a permis le développement économique irraisonné que nous connaissons actuellement avec l’appui des responsables politiques.

Cette pensée a sécrété la nécessité absurde de la croissance sans limite avec pour résultat la création de projets coûteux et inutiles, le pillage des ressources naturelles, l’artificialisation des terres et -conséquence logique- le bouleversement climatique. Une réflexion nouvelle émerge maintenant avec l’anthropocène : l’époque de l’histoire de la terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre. Le chemin que nous avons suivi pendant 400 ans est à un tournant, souhaitons que le virage qui s’amorce nous permette dans l’avenir de vivre en lien et en communion et non pas en opposition avec notre milieu naturel.

Pour l’heure, 1650 hectares de terre agricoles et de zones humides qui constituent un magnifique bocage avec l’abandon le 17 janvier du projet de transfert de l’aéroport de Nantes à Notre Dame des Landes sont sauvés, mais toute victoire a ses limites et il appartient désormais aux responsables des différentes associations et syndicats agricoles en partenariat avec les élus et services administratifs d’organiser l’avenir de ce secteur, préservé de l’agriculture industrielle, véritable joyau dans son écrin demeuré naturel, arraché de haute lutte à l’appétit du financier et grand bétonneur de la planète : Vinci, avec la très grande complicité de bon nombre d’élus.

Racheter des fermes devenues propriétés de l’Etat par décision des tribunaux...

La totalité des terres appartiennent actuellement à l’Etat. Les anciens propriétaires, expropriés ou qui ont négocié, sont prioritaires pour racheter leur ancienne propriété. Un propriétaire de taille : le département de Loire Atlantique va récupérer les 850 hectares de terres qu’il a données à l’Etat dans le cadre de sa participation à la réalisation du projet. Il faut un certain temps pour savoir comment vont se comporter les anciens propriétaires et quel sera le projet du département, désavoué dans son projet de construire un aéroport à Notre Dame des Landes. Les quatre exploitations agricoles historiquement en place, conservent bien entendu leur droit à exister, mais là encore rien n’est simple puisqu’il leur faut racheter leurs fermes devenues propriétés de l’Etat par décision des tribunaux avec en face, heureusement, de l’argent à la Caisse des Dépôts et Consignations puisqu’ils ont refusé l’offre qu’on leur proposait.

Outre les paysans historiques, cinq exploitations agricoles ont vu le jour sur la ZAD en quelques années. Bien que les terres aient été squattées, ces jeunes zadistes ont réussi à s’installer au même titre que d’autres agriculteurs avec un dossier en bonne et due forme. Alors que le projet d’aéroport est abandonné, entre 5 et 10 souhaitent faire la même démarche. Dans le même temps, ce sont aussi des artisans appartenant à différents corps de métiers qui émettent le vœu de pérenniser leur activité sur la ZAD. Des négociations entre les différentes associations (Acipa, Adeca, CeDpa, Coordination des opposants, Copains 44 représentant des zadistes) et la préfecture de Loire Atlantique vont commencer le 7 mars prochain.

Créer une société foncière - à l’instar du Larzac - qui louerait les terres à différents propriétaires ?

La Chambre d’Agriculture ainsi que différents syndicats agricoles seront également associés. Si la question de conserver l’espace à l’agriculture ne se pose plus, l’objectif majoritaire vise à réinstaller des paysans nombreux sur des petites structures, tout en conservant la caractère exceptionnel du bocage. Les associations vont sans doute proposer de créer une société foncière -à l’instar du Larzac- qui louerait les terres à différents propriétaires (Etat, département, privés) pour les répartir ensuite entre des porteurs de projets ayant fait le choix de l’agriculture paysanne.

Sans doute que la Chambre d’Agriculture, la FNSEA et les agriculteurs environnants qui n’ont pour idéal que l’agrandissement de leur ferme ne partagent pas ce projet. Ce sera la difficulté des négociations en même temps qu’il faudra convaincre quelques ultras à abandonner la résistance -au demeurant héroïque- pour construire un projet en commun, compatible avec l’état de droit. Notre Dame des Landes peut être le ferment d’un contrat social qui permettrait de réhabiliter la notion de communauté basée sur l’échange et la partage plutôt que cette concurrence sans fin qu’on nous impose actuellement. Il y a dans ce lieu un savoir-faire extraordinaire et un niveau de réflexion enrichi par le « vivre ensemble ». Dans l’avenir, on viendra y puiser des ressources et ce qui aura été construit ici servira de référence.

L’air est devenu d’un seul coup plus léger

Aujourd’hui, la ZAD respire, l’air est devenu d’un seul coup plus léger. Paysans historiques, les Fresneau installés depuis cinq générations peuvent envisager de continuer à vivre sur cette terre où ils sont si solidement ancrés. Marcel et Sylvie Thébaud vont pouvoir réaliser un vieux rêve : reconvertir la ferme en bio. Claude Herbin envisage, quant à lui, de développer son auberge sociale. Ils ont tous mené le combat avec les menaces, les poursuites judiciaires, les jugements devant les tribunaux ainsi que la visite des huissiers. Ils ont refusé d’échanger leurs biens, leur terre, leur vie contre de l’argent, autrement dit des écritures en banque, versé depuis longtemps à la Caisse des Dépôts et Consignations. Ils peuvent maintenant établir des projets après des années et des années où toute initiative était bloquée puisqu’ils étaient dépouillés de la propriété de leur outil de travail et qu’une lourde hypothèque pesait sur leur avenir. De projets, nous en avons tous besoin. C’est ce qui nous anime et nous fait vivre. Ils donnent un sens à notre vie.

Julien Durand peut se retourner fièrement sur ce qu’il a défendu et construit. L’Acipa a été créée en 1973 ; 45 ans de combat, une vie au service d’une cause pour que le bocage breton à cet endroit ne soit pas bétonné. Une vie à trouver des arguments pour convaincre, à organiser des réunions, des manifestations, à rencontrer les élus, les avocats, les journalistes sans jamais se renier, mais avec toujours l’espoir d’obtenir un résultat à l’issue de cette lutte inouïe. Belle récompense pour lui ainsi que Bernadette son épouse qui a œuvré elle aussi dans cette aventure fantastique, lorsque la décision gouvernementale est tombée le 17 janvier.

La part des Franc-Comtois à la lutte

Dans le Jura et la Franche-Comté, nous avons le sentiment d’avoir apporté notre pierre à l’édifice : création du collectif Notre Dame des Landes, liaison en permanence avec les associations et les résistants sur le site, participation plusieurs fois à des manifestations à Notre Dame des Landes, manifs à Lons et à Besançon, rencontres avec les autorités locales pour faire part de notre soutien. Dans cette suite logique, nous nous sommes déplacés nombreux le 10 février pour fêter la victoire. A terme, la solidarité crée une force exceptionnelle. Ne sous-estimons jamais notre part de colibri, si souvent évoqué par Pierre Rhabi.

A Notre Dame des Landes, la dernière page d’une longue histoire se tourne. Le vieux monde en a pris un coup, le schéma d’un développement sans fin ne tient plus. Un nouveau livre commence à s’écrire sous la plume d’écrivains animés d’une belle pensée et d’une belle énergie. Une autre vision du monde est possible.

Commentaires

  • Merci Claude pour cet bel

    Merci Claude pour cet bel article documenté, au ton mesuré, mais au parti nettement affiché pour conserver une occupation agricole, saluer la résistance des historiques et des autres, et ouvrir les possibles vers une agriculture plus créatrice d’emplois et plus en lien avec les territoires avoisinants. Je vais transmettre ton texte…


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