Ne pas perdre au change

Il pleuvait fort ce jour-là. J'étais installé au coin du comptoir, face à la vitrine. Les voitures passaient dans la rue Chifflet, en soulevant autour d'elles des vagues d'eau. En plein après midi, il n'y avait pas grand monde. Pascal me servait régulièrement de grands cafés allongés en allant en venant derrière son bar, rangeant les bouteilles, vidant le lave vaisselle, faisant quelques comptes sur son grand cahier corné. Je n'avais pas presque pas besoin de lui parler : dés qu'il voyait ma tasse vide, il la remplissait.

Tout à ma rêverie, je délaissai même mon livre que j'avais emporté.

A trois heures, des habitués, sans doute des étudiants en histoire, entrés par la porte du fond, et s'installèrent sur les banquettes. Pascal joua du percolateur, et de la tireuse pour remplir son plateau. Je regardai les notes accumulées sur la soucoupe devant moi, à coté du distributeur de cacachouettes, fit mentalement le compte, réglai puis glissai mon livre sous mon pull, dans mon dos, pour le protéger.

En passant devant le théâtre, je compris que, cheminer sans parapluie, sur la grand route, ce n'était pas vraiment une bonne idée. Au coin, la tête baissée, je faillis renverser quelqu'un.

Elle me regarda en souriant :

« Voulez-vous un peu d'abri ? »

Elle avait en effet, déployé au-dessus d'elle, un immense parapluie.

« Si le recel ne vous dérange pas, je dois vous avouer que je l'ai volé toute à l'heure à une amie.... »

Je passai le dos de ma main sur mon visage pour l'essuyer, lui rendis son sourire d'ange et lui répondis :

« Oui, moi aussi »

Machinalement nous avons commencé à faire quelques pas. Au milieu du parc Granvelle, elle m'a soudainement demandé où j'allais. Je regardai ses yeux, la mèche blonde au dessus de l'oreille. L'eau du ciel faisait un chant joli sur la toile.

« A Battant peut être »

Nous nous remîmes en route. A voir et entendre l'eau tomber sur les toit, se déverser dans les canalisations, dans les chéneaux, monter en épaisses rigoles le long des trottoirs, je me mis à penser au déluge.

« Quarante jours quarante nuit » murmurai-je »

Elle me regarda. Malgré sa gentillesse, elle dut me prendre pour un fou. Un gentil fou, qui aurait pu passer tout le temps du déluge à l'abri de son parapluie.

Mais arrivé au pont, il cessa de pleuvoir. La grand route que nous avions arpentée à petits pas de remplissait de gens qui s'ébrouaient.

Je tirai le livre de derrière mon dos et lui offris.

Puis l'oubliai, rempli d'une douce et éternelle gaieté.

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