Macron, supporter du capitalisme « californien »

Emmanuel Macron veut faire la « Révolution », puisque c'est comme ça qu'il a intitulé son livre de campagne. Transfuge de la banque Rothschild, il a d'abord été conseiller du Président Hollande et le principal inspirateur du tournant libéral de la politique économique en 2014, avant de devenir ministre de l'Économie et des Finances. Ancien de l'ENA, il se présente comme « antisystème ». Au delà d'une mise en scène très médiatique, quels intérêts représente-t-il et quel est son projet politique ? Un chercheur en sciences politiques, Gaël Brustier, dit à son propos qu'il représente le « capitalisme californien », une forme particulière de libéralisme, faite de glorification de l'individualisme, de célébration de la mondialisation et d'économie numérique.

Le capitalisme californien, qu'est-ce que c'est ?

La capitalisme californien est issu de l'hybridation improbable entre le mouvement hippie de la fin des années 60 et le développement de l'ordinateur et d'internet. Au départ, il s'agit plutôt d'un mouvement sympathique, collaboratif et de libre expression, qui fait une large place à la créativité. Mais avec l'émergence des entreprises de type GAFA GAFA : ce sont les géants du Web : Google, Apple, Facebook, Amazon. Ou GAFAM en y ajoutant Microsoft. Grâce à l'évasion fiscale, ces entreprises paient des impôts dérisoires, ce qui est en partie à l'origine des déficits publics et de la dette des États., le modèle californien en a détourné le sens et les codes pour se convertir au capitalisme le plus sauvage. C'est ainsi que des entreprises comme Google ont réussi à capter, au bénéfice de quelques-uns, les résultats de la recherche publique, le travail innovant des jeunes ingénieurs, les plus-values de l'économie collaborative et les données personnelles, et à en obtenir des super-profits. On le voit aussi avec l'ubérisation de l'économie. Au départ, Uber est une forme d'économie collaborative qui, grâce à une plate-forme internet, met en relation une voiture et son chauffeur avec un client. Mais comme le chauffeur n'a plus le statut de salarié, le droit du travail ne s'applique pas et la profession est complètement dérèglementée. Il n'y a plus de protection sociale et de congés payés et, les plates-formes comme Uber pratiquant généralement la délocalisation fiscale, il y a un manque à gagner énorme pour l'État et pour le financement des infrastructures et des services publics.

Le capitalisme californien a inventé des formes de concurrence sauvage très individualistes puisque, avec cette dérégulation, l'État affaibli ne peut plus plus jouer aussi bien son rôle de protection sociale que de redistribution des revenus. Si on n'y prend pas garde, l'ubérisation pourrait se développer très vite dans de nombreux secteurs comme les transports, l'hôtellerie, la réparation ou la rénovation des logements. Le modèle de l'auto-entreprise va dans la même direction, avec la disparition du statut d'employé protégé. On peut craindre qu'elle se développe aussi dans des secteurs plus inattendus comme l'aide à la personne, la santé, l'éducation et même le droit.

Emmanuel Macron antisystème ?

Et Macron dans tout ça ? À travers la loi qui porte sont nom, il a avancé vers la dérèglementation de certaines professions, incité au travail du dimanche, poussé au remplacement du transport ferroviaire par des bus ou par BlaBlaCar. Il a inspiré la loi travail et l'inversion des normesPetit rappel : dans le droit du travail, la loi constituait un socle de garanties. Les accords de branches ou d'entreprises pouvaient intervenir, à condition que les conditions définies soient plus favorables aux salariés. L'inversion des normes, c'est la possibilité que les accords d'entreprises soient moins favorables que la loi.. Après avoir suggéré le CICE, il propose aujourd'hui une nouvelle purge de 60 milliards d'euros des dépenses publiques et la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires. Il annonce, de fait, la fin des 35 heures et propose une retraite à la carte qui se traduira forcément par un nouvel allongement de la durée de cotisation. On est donc bien dans la poursuite d'une politique néolibérale porteuse d'inégalités et d'insécurité au niveau social.

D'ailleurs une partie du patronat ne s'y est pas trompée et regarde sa candidature d'un bon œil. Un article de Corinne Lhaïk dans L'ExpressL'Express n° 3422 du 1er février 2017, page 41. apporte des informations intéressantes sur les soutiens de Macron. On n'est donc pas surpris de retrouver dans ses supporters des patrons de la net-économie, comme les PDG de Meetic, BlaBlaCar, Sigvox et Robopolis. On y apprend même que Pierre Gattaz juge le programme de Macron « intéressant » et qu'il ne prendra pas parti entre lui et Fillon. Le leader d'En Marche ! a aussi parmi ses supporters Jacques Atalli et Alain Minc, deux chantres médiatiques de la mondialisation libérale depuis 30 ans… La publication de la liste des généreux donateurs du candidat d'En Marche ! serait significative, mais il s'y refuse.

Ancien élève de Sciences Po et de l'ENA, ancien banquier, ancien ministre de l'économie et fort du soutien de chantres patentés du libéralisme et d'une partie du patronat, Macron se présente néanmoins comme « antisystème ». Comment une telle imposture est-elle possible ? En fait, son habileté réside dans sa capacité à retourner à son profit la défiance contre les élites, le rejet des partis politiques et le brouillage du clivage droite-gauche découlant du tournant libéral de Hollande.

Un conglomérat d'aspirations contradictoires

D'après Gaël Brustier, la France que représente Macron ne pèse guère que 6 % des électeurs qui sont, en gros, les gagnants de la mondialisation néolibérale. Macron doit donc à tout prix élargir sa base électorale et rassembler suffisamment de partisans aux aspirations forcément variées et contradictoires. Il essaie de contourner ce pari impossible par une forme particulière de populisme, qui est une contestation de façade, en dénonçant les « blocages », le « système », les « appareils ». On pense à la phrase prononcée par Tancredi dans le Guépard : « Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change »Dans le livre de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, adapté au cinéma en 1963 par Visconti, il s'agit de sauver l'aristocratie italienne en prenant la tête de la contestation… contre l'aristocratie..

Mais pour jouer ce rôle d'attrape-tout, Macron est obligé de rester dans le flou ou de tenir sans cesse des propos contradictoires. Ainsi, il trouve que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes n'est pas un bon projet, mais il le réalisera à cause du référendum ; il déclare en Algérie que le colonialisme est un crime contre l'humanité, mais juste après il dit que la colonisation a apporté les Droits de l'Homme ; il n'abolira pas les 35 heures, mais il fera en sorte qu'il y ait le plus possible d'accords dérogatoires. Il n'est pas exclu, hélas, que cet exercice d'équilibrisme puisse tenir jusqu'au premier tour de scrutin.

Au niveau des ralliements, c'est pareil. On trouve dans l'équipe de campagne des patrons de la net-économie, des jeunes loups aux dents bien affûtées et spécialistes du marketing, et des naïfs sensibles à ses discours pseudo-modernes et pseudo-humanistes. D'autres soutiens en soulignent l'aspect hétéroclite : Alain Madelin, Bernard Kouchner, François Bayrou, Patrick Braouezec, Robert Hue… Et parmi ses supporters en Franche-Comté, on voit arriver aussi des vieux briscards du PS, comme Jean-Louis Fousseret (25), Yves Krattinger (70) ou Christophe Perny (39). Pour faire cohabiter tout ce monde, il faut les talents exceptionnels de véritable bonimenteur de foire du leader d'En Marche ! - bonimenteur bien aidé par les dernières innovations du marketing.

Macron, rempart contre le FN ?

On a bien compris que, malgré le titre de son bouquin, Emmanuel Macron ne va pas « révolutionner » le système. Il ne remet en cause ni les traités européens, ni la monarchie présidentielle, ni le mythe de la croissance, ni les dérégulations voulues par la finance et les multinationales. Autrement dit, dans la continuité de Hollande, il nous propose à peu près les mêmes recettes que celles qui ont échoué depuis plus de 30 ans. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, avec une telle politique, avec lui on peut s'attendre au maintien des inégalités exorbitantes, à de nouvelles atteintes aux droits des salariés, des précaires et des chômeurs, et à de nouveaux dégâts sur l'environnement mettant en cause gravement l'avenir de la planète. Ainsi Macron relance la question des gaz de schiste avec le prétexte de l'exploration.

On entend maintenant un autre argument : Macron serait le seul capable de barrer la route à Marine Le Pen. C'est l'argument avancé, par exemple, par Bertrand Delanoë. Il est vrai que, si En Marche ! défend un projet économique peu différent de la droite, il n'est pas aussi conservateur sur les questions sociétales : chez son candidat, pas de propos homophobes, xénophobes ou racistes. Mais il y a problème puisque Macron propose de poursuivre la politique économique qui a favorisé la progression du FN. C'est la mondialisation sauvage qui crée toute cette insécurité au niveau de l'emploi, des conditions de vie et de travail et même de l'identité culturelle ; c'est aussi la mondialisation qui détruit les économies de certains pays africains et qui pousse des millions de personnes à l'immigration économique. Par rapport au Front National, en proposant de poursuivre sensiblement la même politique libérale, Macron joue donc les pompiers-pyromanes.
L'inquiétude quant aux sondages favorables à Marine Le Pen est normale. Son projet de repli nationaliste antieuropéen et antiréfugiés est dangereux pour le niveau de vie, pour la paix civile et pour les libertés démocratiques. Mais tant qu'on ne règlera pas sur le fond la quadruple crise, économique, sociale, écologique et démocratique, l'extrême droite risque de continuer de prospérer. Et Macron ne propose qu'un nouveau coup de Ripolin sur un système usé et incapable de répondre aux aspirations des classes populaires, qui sont les perdantes de la mondialisation.

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