Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports,
Après l’assassinat de notre collègue Samuel Paty, nous, enseignantes et enseignants réunis au sein du Collectif des professeurs de Besançon, tenons à vous interpeller car il est urgent de PANSER l’école et de PENSER autrement son fonctionnement et son organisation.
Tristesse, colère et nécessité de s’engager pour notre jeunesse. Nous sommes nombreux à nous retrouver dans ce triptyque, nous, enseignantes et enseignants du premier degré, second degré et de l’Université.
Après l’attentat odieux contre notre collègue Samuel Paty et l’émotion que ce crime barbare suscite en chacun de nous, divers registres d’analyse doivent être instruits. Trois apparaissent d’ores et déjà : celui de la sécurité, celui de la liberté d’expression et celui de l’enseignement qui nous semble trop oublié.
Celui qui l’emporte dans la réponse apportée pour l’heure par le gouvernement est celui de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme. Il est évidemment de premier ordre et il ne s’agit aucunement de le minimiser. Si, comme toute citoyenne et tout citoyen, nous pouvons avoir un avis sur cette question, en tant que collectif d’enseignant·e·s, nous préférons réagir sur les deux autres points qui sont de notre compétence.
• OUI, la liberté d’expression est au coeur de l’École de la République.
• OUI, nous continuerons à la défendre, à l’expliquer à nos élèves et nos étudiants, à en user avec eux.
• OUI, nous construirons avec eux l’esprit critique qui fait vivre toute démocratie.
• OUI, nous voulons vivre et faire vivre avec eux les valeurs de la République : liberté, égalité, tolérance, diversité, laïcité, respect, fraternité.
Mais est-ce trop demander à la République que d’offrir à ses enfants et à la communauté éducative les moyens, le temps, les espaces pour construire cet enseignement à la liberté d’expression et à la tolérance ? Les incantations ne suffisent pas.
• NON, il n’est pas possible de débattre sereinement dans une classe de 25, 30, 35 élèves et parfois plus.
• NON, il n’est pas possible d’enseigner les sujets sensibles de notre société sans une formation spécifique à ces derniers.
• NON, il n’est pas possible d’échanger dans un temps de plus en plus contraint par les examens, les évaluations nationales et sous la pression permanente qu’ils nous imposent.
Pour mémoire, rappelons ici les propos de Jean Jaurès dans sa lettre aux instituteurs et institutrices :
« Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! »
Ces propos sont d’une actualité déconcertante. Ils le sont tellement qu’ils ont été supprimés de la version proposée par l’Éducation nationale aux enseignant·e·s pour rendre hommage à Samuel Paty.
• Enfin NON, il n’est plus possible de créer du lien et de l’humanité alors que l’évolution actuelle de l’École tend à privilégier l’individu au détriment du collectif.
• OUI, nous, enseignantes et enseignants, avons besoin, plus que d’une confiance « déclarée », d’une reconnaissance de notre professionnalisme pour transmettre sereinement des contenus et des apprentissages exigeants.
• OUI, nous avons besoin de temps pour aider nos élèves à acquérir les savoirs dont ils auront besoin.
• OUI, nous avons besoin de temps consacré, répété et ce, sur la longue durée, pour leur permettre de développer leur intelligence, leur esprit critique et leur compréhension de l’autre.
• OUI, nous avons besoin d’être en petits effectifs.
• OUI, nous avons besoin de liberté pédagogique.
• Et enfin OUI, nous avons besoin que l’État engage un plan massif de financement de la maternelle à l’université : notre République, comme le fit en son temps la Troisième, se doit d’investir dans sa jeunesse, toute sa jeunesse. À cet égard, nous demandons que le financement de l’éducation soit envisagé comme un investissement et non comme une dépense pesant sur la société.
La République ne peut vivre que lorsqu’elle offre à toutes et tous les moyens d’incarner les valeurs qu’elle porte. L’École est le lieu, non pas unique, mais privilégié de cet apprentissage. Que celles et ceux qui en ont la charge en ce moment si critique prennent leur responsabilité et donnent enfin à la communauté éducative les moyens dont elle a besoin pour défendre et faire vivre réellement les valeurs de la République.
Karine Laurent pour le 1er degré
Marie-Pierre Voidey pour le collège
Bénédicte Ponçot pour le lycée
Michelle Laurent-Chareton pour l’enseignement supérieur