Lettre aux femmes et aux hommes des différents corps des forces de l’ordre

Madame, Monsieur,

En espérant que les mots auront plus de poids, de force et d’efficacité que les coups de poing, les coups de matraque, les Flash-Ball et autres bombes de gaz lacrymogène, je m’adresse à vous, de citoyenne à citoyenne, de citoyenne à citoyen.

On vous a fait devenir le bras armé d’un gouvernement qui, à minima, dérape vers un régime totalitaire, anti-démocratique, liberticide. Un gouvernement qui s’attaque à ce dont nous sommes les héritiers.

Le Conseil National de la Résistance, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, alors que le pays était exsangue, nous a laissé un beau programme de reconstruction, celui des Jours heureux.

https://felina.pagesperso-orange.fr/social/programme_cnr.htm

Ce programme sur lequel nous vivons encore ? est sauvagement détricoté par l’actuel gouvernement dont le cynisme et le mépris de classe s’affirment chaque jour.

Y compris à votre égard.

Je n’oublie pas ce que nous devons, et vous aussi, aux luttes ouvrières et syndicales…

Je ne vais pas faire un inventaire des petites phrases et actes quasiment obscènes qui ne cessent de jalonner le parcours de ces citoyens (ils le sont eux aussi) en marche dans la destruction de notre société. Vous les connaissez aussi bien que moi. (Retraites, APL en berne. Coût de la vie qui ne cesse d’augmenter bien qu’on nous affirme le contraire…)

Diviser pour régner. Ce gouvernement n’est pas loin de réussir, ouvrant la porte à toutes les colères devant l’injustice déclinée sous toutes ses formes. Inutile d’en faire la liste, vous la connaissez aussi bien que moi. Ouvrant la porte aussi, à la légitimation d’une violence rarement vue.

Des femmes et des hommes, lassés de l’inertie des syndicats et partis politiques, lassés de leurs divisions, des hommes et des femmes, des familles qui souffrent, se sont organisés.

Ce sont les gilets jaunes, dont je ne suis pas, mais dont je reconnais certaines de leurs analyses.

Mon sujet n’étant pas les gilets jaunes, mais vous, j’arrête là.

Pour vous dire que je ne comprends pas. Ces gilets jaunes, en face de vous lors des manifestations du samedi, c’est vous !

Ou votre voisin, votre voisine, votre père, votre mère, votre sœur, votre frère…

Alors, pourquoi les battre, les matraquer, les éborgner, les gazer ?

Ils dénoncent les déserts médicaux dans les campagnes. Cela vous concerne et vous atteint aussi.

Ils dénoncent les fins de mois difficiles. Cela vous concerne et vous atteint aussi.

Ils dénoncent un manque de consultation démocratique. Cela vous concerne et vous atteint aussi.

Ils dénoncent les inégalités sociales, l'ascenseur qui ne fait plus que descendre dans les sous-sols obscurs de la survie.

Cela vous concerne aussi, et cela vous atteint, si j’en crois le nombre dramatique de suicides qui vous affectent.

Ils dénoncent…

Ils dénoncent…

Faites votre propre liste et voyez en quoi cela vous concerne aussi.

Ce gouvernement ne favorise-t-il pas ce tête-à-tête, ce face à face violent, entre vous et les gilets jaunes ? Vous devenez leur cible, ils deviennent la vôtre.

Pendant ce temps, la Macronie se frotte les mains, continue son travail de sape de nos acquis sociaux, en n’oubliant pas de se gaver, au passage. Homards, grands crus et petits fours d'un côté. Augmentations des demandes d'aide auprès des Restos du cœur, de l'autre côté. Les moyens de notre système de solidarité fondent comme neige au soleil et l'on en revient de plus en plus aux pratiques humiliantes de la charité… Et on vous ordonne de faire régner un ordre de moins en moins républicain.

Si cela continue, Jean, du côté des forces de l’ordre, tuera son frère Victor, gilet jaune.

Abel et Caïn.

Une des explications au meurtre d’Abel par Caïn, est qu’ils n’auraient pas su, ou pas pu se parler.

J’espère en la puissance des mots.

Bien citoyennement. Danièle Secrétant.

Je livre à votre lecture ou à votre relecture de ce beau poème de Victor Hugo : La conscience.

… En espérant que vous ne réincarnerez pas Caïn.

 

La conscience

Victor Hugo

Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l’ombre fixement.
« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l’espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes
L’œil à la même place au fond de l’horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il ; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l’aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
« Etends de ce côté la toile de la tente. »
Et l’on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l’eut fixée avec des poids de plomb :
« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l’enfant blond,
La fille de ses Fils, douce comme l’aurore ;
Et Caïn répondit : « je vois cet œil encore ! »
Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit « Cet œil me regarde toujours ! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle,
Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu’il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d’Enos et les enfants de Seth ;
Et l’on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des nœuds de fer,
Et la ville semblait une ville d’enfer ;
L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L’œil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : » Non, il est toujours là. »
Alors il dit : « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.

 

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