A la séance de la direction du Parti social-démocrate serbe, le matin du 12 juillet 1914, Dragiša Lapčević, l'un des deux seuls députés du parti, a fait état de la situation critique provoquée par l'ultimatum autrichien et annoncé qu'il s'exprimerait à l'Assemblée nationale, la Skupština. Pour Dimitrije Tucović secrétaire du parti, il faut redoubler d'activités à l'Assemblée tout comme en dehors de celle-ci. Conscients de ne pas être en mesure de peser sur la politique étrangère serbe, les socialistes serbes maintiennent que la ligne anti-guerre et hostile au chauvinisme "doit, quoi qu'il en soit, être soutenue avec vigueur".
Un meeting a été programmé pour le soir même à Belgrade : "Travailleurs ! Avant même que nous ayons à payer les dégâts humains et matériels des sanglantes années 1912 et 1913, à tout instant on peut chercher de vous de nouveaux sacrifices. Un nouveau danger de guerre met en question non seulement la paix dans les Balkans mais aussi en Europe. Craignez que, derrière le conflit serbo-autrichien que l'ultimatum autrichien a rendu imminent, ne se cachent des intentions maléfiques des puissants rapaces capitalistes pour nous utiliser comme prétextes à régler leur différents de conquêtes."
Mais le meeting n'a pas été pas tenu : l'ordre de mobilisation générale a été donné dans l'après-midi.
Les sociaux-démocrates serbes s'exprimeront toutefois à l'Assemblée le 31 juillet. Lapčević y dénoncera avec force l'attitude de l'Empire austro-hongrois et louera la critique qu'en fait alors la social-démocratie autrichienne de Victor Adler : "La guerre doit être empêchée, la paix doit être conclue entre les deux pays, des relations normales, saines et amicales doivent être instaurées entre les peuples… Nous refusons cette guerre… il ne faut pas qu'à cause d'un conflit entre l'Autriche-Hongrie et la Serbie, qui peut se régler d'une manière pacifique, le monde entier s'engage dans un conflit meurtrier… Je crains que le gouvernement serbe ne soit un jouet entre les mains de certaines grandes puissances… La guerre européenne qui s'annonce ne sera pas seulement terrible pour tous les peuples européens mais dommageable pour la civilisation… Si les Balkans succombent cela ne peut pas être bon pour le peuple serbe. Seuls l'unité balkanique, des Balkans en paix, forts et indépendants peuvent permettre au peuple serbe de conserver son indépendance." Le député dénoncera ensuite les fautes du gouvernement : le concours à la division des Balkans profitable aux Puissances ; la guerre à la Turquie qui a renforcé cette division ; la guerre fratricide contre la Bulgarie ; la politique guerrière contre le peuple albanais et l'asservissement à la diplomatie russe et à la Bourse de Paris. Il défendra une "fédération de républiques balkaniques" (Serbie, Bulgarie, Roumanie, Grèce, Albanie et Monténégro) et proposera en ce sens et en préalable, une union douanière, une intégration des moyens de transports, une union monétaire, un parlement commun et une défense populaire commune en place des armées existantes. L'influence des sociétés secrètes "chauvines" (Ujedinjenje ili smrt, L'union ou la mort dite aussi La Main noire, non citée mais visée sans aucun doute) est aussi dénoncée par Lapčević à cause "des périls extérieur et intérieur qu'elle font peser, de leur illégitimité face au Parlement". Le député lancera pour finir un appel à la préservation de la paix au nom de son parti, membre de l'Internationale socialiste.
Le Parti social-démocrate serbe sera le seul parti en Europe, avec le parti bolchévique à la Douma, à ne pas voter les crédits militaires à la veille du ravage meurtrier de la "grande Guerre".
Le Parti social-démocrate serbe (SSDP) est créé en 1903. Il adopte d'emblée le programme dit d'Erfurt de la social-démocratie allemande, en vigueur depuis 1891 et nettement marxiste. Il est toutefois pluriel, composé de réformistes et de révolutionnaires, marxistes ou anarcho-syndicalistes. Dimitrije Tucović en est le secrétaire à partir de 1908, concourant à son essor : triplement de ses effectifs en 1909 et jusqu'à 3.000 membres en 1911 (près de 80% d'ouvriers, dans un pays qui reste à dominante agricole). Il est notamment à l'initiative de la première Conférence socialiste des Balkans à Belgrade en janvier 1910. Fils d'un prêtre de province, syndicaliste, juriste et journaliste brillant, Tucović est aussi sous-officier de réserve. Il meurt pendant la bataille de la Kolubara en novembre 1914.
Dragiša Lapčević, originaire de la même région de Serbie du sud-ouest, a été le tout premier représentant du Parti social-démocrate. Autodidacte, élu local puis à l'Assemblée nationale, il est aussi de ceux qui fondent le mouvement syndical et animent la presse socialiste au début du 20ème siècle. Dans l'adversité à l'Assemblée, il ne cesse d'attirer l'attention sur la question sociale et vote à plusieurs reprises contre les crédits militaires. Il défend également le projet d'une fédération balkanique car selon lui : "en divisant les Balkans en différents petits pays, vous créez les conditions d'un nouveau conflit entre les peuples et les Etats des Balkans". Lapčević n'adhère pas au cours bolchévique qui s'affirme dans le Parti socialiste ouvrier de Yougoslavie à partir de 1920. Il rejoint le Parti socialiste en décembre 1921, demeure fidèle au marxisme de Kautsky, et meurt à Belgrade le 14 août 1939.
Les éléments d'informations sur les débats dans le parti et à l'Assemblée nationale de Serbie sont extraits de son ouvrage "Rat i srpska socijalna demokratija" ("La guerre et la social-démocratie serbe") de 1925.