Les déterminismes de classe unissent les élites économiques et les élites des pouvoirs publics

Les marxistes insistent beaucoup et à juste titre, sur le déterminisme des structures économiques sur les structures politiques et gouvernementales. Cependant, cela reste à un niveau théorique ou macro-économique, mais les mécanismes plus concrets au plan micro-économiques et politiques sont nettement moins analysés. Nous nous concentrerons donc sur ces derniers aspects et en particulier sur les structures des élites, afin d’analyser comme la classe des élites économiques influencent la classe des élites politiques et des pouvoirs publics.

Les classes des élites économiques et des pouvoirs publics disposent d’intérêts économiques communs. Ce principe fonctionne dans les systèmes capitalistes, mais aussi dans les autres systèmes, qu’ils soient communistes, socialistes, fascistes, monarchique…Les classes sociales s’érigent à la fois sur la base de critères fondées sur le niveau du revenu, sur la nature de la propriété (patrons/salariés), mais aussi critères de nature socioculturelle. Michel et Monique Pinçon-Charlot montrent qu’à la différence de la majorité des classes populaires, les classes sociales économiquement élevées ont une conscience de classe forte, elles connaissent leurs intérêts communs, les défendent et s’entraident fortement pour défendre leurs acquis et leurs intérêts de classe…[2]

La classe sociale des élites des pouvoirs publics (élus, ministres, directeurs de la haute fonction publique…) ne dispose pas majoritairement de la propriété des moyens de production, mais lorsque ces membres possèdent des revenus ou un patrimoine financier suffisant, ils peuvent acheter des actions. Ces dernières leurs confèrent une partie de la propriété des moyens de production et les placent, dans ce cas en partie dans la classe patronale. Cependant, certains présidents élus aux commandes de leur pays, se rangent quant à eux, clairement dans la classe patronale, tels les Bush, propriétaires de grandes entreprises, telles Carlyle aux États-Unis, ou celles de Sylvio Berlusconi, propriétaire de grands médias italien notamment. D’autres ne sont que des parlementaires, mais sont néanmoins aussi membres de l’élite de la classe capitaliste, tel Serge Dassault, le patron d’entreprises d’aviation et de grands médias (le journal Le Figaro). Dans ces différentes situations, il existe un véritable problème de conflits d’intérêts, entre l’intérêt général et l’intérêt privé. Cependant, la plupart des élites politiques en dans les systèmes démocratiques représentatifs ne sont que rarement, en même temps, patrons d’entreprises ou propriétaires majoritaires.

La classe des élites des pouvoirs publics appartient très majoritairement aux classes socio-économiques élevées. Ses membres disposent beaucoup plus hauts salaires que la classe moyenne. Il possède aussi généralement, un patrimoine supérieur à cette dernière, dès le début de leur carrière politique ou publique (pour les bureaucrates), du fait de leurs classes socio-économiques d’origine, qui est généralement élevées. Il y a très peu d’élus nationaux issus de la classe moyenne, encore moins de classe prolétaire et ils sont encore plus rares, parmi les élites des pouvoirs publics. Il existe toujours quelques exceptions, qui permettent aux classes des élites de masquer, ce déterminisme de classe, tel Bérégovoy, un fils d’ouvrier, qui fut ministre sous Mitterrand, mais il se suicida…

La classe des élites des pouvoirs publics dispose d’un patrimoine au dessus de la moyenne, du fait de leur classe socio-économique de naissance. Ce patrimoine s’accroît continuellement grâce à des salaires ou des honoraires élevés. De nombreux députés, ministres ou conseillers, travaillent dans le privé, avant, pendant, ou après l’exercice de leur mission au sein des pouvoirs publics. Ainsi, leur intégration dans la hiérarchie des classes économiques les plus élevées est réelle et s’accroît au fur et à mesure de leur carrière. C'est pourquoi leurs intérêts économiques de classe s’avèrent communs avec la classe capitaliste et se renforcent tout au long de leur carrière. Ils n’ont donc pas davantage à tirer en créant des lois ou des décrets, qui iraient contre l’intérêt des classes, les plus riches de la société, même s’ils n’appartiennent pas directement à la classe patronale.

La proximité d’intérêts économiques de la classe des élites des pouvoirs publics, avec celle de la classe capitaliste, les conduit à se sentir proches les uns des autres de manière subconsciente ou non, en percevant clairement que la perte de leurs avantages économiques de classes nuirait aux avantages des membres des classes économiques élevées.

La dépendance psychique au pouvoir et à ses symboles unit les classes des élites économiques et des pouvoirs publics. En effet, l’appartenance à une classe sociale ne se limite pas au critère économique, il porte aussi sur le niveau hiérarchique. L’appartenance à la classe des élites des pouvoirs publics suppose de disposer d’un poste au sommet de la « classe régnante » et d’être en capacité d’exercer une certaine influence. Pour conserver ce pouvoir, il faut non seulement une connivence idéologique avec la classe des élites économiques capitalistes, mais il faut ressentir un besoin de nature psychologique de ne pas perdre ce pouvoir, ou même de l’accroître. Un élément commun, qui unit une majorité des élites économiques et publiques relève de leur dépendance psychique au pouvoir. Ce dernier est comme l’explique le psychanalyste Adler[3], fondé sur une peur subconsciente d’être faible. La dépendance aux postes de prestige, dépend aussi du besoin d’être reconnu pour sa compétence, fondée sur la peur de ne pas être aimée et d’être faible, car incompétent. Malgré leur apparente puissance, les élites restent donc en même temps relativement faibles de ce point de vue. Ainsi, elles se tiennent entre elles, par la peur d’être évincé de ces postes de pouvoir et de prestige. La classe des élites économiques s’appuie aussi sur ce levier de cette dépendance, de cette peur, pour s’assurer de la docilité des élites des pouvoirs publics en faveur de ses intérêts de classe.

L’attitude à la fois ambitieuse et traditionaliste des élites, crée ainsi une homogénéité de comportements, de valeurs, qui favorisent les alliances au sein d’une même classe et entre la classe des élites des pouvoirs publics et celles des pouvoirs économiques. Même si parfois cela créer aussi des conflits de pouvoir, ils restent néanmoins subalternes par rapport à la force des alliances.

Il s’avère donc difficile d’accéder à la classe des élites des pouvoirs publics, en tant qu’élue ou bureaucrate, en servant prioritairement l’intérêt général des classes moyennes et populaires, avant l’intérêt des classes dominantes… Car dans ce cas, cet individu sera perçu comme hors norme et va donc détonner. La classe des élites aura donc tendance à la mettre de côté et par conséquent il descendra dans la hiérarchie, si tant est qu’il soit déjà parvenu à se hisser jusqu’à ce niveau.

La solidarité de classe entre élites des pouvoirs publics a aussi pour but la conservation du pouvoir des institutions publiques. Pour les élites des pouvoirs publics, la motivation pour l’accès aux ressources économiques n’est pas non plus à négliger, même si cela se révèle un peu plus secondaire. En effet, le besoin d’exercer le pouvoir sur autrui, le pouvoir de régulation et d’obtenir une reconnaissance sociale s’avère prépondérant, sur les gains financiers que confère ce type de fonction.

 Dans les sociétés non capitalistes, tel le système soviétique, qui était de nature communiste, les classes des élites dirigeantes politiques et économiques disposaient aussi, de revenus et de conditions de vie, supérieures aux masses. L’enjeu consistait pour ces élites à assurer la pérennité de leur pouvoir économique ou politique vis-à-vis des masses. Tant que les citoyens et les dirigeants ne seront pas parvenus à abandonner leur besoin de pouvoir, les changements de système politique n’y changeront pas grand-chose. Ainsi, même dans un système communiste non totalitaire et purement égalitaire au plan économique, la classe des élites chercheront toujours à se maintenir en haut de la pyramide, afin de conserver les avantages du pouvoir, tels que la satisfaction de son besoin de domination ou de diriger les autres et les choses, mais aussi le prestige, la reconnaissance, un accès privilégié aux ressources, etc.

Les conflits au sein de la classe des élites sont secondaires, par rapport à leurs intérêts communs. Au-delà des conflits qui les animent, ces élites, tentent ne pas trop décrédibiliser les fonctions, les instances gouvernementales et étatiques, par lesquelles elles exercent leur pouvoir personnel. Sinon, les électeurs et l’opinion publique, risque de les rejeter tous, par le discours du « tous pourris.» Dans ce cas elles pourraient ne plus conserver ses postes de pouvoir, qui reviendraient alors à d’autres élus ou bureaucrates, après une nouvelle élection.

Les élites capitalistes et les élites des pouvoirs publics, qui agissent au niveau national ou international, dans le cadre des organisations publiques internationales, tels le FMI, l’OMC, ou le conseil de sécurité, disposent d’intérêts communs. Cependant, ces deux puissantes classes d’élites sont marquées par de nombreux conflits entre elles, afin de se hisser plus haut dans la hiérarchie des élites ou au moins pour conserver leur pouvoir. Cependant, lorsque la classe économique capitaliste (hégémonique) et la classe des pouvoirs publics (la classe gestionnaire) s’affrontent, ce qui les unit reste néanmoins prépondérant sur leurs divergences. Sinon, ces conflits seraient tels, qu’ils aboutiraient à une révolution. Or, il y en a peu en Occident, depuis plus de deux siècles, avec l’avènement du capitalisme, grâce à la Révolution française de 1789 notamment. Cette dernière a permis la liberté politique, mais aussi économique, contre le pouvoir monarchique. Cette révolution fût de plus, le fruit d’actions à l’initiative principale de la bourgeoisie, au service de ces intérêts politique et économique, telle la défense forte, de la propriété privée des moyens de production et d’échanges. Ce qui permit le développement rapide du capitalisme, alors débarrassé de l’entrave du pouvoir monarchique.

Les alliances de classes entre élites économiques, politiques et publiques proviennent aussi de leur proximité de capital culturel et symbolique. Pour accéder et rester à des fonctions haut placées, un individu ambitieux doit savoir créer des liens, des alliances. Auparavant, il faut souvent avoir été recruté, nommé ou choisi. Or, Bourdieu, notamment dans son ouvrage intitulé « La distinction », à bien souligné l’importance des habitus de classe, tels que la manière de s’exprimer, le choix du vocabulaire, les choix vestimentaires, le type de loisirs (le golf), de voyage, de véhicule, etc. comme signes d’appartenance à une classe[4]. Le capital culturel que partage la classe des élites économiques et publiques, relève aussi de connaissance et d’idéologie communes, concernant les modèles économiques, sociaux et politiques, auxquels ils se réfèrent dans leurs argumentations. Si l’un d’entre eux appuie par exemple, son raisonnement sur le modèle de Marx, ou de Gramsci, il sera immédiatement repéré et évincé rapidement.

Si les élites des pouvoirs publics n’étaient pas dépendantes de leur besoin de pouvoir et de leur attachement à l’admiration des autres, il ne leur serait alors pas nécessaire de s’accrocher aux signes extérieurs de reconnaissance sociale. Les signes de leur réussite sociale prennent à leurs yeux, la forme de logements prestigieux, de véhicules luxueux, des rituels des grandes institutions symbolisant le pouvoir, les rencontres de dirigeants renommés, etc. Aussi, dans le champ politique et dans celui des pouvoirs publics, les élites recherchent moins l’accès à des revenus conséquents que les signes du pouvoir et de la reconnaissance sociale. Ils accroissent ainsi leur « capital symbolique » liés aux postes de prestige.

Comme ces élites sont dépendantes de leur pouvoir, elles dépendent donc, de ceux, qui pourraient leur retirer. Un élu dépend de ses électeurs, mais aussi de la classe des élites capitalistes dominantes, qui peut exercer des pressions fortes contre lui, s’il ne servait plus prioritairement ses intérêts.

La proximité du type de capital culturel, tel que des valeurs, des goûts communs, conditionne d’une part la capacité à intégrer la classe des élites des pouvoirs publics, mais permet aussi d’obtenir l’appui des classes capitalistes. Mais, il suppose aussi un capital social conséquent, c'est-à-dire des relations et des réseaux suffisants. D'un côté, la classe politique recherche à développer son carnet d’adresses afin d’accroître son influence et de l’autre la classe économique capitaliste, cherche à s’acheter les faveurs des élus et des dirigeants des pouvoirs publics. Ce capital social, se développe, par exemple lors d’invitations à des soirées, des dîners mondains, par la création de liens d’amitié, la cooptation dans des réseaux de pouvoir. Grâce à sa puissance économique, la classe capitaliste, peut aussi offrir des prêts en nature (voitures haut de gamme, résidences de prestige, yachts, avions…), envoyer des fonds légaux aux partis politiques, ou encore financer illégalement un élu ou son parti sur un compte dans un paradis fiscal… Ainsi, posséder et cultiver un capital culturel et social au sein des classes dominantes renforcent encore ces alliances de classes.

De même, la détention, d’un certain « capital symbolique » initial, favorise grandement l’intégration à la classe des élites des pouvoirs publics et le fait d’être reconnu comme un interlocuteur fiable et fidèle aux intérêts de la classe capitaliste. La possession d’un tel « capital symbolique », suppose par exemple en France d’être diplôme de l’ENA. Ce qui est considéré par les classes dominantes, comme la marque d’un niveau intellectuel et d’une éducation élevés. Mais, aussi comme le signe de la capacité à se conformer à un certain moule idéologique, culturel et comportemental. Être diplômé de hautes écoles commerciales sera préféré à un diplôme de sociologie, qui sera jugé comme étant l’indicateur d’une attitude plus critique envers le système. Afficher la possession de médailles, même si elles ne sont qu’honorifiques, telle la Légion d’honneur, renforce encore les signes d’appartenance à la classe des élites. Le fait que des médailles honorifiques puissent s’obtenir par la puissance de ses réseaux, n’est considéré comme n’étant que secondaire, par leurs détenteurs. Ce qui est primordial pour développer un capital symbolique est que chacun sache, qu’ils possèdent ces médailles. Dans ce cas il n’est pas vraiment utile de les afficher ou de les porter à la boutonnière. De même, avoir occupé des postes reconnus socialement, comme important ou prestigieux, renforce ce capital symbolique, même si la personne n’était plus en capacité d’exercer cette fonction à présent.

L’accès et la conservation à la « classe régnante » des élites (des pouvoirs publics) supposent une certaine soumission à l’idéologie de « classe hégémonique » des élites capitalistes. Un individu ambitieux, s’il désir régner un jour et entend intégrer la classe régnante, telle que la définit Poulantzas (1971), n’a pas intérêt à défendre des positions politiques situées aux extrêmes, quelles soient de gauche ou de droite. En effet, majoritairement, ce sont les élus défendant des positions politiques proches du centre gauche, ou au centre droit, qui gagnent les élections. Car les résultats des votes suivent une loi de statistique, la courbe de gauss, qui prend la forme d’une courbe en cloche, où les extrêmes sont minoritaires et où le centre est majoritaire.

Par conséquent, dans un système capitaliste républicain, pour gagner à une élection, il faut défendre des idées capitalistes et non des positions non majoritaires, telles l’autogestion communiste ou le fascisme. Ainsi, le système se reproduit lui-même grâce à l’élection au suffrage universel.

N’oublions pas que si ce dispositif de perpétuation du système capitaliste élitiste ne suffisait pas, les classes capitalistes ont aussi préparé l’opinion des électeurs, dès leurs plus jeunes âges depuis des générations, en façonnant l’idéologie hégémonique capitaliste, grâce aux médias, à la communication, à l’éducation, à la religion… C’est pourquoi, pour accéder au pouvoir, puis le conserver, suppose de montrer ses capacités à être le gardien de la tradition.

Savoir allier le respect de la tradition et la compétition sauvage est une clé d’accès et de conservation du pouvoir. C’est ce que montre notamment l’étude des méthodes éducatives de l’Université de Yale aux Etats-Unis, telles, celles, qui ont formé notamment les présidents Bush père et fils, de même que John Kerry un des candidats aux présidentielles. Ainsi, parallèlement aux connaissances générales acquises dans toute université, un ensemble de rituels, de clubs, de cérémonies, de « bizutages » visent à entraîner les étudiants au respect des traditions, des valeurs anciennes, afin de parvenir à se fondre dans les normes dominantes de la classe des élites. Mais, le simple conformisme ne suffit pas pour se hisser en haut de la hiérarchie, car il faut aussi savoir jouer des coudes, entre futures élites et apprendre à écraser ses concurrents aux postes de l’establishment. Pour cela les attitudes de compétitions sont vivement encouragées dans cette université. Or, l’esprit de compétition est un des fondements du néolibéralisme, c’est donc la coexistence de la compétition et du conformisme, qui fait la force de la classe des élites en général et de l’enseignement de cette université de Yale en particulier.

Les classes politiques pour être élues dépendent du financement de la classe capitaliste. La classe des élites des pouvoirs publics s’avère aussi la classe régnante en régime capitaliste. Elle dispose donc de prestige, de pouvoir de décision et d’une forte reconnaissance sociale. Elle le doit à ses électeurs, mais aussi à la classe hégémonique des élites capitalistes. En France, ces dernières peuvent légalement financer les partis politiques, de manière circonscrite, mais réels. Dans d’autres nations, tels les États-Unis, le financement par des personnes ou des entreprises privées est autorisé sans limitation de montant. Par conséquent, sans leur appui, un élu n’a quasiment aucune chance d’être élu à un poste élevé. Car sans ce financement privé, il ne parviendrait pas gagner la bataille de la communication politique nécessaire à une élection. Un élu devient donc redevable pour cette élection, mais aussi pour la suivante, puisqu’il lui faudra à nouveau des ressources financières. Dans les pays où le financement des partis politiques est limité par la loi, il existe néanmoins la possibilité de contourner légalement la loi, par exemple en multipliant les faux partis, au sein d’une fédération d’un grand parti, tel l’UMP. Mais, il est aussi possible de se créer des caisses occultes, cette fois illégales, ce qui a conduit de nombreux trésoriers socialistes, tel Xavier Emmanuelli, comme des trésoriers néolibéraux, tel Alain Juppé, à être condamnés par les tribunaux. Couper le lien entre ces deux classes d’élites est donc bien difficile.

Les partis politiques dominants sélectionnent les élites politiques, qui serviront la classe hégémonique capitaliste. Si les élites de la classe politique servent aussi bien les intérêts de la classe hégémonique (capitaliste), c’est aussi que les partis politiques exercent notamment une fonction de sélection. Avant d’intégrer la classe des élites des pouvoirs publics, avec un poste de président, ou de ministre, il faut généralement avoir occupé des postes moins prestigieux. Il peut s’avérer utile d’accéder au préalable, à des postes relativement importants, tel celui de député. Mais, pour cela il faudra au préalable, avoir choisi un parti politique influent, c’est dire suivant l’orientation de la classe hégémonique capitaliste. Néanmoins, il sera nécessaire d’avoir été sélectionné pour représenter le parti. Pour cela le candidat devra montrer que ces idées s’inscrivent bien dans celui de son parti, qui est lui-même dans la ligne de la classe des élites capitalistes. L’instauration du tirage au sort pour élire les représentants des pouvoirs publics, à l’instar de ce qu’il fut pratiqué à Athènes dans l’antiquité, s’il ne résoudrait pas tous les problèmes démocratiques, briserait néanmoins le mode de reproduction des élites fondées sur la démocratie représentative, qui subit la contrainte de la sélection des partis dominants[5]. Cependant, lorsque les élites des pouvoirs publics ne défendent pas docilement les intérêts des classes dominantes, leurs pairs et les élites capitalistes disposent de ressources plus contraignantes, pour les soumettre.

La classe des élites des pouvoirs publics suit les intérêts de la classe des élites économiques capitalistes aussi sous la contrainte. Lorsque les intérêts communs ne suffisent plus à orienter les décisions politiques en leur faveur, les classes capitalistes usent aussi de pressions, sur les classes politiques, en menaçant par exemple de délocaliser à l’étranger, les emplois de leurs électeurs. Ils peuvent aussi user du chantage, du frein à la croissance, si les impôts ou les normes sociales s’accroissent, etc. Mais, l’action exercée par les marchés financiers, qui semble la plus efficace actuellement, est la pression exercée sur les élites des pouvoirs publics, grâce aux taux d’intérêts de la dette publique.

Les élites politiques au pouvoir ont besoin de se faire réélire régulièrement, par conséquent, ils se doivent de concilier deux orientations contradictoires. Ils doivent donc satisfaire les intérêts de leurs électeurs majoritaires (généralement les classes moyennes), grâce à, qui il puise leur légitimité, mais sans s’opposer aux intérêts de la classe hégémonique, qui se compose principalement des élites et des grands patrons de la classe capitaliste. Ces derniers sont représentés en France par le MEDEF. Étant donné, qu’il est quasiment impossible, de contenter la masse de leur électeur et la classe capitaliste, ils sont régulièrement battus aux élections.

Depuis la fin des trente glorieuses, la situation socio-économique se dégrade, dans la majorité des pays industrialisés, mais la stratégie des élus politiques consiste à faire croire aux électeurs qu’il n’existe aucune autre solution : « there is no Alternative », clamait Madame Tacher. Pour cela, ils s’appuient sur le discours hégémonique, celui de la pensée unique, c'est-à-dire le capitalisme néolibéral pour les partis de droite et le capitalisme social libéral, pour ceux de centre gauche. Ils tentent de se disculper de leurs échecs à satisfaire les intérêts de la classe moyenne, en disant que ce ne sont pas les élus politiques, qui décident, mais les marchés nationaux et internationaux. Ce qui est d’ailleurs en partie vrai, dans un système capitaliste, dans lequel les infrastructures économiques dominent majoritairement, les superstructures des pouvoirs publics.

La classe des élites capitalistes mettra tout en œuvre pour évincer une élite dissidente des pouvoirs publics.Cette dernière peut-être un dirigeant de la classe des pouvoirs publics, tels un élu, un bureaucrate ou un technocrate, qui s’opposent aux intérêts des élites capitalistes et qui semblent avoir oublié que la classe des élites capitalistes reste la véritable classe dirigeante dans un système capitaliste. Les élites capitalistes s’appuieront tout d’abord sur leur capital social, c'est-à-dire leurs réseaux dans les partis politiques et les pouvoirs publics, pour exercer des pressions de nature politique. Il s’agit généralement d’arguments rationnels, qui relèvent du lobbying classique des entreprises envers les élus, mais aussi d’alliances, ou d’amitiés entre certains grands patrons et d’autres élites des pouvoirs publics influentes.

Si cela n’est pas suffisant, ils pourront menacer de diminuer leur financement à son parti, dans le cas d’un élu. Les tentatives de corruption sont aussi possibles. Mais, ils pourront aussi, exercer des menaces, tenter de sortir des affaires économiques, des histoires de mœurs anciennes concernant des membres de son parti ou l’élu lui-même. L’argument ultime est l’assassinat. Il reste relativement rare dans les pays industrialisés fondées sur des régimes de démocraties représentatives, mais nettement plus fréquent, dans les pays en développement. Ce fut le cas plusieurs présidents élus démocratiquement, tel Salvador Allende au Chili, ou Thomas Sankara au Burkina Faso. Aux États-Unis, J.F. Kennedy et auparavant Abraham Lincoln, moururent tous deux, aussi dans un attentat, bien qu’ils présidaient un État dit démocratique.

Cependant, la classe capitaliste n’a généralement pas besoin, d’agir par elle-même, ni d’exercer des pressions envers une élite dissidente de la classe des pouvoirs publics, aussi dénommés, les gestionnaires publics du capital chez Alain Bihr (2005), classe régnante chez Poulantzas (1971). Car en amont, les membres de cette dernière exercent eux-mêmes une pression forte, vis-à-vis de leurs pairs, afin qu’ils se conforment à l’idéologie hégémonique, c'est-à-dire le capitalisme, qui est une condition de l’appartenance à la classe des élites actuellement.

Nous venons donc de voir que le déterminisme des structures économiques sur les structures politiques et en particulier au niveau des classes des élites, sont multiples et elles prennent encore d’autres formes qu’il serait utile d’étudier plus encore. Il est important de bien les identifier, afin de parvenir à diminuer ces mécanismes d’influence par l’exercice du pouvoir politique et juridique. Cependant, le déterminisme de l’économique sur le politique est trop fondamental, pour parvenir à le transformer par des simples mesures juridiques ou idéologiques. C’est donc le système économique en lui-même, qu’il  faut démocratiser, pour parvenir à démocratiser en profondeur le système politique. « L’écosocialisme autogestionnaire » étant une des pistes les plus prometteuses de cette démocratisation du système économique et politique, de l’équilibre à trouver entre liberté et égalité.


[1] Thierry Brugvin  est l’auteur du livre, Le pouvoir illégal des élites, Max Milo 2014.

[2] PINÇON Michel, PINÇON-CHARLOT Monique, Grandes fortunes : Dynasties familiales et formes de richesses en France, Petite Bibliothèque Payot, 2006.

[3] ADLER Alfred, Théorie et pratique de la psychologie individuelle  (1918), L'harmattan, 2006.

[4] BOURDIEU Pierre, La Distinction, Critique sociale du jugement, Collection « Le sens commun », 1979, 680 p

[5] SINTOMER Yves, Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, La Découverte, Paris, 2007

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