Les César de Corinne Masieiro, Marina Foïs, Catherine Ringer et les autres…

César était un petit sculpteur. Un frère jumeau, d'une femme de Marseille, pauvre et dyslexique du quartier de la Belle de Mai, à Marseille. Inclusif, pour lui, était un mot plus qu'évident. Et je crois bien qu'il aurait beaucoup beaucoup aimé la 46 ème soirée des Cesar. Qui était une sacrée mise en scène. César était plus talentueux que talentueux. Totalement artiste. Extrêmement fort. Habile. Magicien. Il était plus ambitieux qu'ambitieux. Il fut reconnu internationalement, riche, reçu dans tous les salons.

À Marseille nous le connaissions. Tonton Cesar. Il aurait sûrement rappelé, cette semaine, où tant de voix si laides massacrent ce qui eut lieu le 12 mars dernier, que l'art est un risque, et que l'échec y est un langage. Il aurait sûrement  détesté cette année inimaginable où les musées, les cinémas, les théâtres, les galeries d'art, et même les librairies, et même les rayons librairies dans les supermarchés furent interdits. Cela a eu lieu. C'est fait. Ce gouvernement a fait cela. Le trauma. Le choc. La trahison faite là par nos frères humains au pouvoir est en nous depuis cela. Et pour toujours.

Faire une cérémonie de remise des prix du cinéma est intéressant. Et pause question. Édouard Baer avait magnifiquement interrogé ce falbala et l'exclusion qu'il provoque. Il était drôle. Mais encore trop poli. Le Cinéma est un art populaire, une possibilité de parole partagée avec le grand public. Ce même public qui souffre depuis si longtemps. Malmené. Humilié. Épuisé par des travaux toujours plus durs, des vies toujours plus précaires, des violences quotidiennes toujours pires. Comment continuer à imaginer pouvoir faire rêver avec des paillettes et des longues robes ? Comment encore prétendre oser cette arrogance ?

Oui la soirée du 12 mars 2021 fut politique, mais comment imaginer ne pas l'être ? César aurait adoré ce soir du 12 mars 2021. Un désordre enfin avoué, initié par un cri en 2020. César était le parrain de mon père. Dans cette tribu élargie où il est un modèle, on pratique l'art pour participer au partage de la beauté, de la provocation de la beauté. Elle est parfois complexe, toujours libertaire. Toujours impressionnante. Il faut se rappeler les compressions de César. Très nombreuses. Superbes. Et ce qu'elles voulaient dire du monde. De son excès. De son absurdité. De sa chute mise en boîte, sublime et nécessaire à une liberté retrouvée. Je fais du théâtre depuis 40 ans presque sans budget. Partout. En prison. En foyers. En IME. dans les écoles. Les lycées. Les collèges. Etc. Des grains de sable partagés partout, comme mille et mille artistes, citoyens, le font en France, depuis longtemps. Pour que la beauté, un tout petit peu, se décale, se déplace, se réinterroge. Nous sommes nombreux, et nous sommes assez punks, depuis très longtemps.

Et ce soir là, notre façon de dire, de faire, de créer, glissante et trash, si souvent, du fait des expressions de nos amis acteurs de tous les quartiers, toutes les conditions, tous les handicaps, tous les âges, était un peu partagée. Je regarde les César souvent comme une comédie musicale désuette. Là, non. C'était enfin un soir en lien avec la modernité. Avec l'art. Là où il en est vraiment. Blessé. Ravagé. Écrasé. Urgent et nécessaire. C'était une soirée géniale. Punk. Créative. Décalée. Contestataire. L'Art n'a pas à séduire ni à donner envie il est un signal d'alarme.

Tarkovski nous le disait précisément. Ouvrir avec Catherine Ringer donne le ton et c'est un choix magnifique. Féministe. Puissant. Poétique. Fort et beau. Poursuivre avec Benjamin Biolay est tellement raffiné, Bukowski de Saint Germain des prés, il nous rappelle la blessure, l'excès de l'artiste, caché dans un smoking. Toute la soirée était brillante et en réponse aux coups que nous prenons, dans ce métier, sans arrêt. Reflets des coups de tous. Assurément. Nathalie Baye est une mère de... une merde... ou comment faire sonner aux oreilles de tous la violence de l'époque. Celle qui dit aux artistes : vous êtes interdits, dangereux, et non essentiels.

Co-écrire la soirée avec Blanche Gardin signifiait déjà l'enjeu : celui de la Boca de la Verita. Parfois dur. Mais utile. Vital. Marina Foïs a porté haut les couleurs d'une profession que des gens de pouvoir osent dire non essentiels depuis des mois. Toute la soirée était intelligente. Tragique. Nécessaire. La force de la chute de cette soirée était une mise en scène et nous conduit à retrouver notre dignité. Benjamin Stora explique parfaitement ce choix lorsqu'il parle de soulèvement. Ceux qui courbent l'échine sont bas. Restent bas.  Pas ceux qui chantent et révèlent la chute qui leur est imposée.

Corinne Masiero a dans un happening extraordinaire rappelé que nous sommes toutes des Peaux d'âne, des reine Margot, des Nymphes. En danger. Ses costumes étaient des citations et parlaient à nos inconscients. Elle nous disait nous sommes femmes. Humiliées. Violées. Et fortes. Dans une année qui continue de révéler des incestes, des viols, des abus, dans toute la société française et dans le cinéma, elle n'a pas seulement parlé de la pauvreté des artistes intermittents du spectacle, elle a sauvé les femmes. Elle nous a rendu notre beauté, notre force, notre place, de vieilles, superbes, citoyennes, innaprochables, et respectées. Merci infiniment à elle.

Son acte est un renversement historique du regard des hommes. Ce ne sera plus jamais pareil. Bien sûr elle était fragile. La Piti, en Grèce antique, l'était aussi. Merci tellement. À elle. Merci à tous les artistes de cette soirée. Ils ont pris des risques colossaux. Et leur travail fut parfaitement bien fait. Celui de réveiller ceux qui dormiraient encore dans une époque d'humiliation et d'abus. Ils ont brisé un miroir de faux semblant. Ils ont chanté une révolte populaire. il était temps. Tant pis s'il y a toujours ceux qui n'ont toujours pas compris ni l'art ni la culture punk. Ils oublierons vite leurs griefs, dès que le vent aura tourné. C'est cela le commerce. Et ce 12 mars offrait enfin autre chose. Il crevait un silence. Tant pis pour ceux qui n'ont pas entendu. Pas vu. Le bruissement est parti dans le vent comme dit Tchekhov. C'est fait.

Le monde va changer grâce à ce soir aussi. Et c'est cela l'art. Le souffle étrange qui participe aux mouvements des humains. Merci pour ce soir. Mes fils et leurs copains rappeurs regardent la soirée en boucle. Et rigolent. Ravis. Bravo messieurs dames. Et s' il y a encore des collaborateurs d'un pouvoir inique, qui râlent ici ou là,  ça va passer, le monde ira mieux, bientôt, et ils seront pardonnés. Je crois. Et nous rigolerons ?

Peut être bien. César avait l'humour infini de ceux qui ont été blessés.

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