L’écologie est-elle du domaine scientifique ou politique ?

Une grenouille verte nous regarde près d'une tourbière à Frasne (25)

Quand nous, enseignants et chercheurs en écologie, sommes interrogés sur notre profession, la première chose qui nous vient à l’esprit est de répondre : « écologiste » ! Avec le temps, on s’habitue à la mine perplexe de nos interlocuteurs : « écologistes … » ? En anglais, le terme Ecologist ne prête pas à confusion. Il s’agit d’un chercheur spécialiste des écosystèmes. Outre-Manche, les défenseurs de l’environnement sont des « environmentalists », les militants politiques, généralement qualifiés d’« activists », appartiennent à un « green party ». Mais qu’en est-il pour les français ? Notre écologie relève-t-elle du domaine scientifique ou du champ politique ?

La biologie des populations et des écosystèmes, ou science de l’écologie, s’intéresse aux êtres vivants, à leur évolution au cours du temps, à la dynamique des populations, aux interactions entre espèces et au fonctionnement des écosystèmes. Voici quelques exemples de questionnements d’un chercheur en écologie : comment les bourdons ont-ils évolué pour s’adapter à la forme des fleurs ? Quelle quantité de dioxyde de carbone présent dans l’air est absorbée chaque année par un hectare de tourbière ? Combien de campagnols un renard peut-il manger chaque jour ? Pour répondre à ces questions (totalement infinies), le scientifique spécialiste en écologie fait appel à différentes techniques complémentaires : l’observation, l’expérimentation et la modélisation. L’observation de la nature sur le long terme lui permet de commencer à comprendre, de proposer des hypothèses. L’expérimentation, au laboratoire ou sur le terrain, lui permet de vérifier ces hypothèses. La modélisation sert à simplifier, expliciter et prédire.

L’écologie scientifique est une science encore jeune, issue notamment de la zoologie et de la botanique, mais qui est rapidement devenue une discipline centrale au sein des sciences de la nature et de l’environnement. Surtout, l’écologie scientifique est rapidement apparue comme étant connectée à toutes les autres disciplines universitaires, des mathématiques à la médecine en passant par les sciences humaines, sociales, juridiques et économiques. L’exemple de la pandémie actuelle souligne les liens étroits qui existent entre la vie sauvage et les activités humaines et les conséquences sur la santé de ces interactions. Le réchauffement climatique, processus physico-chimique à l’augmentation de concentrations en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, est lui aussi le résultat de l’intrication complexe des relations Homme-environnement.

Que montre la science de l’écologie ? D’abord que les systèmes naturels sont issus d’une très longue évolution des espèces et qu’ils sont très organisés, à la fois fragiles mais aussi capables d’adaptation. Ensuite, que la loi de la nature est tout sauf une loi de la jungle. Au contraire, les recherches des vingt dernières années montrent un niveau absolument insoupçonné des interactions positives entre les espèces. Et c’est là le point le plus important : dans la nature, la coopération est partout. Certaines espèces structurent l’écosystème, elles forment la clef de voûte qui apporte l’équilibre au milieu et qui permet d’accueillir des milliers d’autres espèces dont certaines très rares, mais indispensables à la survie du système sur le long terme. Enfin, ce que montre l’écologie scientifique, c’est que la nature a toujours apporté gîte et couvert à l’espèce humaine et qu’il vaudrait mieux pour nous que cela ne s’arrête pas. Les « fonctions écologiques » des écosystèmes : l’auto-épuration de l’eau, le recyclage de la matière organique morte, la pollinisation des fleurs, … se traduisent par des « services écosystémiques » pour l’Homme : une nourriture abondante, un air sain, des matériaux renouvelables … qui lui permettent de vivre durablement. Pour que ces services perdurent, il faut que les fonctions écologiques des milieux naturels continuent d’exister. Et c’est là le point de jonction avec l’écologie politique.

Car les questions de protection et de gestion des milieux naturels et plus largement d’organisation de la biosphère sont éminemment philosophiques et politiques. Elles nous obligent à revenir à la notion du bien commun actuel et à celui que l’on lègue à nos descendants. Le forestier est un homme qui récolte ce qui a été planté par ses grands-parents et qui sème pour produire ce qui sera récolté par ses petits-enfants. Il devrait en être de même pour tous les services écosystémiques. La durabilité des sociétés humaines est liée à la capacité de chaque génération à ne pas compromettre la qualité de vie des générations suivantes. Cela signifie que dans un contexte d’augmentation de la population humaine, la consommation individuelle doit s’adapter soit en diminuant de façon proportionnelle, soit en devenant plus efficiente. Concrètement, l’espèce humaine doit mettre en place une gestion « adaptative » de la biosphère, une gestion dont le but est de favoriser la persistance de services écosystémiques de haute qualité. Par gestion adaptative, on pourrait entendre : « organisation de l’état », « politiques publiques », « économie foncière », « règlements d’utilisation des ressources », « droit des communs », … Une étudiante me demandait il y a quelques jours : « Mais comment pourrais-je agir pour que les choses aillent mieux ? ». Ce n’est pas si compliqué, lui ai-je répondu, cela existe depuis très longtemps et cela s’appelle « faire de la politique ». Autrement dit : agir pour construire ensemble les organisations et les outils de décision nécessaires pour assurer l’avenir de tous, présents et à venir.

La science de l’écologie a inspiré l’écologie politique. Aujourd’hui, c’est toute le champ politique qui doit devenir écologique. Et il y a urgence.

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