Le temps des canoës

L'autre jour, pour faire rire, j'ai raconté qu'une fois je suis allé voter sous le regard impavide de deux dromadaires, tandis qu'un lion fatigué somnolait dans sa cage. Et un ami m'a apostrophé :
- parce que toi tu votes encore ?
Je ne savais pas trop quoi répondre. Je l'ai regardé en souriant :
- bin ouais pourquoi ?
J'ai repris une cacachouette dans le bol et je l'ai fait doucement craquer sous mes fausses molaires. Il a eu un sourire ironique.
- donc toi aussi tu vas faire barrage au RN ?
- barrage, barrage... j'ai eu l'image d'un déversement d'eau subit, d'une grande vague hurlante qui, prenant de l'élan là haut dans la vallée, se répandrait inexorablement dans la plaine. Je voyais sur l'eau boueuse mille débris monter au flanc des maisons. Et moi en train d'entasser des sacs de sable devant les portes...
Depuis que nous nous connaissions, nous avions souvent eu l'occasion de nous disputer. La seule fois où j'avais été sur le point de lui coller ma main sur la figure, c'est quand il m'avait traité d' « idiot utile ». Heureusement qu'à ce moment, un autre ami avait sonné, deux bouteilles de blanc de Touraine à la main.
- nous n'en sommes plus là. Voter ou pas voter quelle importance ? A t'il murmuré.
Machinalement, je me suis mis à plier en quatre un morceau d'emballage qui traînait sur la table. J'ai fait deux plis bien nets, lissés avec le bout de l'ongle.
-est-ce que tu sais fabriquer un canoë ? ai-je fini par lui demander.
-un canoë ?
-une barque, un bateau, un radeau, un truc qui flotte
- pourquoi tu me demande ça ?
Je suis resté silencieux.

Laisser un commentaire