Le risque de détricotage de l’Economie Sociale et Solidaire

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C'est un texte que j'ai commis  pour la conférence  de l'Université Populaire du 15 février sur le thème Produire plus toujours plus, soirée organisée avec les Amis du Monde diplomatique, Factuel, Lutopik, Radio Bip et cette fois avec  Alternatiba

Le risque de détricotage de l’ESS

1-L’Economie Sociale et Solidaire c’est quoi ?

Reconnue par la Loi du 31 juillet 2014, l’Économie sociale et solidaire (ESS) regroupe un ensemble de structures qui cherchent à concilier utilité sociale, solidarité, performance économique et gouvernance démocratique, avec pour ambition de créer des emplois et de développer une plus grande cohésion sociale. Portée principalement par les acteurs de l économie sociale : associations, coopératives, mutuelles, fondations , elle s’étend aux structures classiques qui se reconnaissent dans les valeurs de l’ESS et poursuivant un objectif d’utilité sociale.

Du commerce équitable à l'épargne solidaire, en passant par les innovations sociales dans le champ de la protection de l'environnement, de la lutte contre l'exclusion, de la santé ou de l'égalité des chances, l'ESS met l’économie au service de l’humain et de son environnement et affiche la prétention de rendre les citoyens auteurs et acteurs de leurs devenir.

2-La suppression des contrats aidés et leur remplacement par les PEC ( parcours emplois compétences)

La suppression des contrats aidés au cours de l’été 2017 a été le fait marquant et déclencheur d’une nouvelle politique à l’égard des acteurs de l’ESS et particulièrement des associations. Mesure non annoncée dans les promesses de campagne , elle illustre très bien la stratégie gouvernementale. Même si les Cae avaient besoin d’une mise à plat pour mieux s’adapter aux besoins des personnes et des associations employeuses, le coup soudainement porté n’a aucunement tenu compte d’une analyse approfondie du dispositif. C’est méconnaître la force que représentent 1300 000 associations en France réalisant des tâches indispensables pour la société. La diminution drastique, après l’annonce de la suppression totale, est un coup fatal porté au tissu social de notre pays. Le Collectif des Associations Citoyennes n’hésite pas à dénoncer un immense plan social .

Taxer les contrats aidés d’inefficacité au regard de l’entrée dans l’emploi et seulement de ce point de vue, c’est omettre l’utilité sociale de ces milliers de salariés. On sent déjà poindre que pour être efficace, il faudra faire du chiffre et bientôt gérer ce secteur avec de vrais entrepreneurs soucieux de rentabilité.

Ajoutons à cela , la suppression de la taxe d’habitation amputant la capacité des collectivités de subventionner ce secteur et le transfert des compétences du Département à la Région, on a tous les ingrédients d’une casse annoncée et malheureusement entamée sous l’ancien gouvernement.

Alors on voit apparaître les PEC ( Parcours Emplois Compétences) . Il sont volontairement plus restrictifs que les Contrats aidés. Ils s’adressent au secteur non marchand et la prise en charge sera plafonnée à 50 %. Ils sont recentrés sur l’insertion professionnelle pour en faire des leviers de la politique de l’emploi. Complexe dans leurs mises en œuvre, ils risquent fort d’être réservés aux grosses associations disposant d’un service de gestion et du personnel . La notion d’employabilité sera certainement primordiale dans le choix des personnes. L’utilité sociale de ces contrats semble au mieux une donnée seconde.

3-L’hybridation du social et du libéral , est-elle possible ?

Christophe Itier Haut commissaire à l’ESS, ex responsable d’une grosse unité de l’ESS «  la sauvegarde du Nord », développe le discours d’une économie sociale qui doit s’inspirer des méthodes d’efficacité des entreprises . Dans le même temps, les entreprises du secteur marchand pourront reprendre les fonctionnements du secteur social. On parle de pollinisation et d’hybridation, des mots souvent employés par les acteurs de terrain et créateurs d’initiatives, qu’ils risquent dorénavant d’éviter. On assiste très clairement a une libéralisation de l’ESS.

L’exemple des Contrats à Impact Social pose un certain nombre d’interrogation, puisqu’il s’agit de faire appel aux fonds privés avec garantie de l’Etat ou des collectivités en cas d’échec. Des appels à projets sont lancés, des jurys nommés et des signatures opérées en grande pompe pour mettre en valeur les généreuses banques au premier rang desquels on repère la BNP , qui de toute façon ne risque rien. Ces Contrats à Impact Social sont selon les observateurs associatifs ni plus ni moins que des PPP sociaux ( Partenariats Publics Privés) dont on sait que les déficits incombent toujours au contribuable.

Le risque est de voir se scinder le monde associatif, d’un côté, toutes les activités potentiellement lucratives sont abandonnées à la logique managériale et au secteur privé, et de l’autre un secteur sinistré qui essaiera tant bien que mal de répondre aux besoins des populations dans un esprit de service public.

4- Entrez dans le monde merveilleux de la « French Impact»

Le gouvernement lance alors son plan de développement de l’ESS dont le maître mot est l’innovation sociale, servant de colonne vertébrale au changement d’échelle du monde associatif et de l’économie sociale et solidaire.

La « French impact » avec son vocabulaire emprunté aux start-up doit devenir la ligne de mire des années prochaines. Il nous faudra alors, picher, gamifier, faire du sourcing… Il faudrait aussi répondre à des appels à projets ou des concours, être sélectionnés par des jurys, récompensés par une somme plus ou moins conséquente abondée par des fonds privés qu’il va falloir remercier en public. On sort les meilleurs qui doivent servir de modèles.

Quelle place alors pour les petites structures associatives qui œuvrent au quotidien dans les quartiers, en milieu rural, au profit des publics en difficulté, ou auprès des petites entreprises qui font sans bruit le tissu socio-économique de nos territoires ?

Dans le cadre d’un « French Impact Tour » sera lancé un appel à projets « Pionniers French Impact » qui vise à soutenir entre 10 et 15 entreprises de l’ESS dans leur phase de changement d’échelle. Les entreprises sélectionnées seront les pionnières dans la mise en place d’un accélérateur d'innovation sociale. Dans le détail, cela prendra la forme d’un site internet destiné à faire le « sourcing » (identification) de la communauté et promouvoir « ceux qui innovent, peu importe leur statut : coopératives, entreprises, fonds d’investissement, associations […], start-up… » annonce le Haut-Commissaire

En conclusion , je voudrais citer Erwan Mana’ch de l’hebdomadaire Politis dans son article «Quand la start-up nation s’attaque à l’économie sociale et solidaire» :
«Avec l’accélérateur d’innovation sociale nous touchons un sommet de la vacuité de la pensée et de la langue de bois franglaise, avec un vide conceptuel assez effarant. En guise d’introduction à la présentation du projet le 18 janvier, plusieurs « serial entrepreneurs » sont venus « pitcher » leur expérience en mettant en avant leur « soft skills » et « gamification », « le rationnel économique des start-up » etc., atteignant des sommets (ou le fond) de la novlangue de notre « modernité » et de la « start-up nation », dont le seul horizon est de devenir « milliardaire » rapidement»

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