Le revenu universel, plus que jamais d’actualité (suite et réponse)

Verser à tous les citoyens un revenu, de manière individuelle et inconditionnelle, quelle que soit leur situation, la proposition de Revenu universel portée par Benoit Hamon à la présidentielle de 2017, connait dans notre période de Coronavirus, une actualité et une vitalité partout en Europe et même aux Etats-Unis.

C’est pourquoi avec le collectif bisontin de Generation.s nous voulons engager le débat public entre les citoyens et les mouvements politiques de gauche et de l’écologie autour de cette proposition.

Nous souhaitons aussi amicalement et modestement répondre aux craintes et objections de notre camarade de la France insoumise Séverine Vézies, qui juge l’idée de revenu universel « séduisante » mais « instable idéologiquement dans son application ». Séverine Veziès a raison, car l’idée de revenu universel recouvre des interprétations différentes ». Il y a en effet derrière ce mot des projets politiques différents. Soyons clair, ce n’est pas la version libérale qui est la notre et avec laquelle nous souhaitons dialoguer.

Le Revenu universel est en effet un marqueur au sein de la gauche et de l’écologie qui au-delà des critiques sur sa faisabilité, la divise et met en lumière ses clivages idéologiques sur la place du travail, son lien avec les revenus et la protection sociale.

Nous remercions Séverine de ne pas avoir avancer l’argument traditionnel avancé par la droite et une partie importante de la gauche et de l’extrême-gauche, celui de la valeur du travail qui serait menacée en perdant de sa place centrale dans nos vies.

Si nous croyons que le travail-emploi a une fonction d’intégration et de reconnaissance sociale importante - nous croyons aussi que la réduction du temps de travail est une façon de mieux le partager - mais nous ne pensons pas qu’il doit tenir une place aussi centrale dans notre société. Car nous savons d’une part, que pour beaucoup de nos concitoyen-ne-s, le travail est subi, synonyme d’emplois précaires et éreintants, une source de souffrance physique et mentale. Nous avons aussi pu constater au cours de la crise actuelle, l’importance et le rôle essentiel des activités non salariées et bénévoles ( soigner un proche, élever ses enfants, s’engager dans une association...) indispensables pour faire tenir la société...

Le revenu universel peut permettre de reconnaitre et valoriser ces activités utiles au vivre ensemble et porteuses de sens pour chaque individu. Il ne s’agit pas là d’être payé pour remplir ces tâches (ce qui en enlèverait la valeur à la fois pour ceux et celles qui les réalisent et pour ceux et celles qui en bénéficient) mais de reconnaître qu’en temps qu’individu participant à une société il est légitime de recevoir les moyens de vivre simplement parce que l’on participe à la vie, à la tenue, de la société.

En fournissant une part du revenu déconnecté du travail, le revenu universel peut libérer nos concitoyen-ne-s de la peur de l’avenir et de ses aléas financiers et leur donner un peu plus d’autonomie dans leur vie. Il peut-être un vrai facteur d’émancipation pour chacun et nous permettre de sortir de la logique productiviste et préparer la transition écologique.

Mais le revenu universel est-il la remise en cause dangereuse de notre modèle de protection sociale collective et serait-il le cheval de Troie d’une vision libérale comme l’écrit Séverine Véziès ?

A noter toutefois que Séverine a l’honnêteté de reconnaître que notre vision n’est pas celle des libertariens ou des néo-liberaux pour qui le revenu universel est censé remplacer purement et simplement le système de protection sociale (couverture maladie, allocation logement…) alors que nous souhaitons le compléter.
Nous sommes très attachés à la Sécurité sociale comme l’ensemble des Français et nous nous battons à Génération.s pour conserver ces acquis.

Mais on doit constater que ce principe de solidarité construit sur le partage des gains de productivité n’arrive plus à protéger une part importante des travailleurs fragilisés par les mutations du travail et de l’emploi dans notre société post-industrielle, ainsi qu’une part croissante de personnes sans emploi qu’ils le soient en raison du chômage ou parce que leur état ne leur permet pas d’occuper des emplois qui nécessitent productivité, rapidité…

La place du travail-emploi salarié a changé, comme nos modes de vie, de nouveaux itinéraires de vie et de situations professionnelles sont apparus ( statuts éclatés, travailleurs non salariés, indépendants, carrières fractionnées, petits boulots, chômage partiel ...) qui échappent ou sont mal couverts par le modèle de protection sociale actuel. C’est le recours au RSA c’est à dire à l’ancien système de l’assistance sociale qui permet difficilement à des millions de nos concitoyens aujourd’hui d’échapper à la pauvreté ( plus de la moitié des ayants-droit ne le demandent pas.)

Séverine Véziès s’inquiète à juste titre - car il faut toujours être vigilant.e sur ce point - sur les effets potentiellement pervers du RUE sur le partage des tâches entre les femmes et les hommes. Ce risque existe évidemment, il y aura toujours des personnes - plutôt des hommes -, y compris « à gauche » considérant soit que la place des femmes est prioritairement à la maison, soit qu’en cas d’emplois rares il est préférable qu’ils soient occupés par des hommes.

Néanmoins la situation d’aujourd’hui est catastrophique en termes de partage des tâches, d’égalité de rémunérations, de violences. Les femmes sont surreprésentées parmi les pauvres en France et dans le monde et le système de protection sociale ne les favorise pas. Elles prennent plus souvent les congés pour enfants malades que les hommes, s’occupent de façon presque exclusive des parents âgés dans la famille, sont plus souvent en situation de dépendance financière, ont des retraites inférieures de 40 % à celles des hommes. Le RUE n’est pas LA solution à ces graves inégalités, mais associé à des mesures de lutte contre les discriminations, les inégalités salariales et de retraite, elle peut participer d’une amélioration sensible de la situation.

Notre idée est donc de lutter contre la grande pauvreté - en élargissant le nombre de bénéficiaires de la protection sociale, en simplifiant le système et en évitant la stigmatisation des allocataires des minimas sociaux.
Ce serait en quelque sorte un nouvel étage pour compléter la Sécurité sociale qui serait mis en place avec le revenu universel.

Mais Séverine Veziès a raison, ce système ne reposerait plus sur le principe de l’assurance reposant sur les gains du travail mais sur le modèle du dividende social : le partage entre tous d’une rente aujourd’hui appropriée de manière disproportionnée par les détenteurs de capital et d‘emplois bien rémunérés. Est ce vraiment une idée libérale ?

Pour nous, le revenu universel ne se substituerait pas aux revenus issus des régimes d’assurances sociales ou des régimes d’assistance actuels mais il les complèterait et pourrait en constituer le socle. Il serait un droit individuel, universel et inconditionnel.

C’est ce don que la société accepterait de faire à chacun de ses membres en lui reconnaissant une égale valeur qui ferait du revenu universel un socle sur lequel chacun pourrait bâtir sa vie et participer à une société de l’entraide et de l’attention aux autres.

Enfin Séverine Veziès voit dans le revenu universel l’occasion pour le patronat de limiter les salaires, ne serait-ce pas au contraire pour le travailleur l’occasion de dire plus facilement non à des boulots ingrats et mal considérés et plus facilement oui à des activités riches de sens, en formation ou correspondant à ce qu’on veut faire vraiment ? Donc la possibilité d’installer un nouveau rapport de force ?

Nous n’avons pas à Génération.s un modèle clef en main de revenu universel. Beaucoup de ses modalités et en particulier son financement doivent être réfléchis et discutés sans à priori. Il n’a de sens qu’inscrit dans une politique de réforme ambitieuse sur le plan fiscal, de transition écologique et d’innovation démocratique.

Si l’idée est philosophiquement intéressante et intéresse tant de monde comme le reconnait Séverine Vézies, c’est parce qu’elle ouvre la porte à une utopie concrète et désirable pour le monde qui vient. N’est ce pas de cela dont pour nous avons aujourd’hui particulièrement besoin ?

Pour Génération.s du Grand Besançon
Marcel Ferreol, Kevin Bertagnoli et Barbara Romagnan, référent(e)s locaux.

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