Le diplôme, le lien et la faim

« Cette neutralisation (du semestre ndlr) constituerait au demeurant la négation pure et simple de tout ce que les équipes pédagogiques ont mis en place durant ces semaines et ce, de manière exemplaire. »

Voici ce qu’on peut lire dans les directives du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation à propos des évaluations dans les universités.

Pour le ministère donc, tout le travail que les enseignants ont effectué ces dernières semaines se résume à une note. Cette note à laquelle l’oligarchie universitaire s’accroche de manière dogmatique, c’est pour soi-disant ne pas dévaloriser les diplômes du supérieur. L’université, comme tout service public d’ailleurs, est maltraitée depuis plusieurs années. Un chiffre qui résume bien la situation est le taux d’encadrement à l’université de Franche-Comté qui est passé en sept ans (de 2011 à 2018) d’un enseignant pour 14.75 étudiants à un enseignant pour 18.5 étudiants. L’augmentation du nombre d’étudiants (+17% sur cette même période) n’a pas du tout été compensée par la hausse de moyens, humains et financiers qui aurait dû en découler. Avant de s’interroger sur la valeur du diplôme en tant que note, il vaudrait peut-être mieux s’interroger sur la valeur du diplôme eu égard des conditions de travail des personnels et des étudiants et leurs conséquences sur la qualité des connaissances transmises. Mais en tant que bon petit VRP de l’enseignement supérieur, les présidents d’université seront bien trop contents de s’auto-congratuler de leur taux de passage des examens à la fin de cette crise sanitaire, peu importe les étudiants laissés de côté, les personnels pressurisés et les modalités dévoyées.

En cette période exceptionnelle, les enseignants, pour la plupart, se sont évertués à conserver un lien (pédagogique mais pas uniquement) avec leurs étudiants. Loin des injonctions permanentes de cette même oligarchie universitaire pour assurer une continuité pédagogique qui n’en a que le nom, la priorité a bien été de laisser le moins d’étudiants possibles au bord de la route ou plutôt du routeur. Car, en effet, et c’est à peine croyable de nos jours tant les écrans ont pris de la place dans notre quotidien, la fracture numérique est bien présente et concerne, d’après plusieurs enquêtes menées au sein des universités, une partie non négligeable de la population étudiante. C’est bien en connaissance de ce constat qu’on nous demande de faire passer nos examens à distance. Pour ces étudiants, l’université de Franche-Comté précise qu’ils « doivent pouvoir disposer de mesures de substitution : mise à disposition des contenus d’enseignement par un autre biais, évaluation de substitution ». Nous ne savons pas encore si le pigeon voyageur ou les signaux de fumée sont à privilégier.

La fracture numérique n’est bien sûr pas la seule raison du caractère absurde de s’accrocher à ces notes. Beaucoup d’étudiants sont dans une situation d’une très grande précarité. Les jobs étudiants se sont pour la plupart arrêtés, la restauration CROUS a bien sûr fermé et certains (notamment les étudiants étrangers) n’ont pas pu retourner dans leurs foyers familiaux. La priorité pour ces personnes-là n’est certainement pas de trouver le matériel nécessaire pour passer des examens mais avant tout de répondre aux besoins vitaux : le logement, la santé, la faim, l’hygiène. Preuve en est la croix rouge mobilisée aujourd’hui pour leur distribuer des paniers alimentaires.

Puisqu’aucun n’étudiant ne doit être pénalisé par cette situation exceptionnelle qui bouleverse le quotidien de milliards de personnes, les priorités doivent être revues : la faim, le lien et le diplôme.

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