Le bon prix des choses

11 septembre 2021

Quand nous avons décidé de déménager, autour des années 2005, nous avons décidé d'offrir un dernier verre aux voisins du lotissement à la veille du déménagement. Les deux semaines précédentes, nous avions fait le tour de tous les magasins du coin, à la recherche de cartons et de cagettes et les piles adossées aux murs du sous sol n'attendaient plus que les bras de nos amis et le camion.

Devant le garage, nous avions disposé deux grandes tables. L'une avec des verres, des bouteilles, quelques bols remplis de chips et de cacachouètes, et l'autre avec des objets que nous avions décidé de ne pas emporter.

Je n'avais jamais imaginé que nous avions autant de choses. J'ai sorti d'un carton un paquet de livres, des Daeninckx, Lumière noire en poche avec son quadrillage, des Annie Ernaux, Les Armoires vides et même L'établi de Reynardt. Je m'en suis étonné :

- Ceux là, tu ne les emportes pas ?

- Je les ai en double, on sait jamais, cela peut plaire

- Peut être, peut être, ai-je répondu sans trop y croire

Nous avons trinqué une dernière fois avec nos voisins. Au fond, je crois que nous étions contents de partir. Quelque chose en nous était réapparu, à l'instar d'un veine de charbon brillante au fond d'une vieille mine. Mais nous ne voulions pas faire les sauvages...

Vers neuf heures, tout le monde était parti. Nous avons rangé les tables ; j'ai remis les livres dans le carton. Le miroir, les chaussures, la vaisselle, le salon de jardin... tout le reste avait disparu, emporté par les voisins.

Nous avions allumé le spot au dessus du garage, qui formait un cercle autour de nous, quand tout à coup une silhouette sortant de l'ombre, s'est approchée

- Allan ? tu as oublié quelque-chose ? a lancé ma compagne.

Allan était devenu grand depuis le temps où ma compagne lui donnait quelques cours, quand il était en sixième. Il était encore tout timide, avec un visage plein d'acné, des cheveux longs et des grands bras maigres. J'ai ressorti le jus d'orange, et je lui ai servi un verre.

- Madame, les livres qui étaient là tout à l’heure.... vous les avez donnés ?.

- Non, tu as de la chance. Viens, ils sont par ici.

Et elle lui a mis les carton entre les mains. Il nous a remercié puis est reparti.

- Tu vois, m’a-t-elle dit plus tard, ils ont quand même intéressé quelqu'un.

- Tu penses qu’il va les lire ?

- Pas de tout. Il va les revendre pour s’acheter des jeux vidéos. J’espère qu'il va en tirer un bon prix.

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