La Vigie des Vaîtes, où en est-on ?

Texte porté à la connaissance de tous les soutiens de la Vigie pour tenter de relancer la discussion autour du site occupé le 17 juin. Ce texte a été élaboré collectivement par un groupe de militant.e.s qui ne souhaitent pas abandonner le terrain en l'état, tout en essayant de retrouver l'esprit des premiers jours de l'occupation du site.

Retour sur l'occupation initiale

Érigée le 17 juin 2020, suite à l’appel contre la réintoxication du monde (1) et répondant à ce moment-là à un besoin d'occuper le terrain (le risque de redémarrage des travaux étant réel (2), la tour de la VIGIE, montée comme une tour de guet en référence à l’étymologie du mot Vaîtes, devient instantanément le SYMBOLE de ce moment fort où cette centaine de personnes de tous horizons, cultures politiques et âges se sont unies contre le projet de bétonisation des jardins des Vaîtes.

Les Vaîtes sont le poumon vert de Besançon, une zone humide à conserver, tant pour la préservation de la biodiversitéé que pour la relocalisation de la production agricole.
Historiquement, il y avait ici un grand nombre de maraîchers qui approvisionnaient la ville, avant l’invasion de l’agro-industrie et des hypermarchés. Aujourd’hui encore, il y a de nombreux jardins vivriers entretenus par des particuliers de toutes origines sociales et quelques maraîchers. Ce sont de véritables lieux de ressources économiques et de liens sociaux.

Cette journée du 17 juin s'inscrit dans la lutte menée depuis plus de 10 ans par différentes associations (3) pour maintenir cet espace vert à l'abri de toute construction. Elle a permis à ceux.celles de plus en plus concerné.e.s et consterné.e.s par la situation écologique dramatique, à ceux.celles à qui le confinement a davantage ouvert les yeux et donné l’envie d’agir, aux voisin.e.s curieux.ses et sympathisant.e.s, aux militant.e.s engagé.e.s averti.e.s, aux passant.e.s, aux sympathisant.e.s... de se joindre à la lutte contre le projet d’écoquartier des Vaîtes, pour s’y engager concrètement.

Le déroulé

L’action pacifiste a débuté au petit matin sous la pluie, organisée au préalable par des membres des groupes Extinction Rebellion (XR) et ANV COP21 Besançon. Les militant.e.s ont convergé par différents chemins vers la parcelle choisie de terre en friche, lieu stratégique bien en vue des immeubles et résidences alentour, de la voie de tramway et des axes routiers proches.
Chacun.e a œuvré. Il fallait défricher des zones destinées aux jardins, monter la tour, ravitailler tout ce beau monde à la tâche. L’ambiance est gaie et enthousiaste, surpassant de loin la bruine incessante.
Puis, peu avant midi, l’alerte est lancée, des camions de police se dirigent vers la parcelle occupée.
Se dresse alors un chaîne humaine méticuleusement préparée autour de la tour, comme une danse à l’effigie des actes non-violents.
Ce qui n’arrête en aucun cas les policiers aguerris, qui d’un même pas et sans délai, fendent la chaîne pour encercler la tour et... se retrouver eux-mêmes encerclés par les militant.e.s. Joyeux piège.
Peur et excitation sont de mise. Bousculade, puis longue attente, chaque camp maintenant sa position. Chants et slogans entretiennent l’ambiance joyeuse.
Jusqu’à ce que les forces de l’ordre rebroussent chemin sur intervention du Préfet.
Galvanisé.e.s par cette 'victoire', renforcé.e.s par cet acte de solidarité mélangeant nos adrénalines, nous apprécions ce moment suspendu. Puis très vite, nous nous rassemblons et nous partageons en petits groupes pour répondre à la question prédominante : et maintenant, que faisons-nous ?

Des projets porteurs d'un autre avenir

Le déploiement de ces forces militantes d’horizons différents donne envie de croire en cet autre possible tant désiré : réussir à créer des espaces de liberté dans les failles de notre monde sans vergogne, avide d’argent et irrespectueux de l’environnement, ce monde que l’on refuse. Le projet d’écoquartier est un symptôme de ce système capitaliste à la dérive.
Pour marquer leur opposition à la construction de 1150 logements et à la destruction d’une zone naturelle de 34 hectares, dont 23 en ZAC (Zone d'Aménagement Concerté), une centaine de volontaires décident d'investir un petit morceau de terrain appartenant à la zone concernée par le projet d’éco-quartier.
Très vite s’élabore une charte : l’occupation se faisant dans une zone urbanisée, la charte prône le respect et l'inclusion du voisinage, tente de mettre des limites à des excès possibles. Nous rappelons l’importance de la tolérance et de la bienveillance, et nous proscrivons toutes formes de discriminations telles que le racisme, le sexisme, l'homophobie.
Nous voulons mettre un terme au projet d’écoquartier pour :
- protéger la biodiversitéé et les zones humides, - préserver les ressources non-renouvelables,
- défendre la justice sociale et climatique,
- préserver la vie des générations futures,

- nous émanciper par le maraîchage,
- planter des végétaux : arbres, cultures maraîchères, céréales,
- développer la démocratie locale à travers les luttes locales,
- habiter autrement le monde,
- créer un espace de vie commun, Agora, comme maison pour accueillir les différentes luttes, - un lieu des possibles où la bienveillance, la convivialité, le partage sont les fondements,
- un lieu d’expérimentation et d’apprentissage.

Cette action s’inscrit dans le contexte de l’après-confinement où fleurissent les idéaux d’élaboration du monde d'après : pas de retour à l'anormal.
Pour cela, ce lieu doit rester ouvert et tolérant, pour que la diversité soit notre force et qu'il devienne un "jardin des luttes". Que ce lieu fonctionne en rhizomes et qu'il donne envie de lutter là où l'absurde et l'inhumain ont pris place. Montrer que cela est possible et expérimenter sans cesse.

La vie collective s'organise sur le site

Conscient.e.s que les multiples initiatives vont relever de processus de décision complexes, nous convenons que l’AG sera seule décisionnaire. A raison de trois fois par semaine pour commencer, elle est grandement ouverte et attire beaucoup de personnes voulant se rallier à la cause défendue, ou tout simplement intéressées par ce mouvement aux Vaîtes. C’est aussi un véritable moment d’invention et d’apprentissage démocratiques. Chacun.e est invité.e à s’exprimer et les autres à pratiquer l’écoute active.
La vie s’organise dans une atmosphère conviviale, tolérante et respectueuse, autour d’événements (fêtes, conférences, débats, ateliers pédagogiques, spectacles...) où une vraie mixitéé sociale intergénérationnelle se crée, œuvrant à la convergence des luttes pour le monde de demain.
Oui, à la Vigie des Vaîtes, jusqu’à la mi-août, il y a bien de véritables échanges et débats autour du féminisme, de la gratuité, de la manière d’habiter les villes, de cette situation de crise écologique et sanitaire... Sans compter tous ces moments forts de convivialité autour de repas partagés, de chantiers participatifs, de musique, de lectures, de chants, de fresques peintes, de jardins à cultiver, de récoltes souriantes, du quotidien à organiser dans la bonne humeur.

Des outils sont mis en place pour organiser une présence permanente sur le site, avec des temps de garde tournants.
Malgré les propositions de travailler sur le fonctionnement des AG, peut-être que nous ne nous sommes pas donné le temps et les moyens d’être attentifs à la circulation de la parole et de prendre en compte les avis divergents.

Que s'est-il passé qui a grippé la machine ?

Le problème de l'été

Début juillet, des occupant.e.s décident d’eux-mêmes de s’installer en permanence en construisant des dortoirs, puis des cabanes ; comme c’est le début de l’été, les départs en vacances amenuisent la présence militante sur le site (à plusieurs reprises, la demande de renfort restera sans réponse). Parallèlement, certains occupants annoncent en AG qu’ils ont passé des appels à renfort via internet auprès de différents réseaux.

Dès lors, la présence militante insuffisante est reprochée, l’organisation des tâches au quotidien sollicitant beaucoup d’énergie.
Suite aux appels, de nouveaux arrivants s’installent, de nouvelles constructions sont érigées sans débat en AG.

Des débordements se produisent de plus en plus régulièrement au cours de la nuit.
Les occupants permanents investi.es sur le lieu ne participent quasiment plus aux AG.
Un fossé lentement se creuse. Les décisions prises en AG ne semblent plus les concerner.
Les permanents ne comprennent plus que cette lutte est axée sur un équilibre entre les personnes qui approvisionnent, celles qui participent aux tâches, celles qui s'occupent de la communication, celles qui se battent sur le terrain juridique et celles qui occupent le terrain.
De plus, la situation politique a changé au cours de l’été : le 3 juillet, les associations ont gagné leur recours devant le Conseil d'Etat (ce qui veut dire que les travaux ne peuvent reprendre) et une maire EELV a remporté les élections municipales quelques jour plus tôt (4).
Les reproches pleuvent, les problèmes de bruit, d’alcool, ... sont soulevés quasiment à chaque AG. Les décisions, même lorsque les occupants les votent, ne sont pas respectées.
Deux camps s’affrontent : des militant.es des premiers jours, qui veulent préserver le voisinage, les jardiniers et tous les sympathisants de la lutte pour défendre les Vaîtes, et « les permanents » (ainsi qu’ils se nomment), ceux qui, disent-ils, « font, agissent, défendent en occupant le lieu et s’organisent pour y passer l’hiver dans des abris en dur ». Les premiers ont une vision élargie de la lutte qui s'étend bien au- delà du site occupé, les seconds axent essentiellement leur lutte en défense du lieu contre les forces de l’ordre et tout ce qui pourrait matérialiser sa destruction.
Chaque partie se sent non-reconnue, agressée, attaquée.

L'automne ne ramène ni le calme ni les militants

À la rentrée de septembre, beaucoup de sympathisants de la lutte de la Vigie ne se reconnaissent plus dans ce conflit grandissant.
Les relations avec le voisinage se tendent encore au fil des jours, et surtout des nuits, tensions que les AG ne parviennent pas à juguler : le site est devenu un camp retranché qui ne se sent plus lié par les décisions prises collectivement.

La situation est si dégradée que beaucoup de militant.e.s partent, d’autres annoncent leur départ prochain. Devant cette hémorragie, des militants des premiers jours décident de se réunir pour organiser un départ collectif. Lors de cette réunion, des militants des Lentillères et de NDDL, après avoir rencontré les permanents à la Vigie, conseillent à ceux qui sont sur le départ de ne pas abandonner le site et de mieux préparer les AG afin de limiter les dérives :

- charte qui n’est plus respectée,
- nuisances sonores qui se multiplient au-delà du supportable,
- propos agressifs qui sont proférés,
- comportements sexistes observés à différentes reprises, provocations anti-féministes à la sortie de la seule réunion non mixte.
- constructions de cabanes qui achèvent de réduire à peau de chagrin les espaces de vie commune.

Rupture et séparation
La pluie et le froid s’installent pour trois semaines.
Fin septembre, après plusieurs AG houleuses et sans effets, le divorce est consommé et une grande partie des occupants permanents quitte le site volontairement, sans s'en expliquer.
A partir de là, des équipes de volontaires entreprennent de dégager le site des nombreux déchets abandonnés : des literies gaugées par la pluie, souillées par l'urine de chats et de chiens, les vêtements abandonnés traînant dans tous les cabanons, des matériaux détériorés et inutilisés, la nourriture mal stockée (tout ce qui pouvait être sauvé l’a été).
Les problèmes ne disparaissent pas pour autant : quelques anciens occupants continuent à venir revendiquer leurs droits sur le site, de jour comme de nuit.

Et maintenant ?

Courant octobre, après le démontage, décidé en AG, de toutes les constructions non-indispensables et l'évacuation des déchets, des séances de plantation de haies et de potagers ont été organisées dans une ambiance pacifiée, pour rendre au lieu son aspect paysager et collectif.
Deux lieux collectifs sont consolidés : la nouvelle cuisine-dortoir et l’Agora, qui est recouverte d’une charpente. Une cabane individuelle est désormais devenue cabane des enfants.

À l’annonce du nouveau confinement et dans l’urgence, la commission de sécurité, conformément à l’AG de la semaine précédente, condamne l’accès à la Vigie. De plus, la commission de sécurité, ne souhaitant pas prêter le flanc à une expulsion pour non respect du confinement, décide de condamner l’accès à la cuisine et à l’Agora : durant la semaine précédente, des vols avaient eu lieu et diverses dégradations avaient été constatées, des hurlements à l’encontre des voisins durant plusieurs nuits avaient été rapportés.

Après plusieurs semaines d'absence, ceux qui étaient partis ailleurs sont revenus.
En même temps que le nouveau confinement sanitaire entrait en application, ils ont appelé à réinvestir les lieux en y organisant un méga barbecue sauvage (sic) le samedi soir.
Depuis, se définissant comme « lutteurs-bâtisseurs », ils y reviennent épisodiquement et font savoir qu'ils ont « repris » le site, « pour ne pas laisser le champ libre à la police ou à la Ville ».

Quelles leçons tirer de l'expérience ?

Tout d’abord, lors de la préparation de l’action, il n’a pas été élaboré de scénario sur l’après-17 juin. Certains militants organisateurs qui souhaitaient une occupation éphémère ne sont pas suivis. Le maintien de la Vigie et l’occupation du site s’organisent alors démocratiquement au jour le jour, sans qu’aucun cadre de débat sur ''les jours d’après'' soit mis en place. Ce manque de cadre a ouvert la porte à l’apparition de stratégies différentes. Ainsi, la stratégie d’occupation permanente du site n’a pas été réinterrogée après la décision du Conseil d’État du 3 juillet ni après la création du GEEC par la nouvelle municipalité.

Comment expliquer qu'un petit groupe ait pu faire si facilement sécession et imposer son point de vue dissonant par rapport aux objectifs du reste du Collectif ?
Pourquoi les « permanents » se disant « anarchistes » ont-ils pu soutenir que, dans le Collectif, il y avait des personnes plus légitimes que les autres et qu’elles pouvaient se permettre de ne plus respecter les règles de vie communes ?

Pourquoi quand certains ont clamé qu’ils avaient tout quitté pour se consacrer à la Vigie et que, sans eux tout s’écroulerait, le Collectif ne s’est-il pas alerté ?
N’est-ce pas à partir du moment où des personnes se déclarent indispensables que le Collectif se trouve en danger ?

L’autocensure et la culpabilité

Chacun.e a essayé de lisser les désaccords afin de limiter l’expression des divergences sur les dérives, que ce soit l’appel à renfort d’autres ZAD, l’apparition de nouvelles constructions (décisions non-débattues), l’abus d’alcool, le tapage nocturne, les animaux errants, les comportements sexistes, etc. À cela s’est ajouté pour certains un sentiment de culpabilité éprouvé suite aux remarques quant à leur trop faible présence sur le site. Alors, les désaccords, les détails sont minorés. Insidieusement, les dérives deviennent quotidiennes, les non-dits frustrants participent à la lassitude, puis au découragement. La situation se dégrade peu à peu. Manque de courage ? Certainement. Toujours est-il que ces sensibilités diverses si importantes, nous les avons mal saisies, nous n’avons pas su les accompagner.

La gestion des assemblées

Bien que le Collectif se soit lancé dans un esprit libertaire, nous n'avons pas eu suffisamment de recul, d'expérience et de temps pour atténuer le fait que dans une assemblée, nous ne sommes pas tous égaux. Là où des personnes de par leur métier ou leur expérience militante sont à l'aise avec la prise de parole, d'autres n'osent pas, n'ont pas l'habitude, ne s'y sentent pas légitimes ; le sentiment d'égalité n'étant pas au rendez-vous, elles préfèrent ne plus participer aux AG.

Mieux repartir ?

Lancés dans le feu de l'action, nous avons certainement mis la charrue avant les bœufs.
Il ne suffit pas de vouloir une démocratie libertaire, avec comme valeurs la convergence des luttes, le féminisme et l'écologie sociale ; ce fonctionnement et toutes ces valeurs demandent la mise en place de règles et de manières de les faire appliquer, pour que l'individualisme, les mauvaises habitudes, l'ordre et le désordre ne prennent pas le pas sur le Collectif : des règles permettant de se protéger contre la violence et le sexisme, des règles pour que tout un chacun puisse s'exprimer, et une stratégie pour que chaque individu se retrouve dans l’action collective sur un pied d’égalité.

Actuellement, si nous pouvons encore parler de Collectif, celui-ci est en difficulté. La question reste posée : comment nous retrouver pour combattre ensemble notre véritable adversaire ?

Notes :
(1) Appel du 17 juin https://lundi.am/Agir-contre-la-reintoxication-du-monde

(2) Au mois de juin, les militant.e.s opposé.e.s au projet d'éco-quartier attendaient le délibéré du Conseil d'Etat, les agents de Territoire 25 faisaient déjà le tour du quartier pour dire aux jardiniers de se préparer à dégager, vu qu'ils étaient sûr de gagner et que les travaux allaient reprendre. Pour rappel, l'association des Jardins des Vaîtes et France Nature Environnement (FNE) avaient gagné leur recours contre les travaux au Tribunal Administratif et suite à cela, Territoire 25, le bras armé de la Municipalité pour ce projet, avait déposé un recours au Conseil d'Etat. C'est par rapport à cette situation incertaine qu'ANV COP 21 et XR Besançon ont décidé de monter cette action, en suivant l'appel du 17 juin.

(3) L'association Les Vaîtes, l'association Les Jardins des Vaîtes.
(4) La nouvelle Municipalité, soutenant toujours le projet, ne veut pas être parmi les premiers « écologistes » à expulser une ZAD ; elle préfère faire croire que l'avenir du projet est suspendu aux conclusions d'un GEEC local.

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