La vidéo-surveillance une illusion

La vidéo-surveillance déchaîne les passions et cristallise les débats autour de la question de la sécurité publique. La position autour de ce sujet semble matérialiser une ligne de fracture, entre une gauche aveugle et angélique et une droite ferme et responsable.

L’utilité ou non d’une massification des caméras dans nos villes prend souvent une tournure morale, autour de la peur d’une surveillance de masse au profit d’un état fascisant ou des méga-corporations. Nous chercherons à aller au-delà de ce débat néanmoins primordial, et nous nous intéresserons à l’efficacité ou non de ce dispositif dans la lutte contre la délinquance et la criminalité.

Les partisans de ce dispositif pensent que la multiplication des caméras permettra de prévenir les actes délictueux, et si nécessaire elle facilitera la répression en permettant d’identifier rapidement les auteurs d’actes répréhensibles. Nous verrons que ces deux affirmations sont fallacieuses et ne sont que l’expression d’une idéologie sécuritaire qui gangrène même la gauche.

Tout d’abord, la vidéo-surveillance est-elle dissuasive ?  Argument phare de la droite, on peut, après plusieurs décennies de recul sur cette technologie, affirmer que c’est faux. En effet, aucune étude sérieuse ne montre une baisse de la délinquance qui serait corrélée au déploiement de caméras. Le seul effet observé « dans le meilleur des cas » est un déplacement de cette délinquance soit dans des zones dépourvues de vidéo-surveillance, soit dans de nouvelles formes de délinquance[1]. De plus, les actes impulsifs comme les altercations suite à une dispute ou les actes liés à la consommation de certaines substances, de par leur nature mêmes infirment l’idée d’un aspect dissuasif. Par conséquent, il nous semble au mieux hasardeux, de considérer la généralisation des caméras dans l’espace public, comme la panacée face à la soi-disant montée de l’insécurité.

Ensuite, la vidéo-surveillance permet-elle d’élucider des infractions ?  Voilà une question plus compliquée, car certaines affaires ont effectivement pu être résolues en partie grâce à des caméras. Cet état de fait montre, que dans certaines dispositions bien particulières un dispositif de surveillance peut avoir une utilité. Néanmoins la question du nombre d’affaires résolus par cet outil doit être interrogée. En prenant en compte les études les plus sérieuses sur le sujet, on se rend compte du faible nombre d’affaires résolues grâce aux caméras[2], ce qui interroge sur l’insistance de certains pour l’installation de nouveaux dispositifs…Les raisons de ce manque d’efficacité peuvent être multiples, on pourrait citer :

-Le fait que la caméra peut ne pas filmer la bonne rue, ne pas être braquée sur le bon endroit au bon moment, être entravée par des obstacles, du feuillage… ou bien encore ne pas pouvoir identifier les délinquants (cagoules, anorak….)

-La difficulté des opérateurs souvent en sous-effectif qui observent des dizaines d’écrans et qui ne savent pas quoi regarder exactement. Leur travail est monotone et manque de sens car la plupart du temps il ne se passe rien dans les rues.

-La vidéosurveillance conduit souvent à un simple déplacement de la délinquance comme vu précédemment, ce qui rend cet outil caduc dans une zone donnée.

-Enfin face à l’inutilité de la surveillance, le système est de plus en plus détourné vers la vidéo verbalisation des infractions routières, ce dont peu d’élus se vantent…

                Cette relative inefficacité pose la question de l’allocation des ressources financières dans une politique de sécurité, surtout lorsqu’on connaît le coût élevé d’installation évalué entre 8.000 et 15.000 euros de chaque caméra, auquel on doit ajouter les frais de maintenance, les salaires des agents qui regardent les vidéos…[3]

                Nous ne pouvons pas terminer sans aborder la sinistre actualité  qui nous oblige à poser la question du recours à la vidéo-surveillance pour lutter contre le terrorisme. Les différents événements ayant touché des villes comme Nice, pourtant en pointe sur la question des caméras, montrent que cet outil ne prévient en rien les attaques, même si elle peut permettre après coup avec d’autres outils d’identifier les auteurs.

                Pour conclure, le sens de ce texte n’est pas de s’opposer par principe à la vidéo-surveillance, en effet dans certains endroits, pour certains types d’infraction et à certains moments, elle peut être utile avec un ensemble d’autres outils. C’est pourquoi avant de s’engager plus profondément dans cette voie, nous avons souhaité remettre au centre du débat public des éléments trop souvent occultés. Nous nous félicitons de la volonté de la municipalité bisontine d’entamer un audit sur cette question qui permettra avec des données fiables de faire le point sur cet outil, ce qui nous en sommes persuadés montrera son intérêt limité et permettra de sortir des discours idéologiques sécuritaires déconnectés de la réalité.

                La question de la sécurité de toutes et tous doit être envisagée sérieusement, car les premières victimes d’actes malveillants sont les classes populaires et nous nous devons d’en défendre les intérêts. On ne doit pas laisser cette thématique aux mains de la droite et l’extrême droite qui polluent le débat et instillent le poison de la division dans nos esprits sans régler la situation. Toutes personnes défendant les intérêts des classes populaires devra prendre à bras le corps cette question et développer un discours émancipateur sur cette problématique, c’est ce à quoi nous nous sommes attelés dans ce texte.

 

 



[1] « Là où une couverture vidéo existe, les auteurs de vols à l’arraché ou de cambriolages ont reporté leurs activités sur les vols dans les véhicules », Eric Heilmann, maître de conférences à l’université Louis-Pasteur de Strasbourg, et Marie-Noëlle Mornet, doctorante à l’université Robert-Schuman de Strasbourg, « L’Impact de la vidéosurveillance sur les désordres urbains, le cas de la Grande-Bretagne ».
[2] « A Marseille, sur un an, il y a eu 60 000 enquêtes pour infractions sur la voie publique, explique le chercheur. Pour ces enquêtes, il y a eu seulement 1 850 réquisitions d’images au centre de vidéosurveillance de la ville. Au final, les images n’ont été décisives que dans cent trois affaires. » laurent mucchieli, Le Monde, 17 mai 2018
[3] Les Echos, 09/01/2019

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