La théorie des deux France : mythe ou réalité ?

Cette théorie des deux France a été souvent utilisée pour évoquer l'éternel conflit de la France de gauche contre la France de droite, de la France de 1789 et de la France contre-révolutionnaire.

La théorie des deux France fournit une grille d'explication des grands bouleversements de l'histoire de France. Cette approche fut en particulier appliquée lors de la seconde guerre mondiale. Elle présuppose par exemple un lien, une continuité, entre les dreyfusards et les résistants, d'une part, entre les antidreyfusards et les collaborateurs d'autre part. Cette théorie est fondée sur l’idée implicite que les dreyfusards devinrent résistants sous l’Occupation et que les antidreyfusards rejoignirent le camp opposé. Qu’en est-il exactement ? Cette théorie ne résiste pas à une analyse exhaustive des itinéraires individuels. Cette analyse a été menée par l’historien Simon Epstein chercheur à l’Université hébraïque de Jérusalem, qui « remet fortement en cause les cadres d’analyse classique de l’histoire politique et intellectuelle française contemporaine ». Il démontre que nombreux furent les dreyfusards à entrer dans les rangs pétainistes ou collaborationnistes. A contrario, certains antidreyfusards devinrent d’authentiques résistants. Pour Simon Epstein, le principal vecteur de la collaboration fut le pacifisme et l’antimilitarisme et explique dans de nombreux cas l’évolution politique dans les rangs pétainistes ou collaborationnistes.

Ce fut le cas en particulier de Marcel Déat, député SFIO de 1926 à 1928, qui participe en novembre 1935 à une réunion de protestation des lois de Nuremberg et affirme « nous sommes un peuple de métis ». « Pro-sioniste, il est au comité France-Palestine, au Comité de défense des droits des israélites en Europe centrale et orientale. Le droit de vivre, journal de la LICA, dans son numéro du 25 avril 1936, appela à voter Déat et publia sa photo. Associé à la LICA autant qu’à d’autres structures pro-juives, Déat est l’un des hommes politiques français qui protestent le plus contre l’antisémitisme et le racisme dans les années 1930. Son pacifisme le fait basculer dans la collaboration en 1940 et il termine sa carrière politique en 1944 comme ministre du Travail et de la Solidarité nationale dans le gouvernement de Vichy. »

LICA : Ligue Internationale Contre l'Antisémitisme

Commentaires

  • Dire que le principal vecteur

    Dire que le principal vecteur de la collaboration fut le pacifisme et l'antimilitarisme comme Epstein est abusif. L'effondrement de Doriot, Déat et d'autres, les ambigüités de Mounier un temps, de Giono sont significatifs mais ne démentent pas que la filiation idéologique de la collaboration : révolution nationale, culte du chef, corporatisme, nationalisme anti-républicain, antisémitisme… soit bien à droite, une droite anti-Lumières comme le dit Sternhell à ne pas confondre avec les libéraux, les démocrates-chrétiens notamment. Lire aussi Cordier le secrétaire de Jean Moulin qui vient de la droite maurassienne et asssume la rupture.

    • Ce n’est certainement pas

      Ce n'est certainement pas abusif, cela correspond à une réalité des années 30. Un autre cas intéressant est l'écrivain Ramon Fernandez : « un des plus brillants intellectuels de son temps,  socialiste à 31 ans (1925), critique littéraire d’un journal de gauche à 38 ans (1932), communiste à 40 ans (1934), fasciste à 43 ans (1937), enfin collabo à 46 ans (1940) ».

      http://fr.wikipedia.org/wiki/Ramon_Fernandez_(écrivain)

      • Oui et il y a encore des

        Oui et il y a encore des parcours comme celui-ci, certainement. Et quelques parcours à rebours.  Et puis les itinéraires des « gensdelettres » ne sont pas plus et pas moins significatifs que bien d'autres, tout en étant singuliers. Il n'empêche, un fort courant d'opinion s'est prolongé depuis l'hostilité à 1789, à la République – « la gueuse » – en passant par les anti-Dreyfus, la Cagoule et les ligues et a trouvé à s'appliquer opportunément à Vichy (qui connait des tendances différentes). Il y a bien un clivage entre cet « Etat français » et la République qu'elle soit sociale ou gaullienne, un clivage historique que l'extrème-droite entretient encore en brouillant les références. Il n'est pas ce qui organise aujourd'hui la vie politique mais qui peut dire que l'on en a fini une fois pour toute avec les tentations autoritaires et nationalistes ? 

        • Je ne crois pas que cela soit

          Je ne crois pas que cela soit uniquement une question de parcours individuel et isolé. La trajectoire de Georges ALBERTINI est tout à fait caractéristique de cette époque.  Cet enseignant socialiste né en 1911, syndicaliste et pacifiste, membre de la gauche de la SFIO est passé à la collaboration pendant la guerre en devenant le numéro 2 du RNP de Marcel Déat. Les trois quart des dix milles adhérents du RNP venait des rangs socialistes et syndicalistes. Ce ne fut donc pas uniquement  un ralliement individuel à la collaboration.

          Le livre de Simon Epstein "Un paradoxe Français" (2008) mérite d'être étudié car il met en évidence un paradoxe, peu abordé par l'historiographie "classique.

          http://fr.wikipedia.org/wiki/Un paradoxe français : antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance

          • Un autre élément à analyser

            Un autre élément à analyser pour comprendre cette période est  la ligue de la pensée Française l'une des plus curieuses organisations politiques de la collaboration : Composée de militants et intellectuels de gauche (SFIO, ex PCF, radicaux, CGT, SNI), laïcs, pacifistes, parfois francs-maçons, voire – ce qui est paradoxal dans un groupe collaborationniste – d'anciens membres du Comité de vigilance des intellectuelles antifascistes (CVIA).

            Ligue de la pensée française a été créée le 30 novembre 1942 dans la mouvance du Rassemblement  National Populaire   (RNP) de Marcel Déat.

            http://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_de_la_pensée_française

             

          • Vous conviendrez qu’il existe

            Vous conviendrez qu'il existe encore bien d'autres parcours qui illustreraient… d'autre évolutions. Que doivent la collaboration, la révolution nationale et le collaborationisme à Jaurès, Blum, Jouhaux, Mendès-France, Mayer ou Pivert ? Poser la question est déjà grotesque. Les dérives que vous signalez sont incontestables, significatives certainement mais ne permettent pas de compromettre LA gauche ou LES syndicalistes, laïcs, franc-maçons et pacifistes. Depuis Boulanger notamment, des dérives autoritaires, antisémites ont cours à gauche, se combinent à des courants d'extrême-droite et les rejoignent en fait et opportunément dans une détestation du fait démocratique. Cela ne compromet pas LA gauche. 

             


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