« La Sociale », un film passionnant !

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Je voudrais dire tout le plaisir, et même l’émotion que j’ai ressentie, à voir le film de Gilles Perret « La Sociale », projeté au cinéma Victor Hugo Lumière de Besançon à l’initiative des Amis de l’Emancipation Sociale et des Amis du Monde Diplomatique.

Il s’agit d’un documentaire, genre qui ne draine pas les foules, et de plus sur la Sécurité Sociale, sujet a priori aride. Pourtant, le réalisateur parvient, par un montage très bien maîtrisé de documents et surtout de témoignages vivants, à rendre vibrante et passionnante l’histoire de cette administration. Quelques touches d’humour, et la personnalité pittoresque d’un témoin âgé de 96 ans, rendent le film encore plus agréable à suivre.

C’est dans la foulée du programme du Conseil National de la Résistance, magnifiquement intitulé « Les Jours Heureux », que s’est mise en place une solidarité à l’échelle de la nation entière, se substituant à toutes sortes de caisses de solidarité corporatives qui laissaient la plus grande partie de la population à la merci d’un accident de la vie, d’une maladie grave, d’un handicap. C’était l’époque où (cet exemple est donné dans le film) un paysan pauvre devait vendre deux de ses trois vaches s’il voulait voir opérer son enfant d’une appendicite. Les gouvernements de l’époque, qui associaient gaullistes, socialistes et communistes, voulaient que le peuple puisse « vivre sans l’angoisse du lendemain ».

Le film omet de rappeler que cette création de la Sécurité Sociale était l’aboutissement d’une réflexion lancée depuis 1936, qu’elle s’inspirait des modèles britanniques (rapport Beveridge) et allemands (L’Alsace vit encore, en ce qui concerne la Sécurité Sociale, sous un système instauré au XIXe siècle sous domination allemande – et qui fonctionne très bien).

Le témoignage d’un vieux militant de la CGT, âgé de 96 ans, est pittoresque (il se définit comme « le dernier poilu de la Sécu »)mais aussi précieux. Il rappelle à quel point l’instauration de ce système de couverture universelle a été rapide et vécue dans l’enthousiasme par les militants et la plus grande partie de la population, à quel point l’approche était, nécessairement, politique et donc humaine, avant d’être un calcul comptable.

Je dois reconnaître que j’ignorais totalement le nom d’Ambroise Croizat, une des principales chevilles ouvrières de cette révolution, ministre du Travail et de la Santé entre 1945 et 1947.

Le montage du film permet d’alterner témoignages de cette époque exaltante, et polémiques très contemporaines. De plus en plus de voix s’élèvent, et pas seulement à droite, pour fustiger le coût démesuré de cette protection universelle et argumenter sans complexe pour une approche comptable de la question, incluant une privatisation, soit rampante, soit revendiquée avec éclat, selon les obédiences ; du côté du MEDEF, on n’hésite pas à parler fonds de pension, tandis que les déclarations toutes récentes de M. Fillon ouvrent de belles perspectives aux sociétés d’assurance privées et consacrent l’abandon croissant du principe de solidarité ; après les désastres sociaux et sanitaires laissés par l’ère Thatcher et Reagan, ces déclarations désinhibées sont inquiétantes.

Parce que le sujet est d’une actualité brûlante, parce qu’il nous concerne tous, parce qu’il est passionnant de bout en bout, allez voir ce film !

Jean-Pierre Cattelain

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