Le 14 juillet, quelques heures avant la séance constitutive de l’Assemblée municipale de la ville de Belgrade, le Parti socialiste de Serbie (SPS) dénoncait l’accord signé le 28 mai dernier avec le Parti radical serbe et le Parti démocrate de Serbie (un peu plus de deux semaines après les élections municipales et législatives en Serbie). Cet accord aurait permis au jeune leader radical Aleksandar Vučić de devenir maire de la capitale et avait préfiguré une alliance au niveau national.
Une rupture annoncée.
Le leader du SPS, Ivica Dačić énonce sans ambages la raison de la rupture : la primauté d’une entente avec le Parti démocrate du président Boris Tadić pour former un gouvernement qui sollicitera un vote de l’Assemblée nationale ratifiant l’Accord de Stabilisation et d’Association signé avec l’Union européenne le 29 avril.
Ces derniers développements confirment la nouvelle orientation donnée au SPS par Dačić et une majorité de la direction du parti.
Il faut rappeler que le leader quadragénaire (né à Prizren au Kosovo, dans un foyer relativement modeste, « monté » à Belgrade pour y mener des études de sciences politiques) rapidement repéré et promu, est associé précocément aux velléités ou efforts réels d’adaptation des héritiers du mouvement communiste au pluralisme. C’est Milošević qui crée, en juillet 1990, le SPS en fusionnant la Ligue des communistes de Serbie et l’Alliance Socialiste du peuple travailleur de Serbie, organisme associé à la Ligue. L’ambition affichée était alors confusément tant de fidélité que de modernisation. Le nouveau parti se mit, en réalité, tout entier au service du dessein dominateur de son chef.
Dačić, premier président des jeunes socialistes à Belgrade en 1990, est de ceux qui prônent tôt l’abandon des symboles communistes. Porte parole du parti de 1992 à 2000, chef du groupe à l’Assemblée (membre de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe), il prend l’initiative contestée de féliciter l’opposition après les victoires de celle-ci en 1997 et 2000. Quand il est élu président du Comité principal du parti lors de son sixième congrés en janvier 2003, c’est contre la volonté de Milošević qui, de sa cellule de prison à La Haye, souhaite même son exclusion.
Lors de la campagne présidentielle l’année suivante, Dačić promeut des thèmes sociaux: emploi, retraites, protection sociale, éducation. Tout en défendant un « Kosovo serbe » il se garde de fustiger l’Union européenne ou l’Occident comme l’affectionnent les nationalistes radicaux. Un même type de campagne est mené en avril-mai de cette année.
L’engagement des pourparlers par Dačić avec le Parti démocrate (DS) donnant priorité au processus d’intégration européenne est une demi-surprise.
Rappelons que les projets de coalition ont souvent varié depuis le retour du pluripartisme en 1990. Les lignes idéologiques ont fluctué en fonction principalement de la situation internationale du pays. En 1992, l’alliance entre les radicaux de Šešelj et le parti de Milošević contrevient à une stricte démarcation idéologique. L’année suivante, Zoran Đinđić du DS échoue à promouvoir cette coalition que Tadić réalise à présent avec les socialistes (et à laquelle il s’opposait alors).
Dačić a ainsi interrompu les négociations menées en parallèle avec les radicaux et le Parti démocrate de Serbie de Koštunica pour conclure avec Tadić. Il obtient pour lui le poste de premier vice-premier ministre et ministre de l’intérieur, pour ses cadres du SPS, les trois ministères de l’Education, des Infrastructures et des Mines et de l’énergie.
Scissions internes au SPS
Le nouveau cours est intolérable pour une part des « historiques » du parti. Le cas le plus emblématique est celui de Mihailo Marković. Ex-marxiste « déviant » de la revue Praxis, il opte en 1990 pour les projets de Milošević alors que certains le sollicitent au Parti démocrate où existe une aile gauche conséquente. Théoricien principal du SPS, il se fait le chantre d’un « pluralisme post- partis politiques ». Partisan de l’alliance avec Šešelj dès 1992, il dénonce actuellement tout rapprochement avec l’OTAN et avance que les démocrates « ont terrorisé le peuple des années 1990 à nos jours » (voir le quotidien Politika, 8 juin 2009). Les démarches d’adhésion à l’Internationale socialiste initiée par Dačić et soutenue par Tadić (le Parti démocrate en est membre) début juillet, ont consommé la rupture. La formation d’un « Mouvement des socialistes » est annoncée par Marković.
La nouvelle coalition
L’association du SPS et du DS est fondée sur deux orientations majeures :
- la poursuite de l’intégration européenne. L’objectif d’une signature de la candidature d’adhésion de la Serbie est affiché pour avant la fin de la Présidence française.
- le renforcement d’une politique présentée comme sociale en accord avec les « exigences de la transition ».
Les divergences sur la coopération avec le Tribunal Pénal International, voire sur l’avenir du Kosovo (une position commune et quasi-unanime dans le pays réaffirme toutefois le refus de reconnaître l’indépendance de ce dernier) sont minorées de concert.
La vocation exprimée par le SPS de représenter et défendre les intérêts des « laissés-pour-compte » de la transition : retraités, ouvriers, employés et fonctionnaires, correspond à une vigoureuse nécessité dans un pays où les « forces de gauche » sont liées à l’héritage du titisme, puis se sont associées à la politique de Milošević. La revitalisation et la reconnaissance de la société civile, le renouveau de forces syndicales dissociées du parti unique et la promotion de relations pacifiées avec les voisins sont des chantiers d’avenir.
Le Parti démocrate, vainqueur presque inattendu des élections du 11 mai, en quète de renfort pour obtenir une majorité parlementaire, n’a pas hésité à solliciter ce partenaire. Lui-même représente davantage ceux pour qui l’ouverture et la « perspective européenne » sont prometteuses et qui « s’impatientent » vis-à-vis de leurs compatriotes plus sceptiques. Les discussions ont eu lieu discrètement. Tadić en a été le maître d’oeuvre, il donnera le « la ». Les dirigeants et représentants européens ont apporté leur soutien. La coalition qui arrive aux affaires s’est mise en situation de travailler à contrecarrer tant l’isolement de la Serbie que le clivage entre « deux Serbie » : une dite moderne et « l’autre » …