La mairie, l’université et le GEEC

Dans un article récent de l’Est Républicain, on a enfin des nouvelles du GEEC local, avec beaucoup de retard sur le calendrier prévu. Annoncé en grande pompe par la maire Anne Vignot lors de sa campagne pour se dépêtrer du dossier des Vaîtes, son avis sur ce dossier est très attendu.

Dans cet article, Hervé Richard, le président de ce groupe d’experts, nommé par Anne Vignot, répond aux critiques sur l’indépendance du GEEC vis-à-vis de la mairie par cette phrase : « On comprend que le monde politique a besoin d’effervescence… Cela fait quarante ans que je fais de la recherche, j’ai expertisé des dizaines, voire des centaines de projets ».

Cette phrase raoultienne n’est pas à la mesure des enjeux et ne répond en rien aux inquiétudes légitimes. Commençons par un aperçu des liens qui unissent l’université de Franche-Comté, dans laquelle Hervé Richard a fait sa carrière et la mairie, décisionnaire dans le dossier des Vaîtes. Le lien le plus évident est bien sûr le fait qu’Anne Vignot, maire de Besançon, fait partie des personnels de l’université, dans le même laboratoire qu’Hervé Richard d’ailleurs, mais ce n’est pas le seul.

Des universitaires sur-représentés au sein du conseil municipal

Le nombre de conseillers municipaux qui travaillent ou ont travaillé à l’université est important, bien plus que sa représentativité réelle au sein de notre ville. Sauf erreur de ma part, on en compte 9, soit à peu près 16% des élus. Si on rapporte le nombre de personnels de l’université au nombre d’habitants de Besançon, on arrive à une proportion de 2%. C’est évidemment une estimation grossière puisque les personnels de l’université de Franche-Comté ne vivent pas tous à Besançon mais ça donne un ordre d’idée. Besançon n’est pas forcément à pointer du doigt car on sait bien que toutes les couches sociales ne sont pas équitablement représentées dans les différents conseils ou assemblées, et ceci à tous les niveaux de notre démocratie, soi-disant représentative. Les cadres et professions intellectuelles supérieures y sont bien plus présents que les ouvriers et employés.  Ce n’est donc pas une surprise mais un enjeu important, même un des plus gros enjeux actuels. C’est une donnée que les forces politiques actuelles devraient davantage prendre en considération lors de la constitution de leurs listes.

Il faut également souligner que les universitaires au sein du conseil municipal occupent des places importantes. On retrouve évidemment la maire, mais également le vice-président du Grand Besançon, l’adjoint aux finances, l’adjoint à la sécurité et l’adjoint à la culture. Egalement, Anne Vignot et Nicolas Bodin, universitaires donc, siègent au conseil d’administration de Territoire 25 qui assure sous l’autorité de la Ville la mise en œuvre du projet des Vaîtes et qui est donc propriétaire des terrains sur lesquels les constructions sont prévues.

Certains membres du GEEC connaissent donc certainement des membres du conseil municipal et ont peut-être des liens professionnels voire amicaux avec eux. A minima, il est très peu probable que les cercles de connaissance des conseillers municipaux soient totalement distincts de ceux des membres du GEEC.

Une mairie importante pour l’université

Il est évident que la mairie de Besançon est un interlocuteur privilégié de l’université de Franche-Comté. En effet, bien que n’étant pas le seul site de l’université, Besançon en est de loin le plus important. Anne Vignot siège notamment aux conseils d’administration de l’université et de la COMUE en tant que représentante du Grand Besançon. Autre exemple qui montre que l’université a besoin des municipalités locales, le Grand Besançon va investir 31 M€ dans la rénovation du campus de la Bouloie. Egalement, la ville soutient régulièrement la recherche via des financements de projet ou de thèses. Peut-être même que Hervé Richard ou un autre membre du GEEC a bénéficié d’aides de la municipalité pour ses propres travaux de recherche. Quoiqu’il en soit, il ne parait pas opportun pour des universitaires bisontins de fâcher la mairie, par exemple par un avis négatif sur le dossier des Vaîtes.

Ce qui est rassurant et ce qui l’est moins

Les liens entre l’université de Franche-Comté et la ville de Besançon sont forts et globalement, cela est positif. Par contre, ces liens soulèvent des inquiétudes quant à l’indépendance entre le GEEC, composé d’universitaires et la mairie, quoiqu’en dise Hervé Richard. Ces inquiétudes sont normales et légitimes et doivent être discutées en toute transparence. Attendre fin janvier pour connaître la composition du GEEC et ses attributions alors qu’il a déjà commencé à travailler, ce n’est par exemple pas transparent. Que la maire nomme seule un collègue à elle pour présider le GEEC, ce n’est pas l’idéal. Que ce président nomme seul tous les autres membres du GEEC, on peut également faire mieux. Dans l’article de l’Est Républicain, on apprend que le GEEC ne sera pas constitué que d’universitaires bisontins, ça, c’est une bonne chose. Une fois sa composition connue, il sera intéressant de voir exactement ce qu’il en est et d’étudier les liens qui unissent tous ces scientifiques. On aimerait notamment savoir si Hervé Richard a choisi les autres experts dans son cercle proche ou s’il a justement essayé d’éviter ce biais.

Hervé Richard et ses collaborateurs ont évidemment toutes les compétences scientifiques pour mener à bien ce rapport sur les Vaîtes mais ont-ils l’esprit libre ? Ils ne peuvent ignorer les conséquences qu’un avis négatif potentiel aura sur leurs relations avec la mairie et avec leurs relations personnelles potentielles. Egalement, ce GEEC travaillera sur d’autres dossiers. Où est l’indépendance si ce GEEC peut s’arrêter comme il a commencé, par simple décision de la Maire ? Sur ce point-là, il sera intéressant d’étudier attentivement la convention entre ce groupe d’experts et la mairie.

Les phénomènes d’autocensure sont connus et ne peuvent pas être balayés comme l’a fait Hervé Richard, en mettant en avant ses compétences scientifiques, que personne ne lui conteste. Là n’est pas la question. Je me suis moi-même interrogé lors de l’écriture de ce billet, connaissant certains membres du conseil municipal et travaillant à l’université. On ne peut pas totalement faire abstraction des conséquences négatives ou positives sur ces relations personnelles ou sur sa carrière qu’un tel avis peut avoir. Pour que ce GEEC fonctionne, il doit être légitime, et pas uniquement scientifiquement. Anne Vignot et Hervé Richard doivent prendre beaucoup plus au sérieux les inquiétudes exprimées. Ils doivent faire preuve de davantage de transparence et auraient dû réfléchir à des procédures plus démocratique dans le choix des experts.

Ces questions sont primordiales. Anne Vignot s’indignait à juste titre du taux d’abstention lors de sa victoire aux municipales. Les problèmes de représentativité et de transparence évoqués ci-dessus font partie de l’équation pour que le monde politique regagne la confiance des électeurs.

 

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