La Chronique de Filou – 10 mesures urgentes pour sauver nos rivières (chapitre II).

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Ce chapitre II, pour couper l'herbe sous les pieds de vaches critiques, notamment agricoles : ces 10 mesures sont relativement faciles à prendre.

Bon, accrochez-vous, c'est un peu long!

Mesure n°1 - Interdire les épandages de lisiers en hiver. En effet, en fin d'automne, en hiver, et même au tout début du printemps, puisque la végétation est au repos, les nitrates et les phosphates ne seront pas utilisés, ils ne seront pas consommés par la croissance de l'herbe, et ils finiront rapidement dans les cours d'eau. D'autant plus que, principalement à la fin automne, nous sommes dans des saisons à fortes pluviométries, puis, en hiver avec des sols enneigés et gelés (PHOTO 1, où l'on voit un épandage de lisiers en hiver et sur la neige, photo extraite du site www.cpepesc.org, association CPEPESC-FC, 3 rue Beauregard, 25000 Besançon©). C'est pour cela, qu'il faut obligatoirement, d'une part, avoir des capacités de stockage de lisiers d'environ 6 mois, et, d'autre part, avoir utilisé le lisier tout au long de l'année comme "engrais naturel". Ce dernier point suppose des lisiers qui ne sont pas trop concentrés en azote et phosphore, ce qui sous entend peu ou pas de compléments alimentaires donnés au bétail. Le retour à l'autonomie alimentaire du cheptel bovin laitier franc-comtois serait la bonne solution! Bien évidemment, les plans d'épandages et les surfaces d'épandages doivent être adaptés. Beaucoup d'agriculteurs sont venus au lisier (étable sur caillebotis) par facilité et gain de temps. Mais, connaissant les ravages des lisiers de porcs en Bretagne, il est rageant de constater que cela s'est fait sans l'accompagnement par les chambres d'agriculture. Le lisier est un effluent liquide, toxique, beaucoup plus difficile à manier que le fumier! Nous sommes nombreux à penser que l'accélération récente de la dégradation des rivières a pour première cause l'augmentation du nombre d'exploitations en lisiers. Cela a conduit à des transferts très importants de nitrates et phosphates en hiver responsable de l'eutrophisation par les algues brunes comme cela a été très spectaculaire ce printemps. (PHOTO 2, où l'on voit les concentrations en nitrates de l'eau de la Loue, atteindre des valeurs très élevées, jusqu'à 25mg par litre du fait des épandages de fin d'automne lessivés par les pluies (Cuinet et al. 2012). Notons que selon les spécialistes, l'eutrophisation de la rivière débute vers 2-3 mg/l de nitrates!)

Mesure n°2 - Interdire les engrais chimiques. Il est démontré presque partout en Franche-Comté que les apports d'azote et de phosphore par les fumiers et lisiers sont largement suffisants pour faire pousser l'herbe. Et déjà, nombreux sont les agriculteurs qui n'achètent plus d'engrais. Les analyses de sols et les analyses de végétaux, encore très timides, doivent se multiplier pour montrer aux agriculteurs peu convaincus qu'ils achètent des engrais en pure perte et qu'ils dépensent leur argent pour polluer les cours d'eau! Les chambres d'agriculture et l'économie agricole dans son ensemble sont coupables du développement de cette solution chimique facile qui n'a aucun avenir. Nombreux spécialistes disent les sols abimés par ces sur-épandages. De plus, j'ai pu constater plusieurs fois que le monde agricole méconnait la fragilité de notre région karstique[1]. Dans les sols développés sur des calcaires karstifiés, tous les excédents sont rapidement transférés vers les cours d'eau souterrains puis aériens sans filtrage, sans épuration.

Mesure n°3 - Régler les déversoirs d'orage et entretenir les stations d'épurations. La deuxième source de pollution est certainement les déversoirs d'orage[2] des stations d'épuration. En effet, pour faire face à des arrivées massives d'eaux usées, mélange des égouts et des eaux de pluie, lors de fortes pluies, les stations ont un système de dérivation. Il s'agit, le plus souvent, de reverser directement dans le milieu naturel cette arrivée excessive d'eaux sales. Ainsi, on peut calculer que quelques débordements par an, annulent l'épuration réalisée les beaux jours. D'autre part, des militants[3] ont souvent constaté que ces déversoirs sont mal réglés, voire mal ou non entretenus. Il est primordial, que les déversoirs d'orages soient en parfait état de marche, et que l'eau en excès puisse être stockée afin d'être traitée plus tard. La séparation des réseaux d'eaux usées et des réseaux collectant l'eau de pluie est aussi une solution. De plus, des visites de stations d'épuration mettent en évidence un entretien insuffisant. Il est démontré très souvent que les petites stations, gérées par de petites communes ou collectivités, ne fonctionnent pas correctement faute d'un budget de fonctionnement suffisant et faute d'un personnel bien formé et dédié à la station d'épuration. Une autre source de pollution est le réseau de collecte, les spécialistes estiment que dans le meilleur des cas 30% des eaux usées sont perdues du fait des fuites de réseau. Et, perdues dans le "sol karstique", ces eaux polluées rejoignent rapidement le réseau hydrographique souterrain. Les réseaux de collecte sont parfois cassés, mais parfois il y a des mauvais branchements mélangeant par exemple eaux usées et eaux de pluie, ou des sous-dimensionnements. Ces réseaux mal calibrés expliquent pourquoi dans beaucoup de communes tels ou tels regards débordent maintenant quasiment à chaque pluie! Les boues produites par les stations d'épuration sont un autre problème. La quasi-totalité des boues est épandues dans notre région, alors que les agriculteurs suisses ont par exemple refusé ces épandages, ce qui a conduit la Suisse à incinérer ses boues de stations. Evidemment, si les stations ne fonctionnent pas bien, et de toute façon nous savons que beaucoup de polluants de sont pas traités, alors les boues peuvent être très "sales" contenant des métaux lourds, des médicaments, etc. Pour finir, le développement de l'utilisation des lingettes apparaît comme un vrai problème jusqu'alors sous-estimé. Ces lingettes contiennent des produits qui ne doivent pas contaminer le milieu naturel. Ici, il faut traiter le problème à la source, les lingettes de sont pas à jeter dans la cuvette des WC mais elles doivent être jetées à la poubelle.

Mesure n°4 – Mettre fin aux rejets directs des stations d'épuration. Les stations d'épuration sont basées sur l'idée que l'on récolte les eaux usées, qu'on les traite, les épure, puis qu'il suffit de les reverser dans le milieu naturel : cours d'eau, faille, puits, doline, etc. Or cette conception se heurte à deux écueils : 1- d'abord cela suppose que l'épuration est bien réalisée, et 2- on oublie d'additionner les rejets quand un cours ou un système karstique reçoit sur son linéaire un grand nombre de rejets d'un grand nombre de stations d'épuration. Or, on sait que l'épuration n'est pas bonne (PHOTO 3, où l'on voit le rejet de la station d'Ornans le 31 mars 2014). Nombre de molécules ne sont pas traitées. Par exemple, les petites et moyennes stations ne disposent pas de déphosphatation. Autre exemple, les produits médicamenteux ne sont pas traités et ils sont rejetés dans le milieu. Une solution pourrait être de stopper les rejets directs, en installant entre le milieu naturel et la station, un milieu récepteur intermédiaire (on parle parfois de traitement tertiaire). Une solution peut être un traitement à l'ozone des rejets avant le passage dans le milieu naturel. Chaque station d'épuration est un cas particulier qui mérite d'être étudié, mais l'arrêt des rejets directs dans les cours d'eau ou dans le karst doit être une priorité.

Mesure n°5 – Ne subventionner que l'agriculture évoluant vers zéro phytosanitaire. Les rivières souffrent également d'une raréfaction des insectes. Les "anciens" se rappellent des éclosions magnifiques et des nuages d'insectes qui survolaient les rivières certains jours, où lors des "coups du soir" des pêcheurs à la mouche. Ces insectes ont un stade larvaire aquatique et ces larves sont un maillon fondamental de la chaîne alimentaire des rivières. En bref, nombreuses larves sont herbivores et ont un rôle d'épuration de la rivière, puis elles servent de nourriture aux autres insectes et aux poissons. Ces insectes et ces larves sont victimes de tous les produits chimiques (insecticides, fongicides, herbicides …) utilisés aujourd'hui, par l'agriculture, la sylviculture et le jardinage des particuliers. Le plan national Écophyto, lancé en 2008, et qui avait pour objectif une réduction importante des phytosanitaires est un échec patent, récemment illustré à la télévision par Elise Lucet et ses équipes de Cash Investigation (France 2). Le débat sur le glyphosate revient régulièrement à la une des média, notamment dans l'attente de la décision européenne. Dans la zone karstique de notre région (Doubs, Jura), la culture la plus importante est la culture de l'herbe pour les vaches laitières, bien sûr pour le Comté et nos autres fromages. Il n'y a pas besoin de phytosanitaires pour faire pousser de l'herbe (PHOTO 4, où l'on voit des prés traités par un désherbant à base de glyphosate, prés colorés en jaune, à proximité immédiate de la Loue, en aval de Chenecey-Buillon). Et puisque le gouvernement va lancer le plan Écophyto 2, l'échec du premier plan doit conduire à ne subventionner que l'agriculture qui s'engage résolument dans cette voie. Au fait, puisque le lait BIO n'est pas plus cher à produire que le lait conventionnel (entendu lors du Salon de l'Agriculture, et aussi vérifié sur le terrain avec un producteur BIO) alors tout le Comté pourrait passer en BIO rapidement sans modifier son équilibre économique.

Mesure n° 6 - Ne plus traiter chimiquement le bois coupé en forêt. Témoignage : un matin, vers 6h, un pêcheur à la truite remontait le ruisseau de la Fuesse (affluent du Doubs, en aval de Goumois). Il se retrouva nez à nez avec un "cosmonaute" tout de blanc vétu, en combinaison, masque à gaz, lunette, gants … Ce "cosmonaute" traitait par pulvérisation des grumes rangées le long du ruisseau !! PHOTO 5). Ce n'est plus possible en 2016, non, ce n'est plus admissible. On connaît les désastres provoqués par ces molécules (ici certainement des insecticides et fongicides). D'ailleurs, le "cosmonaute" le sait bien, c'est pourquoi il a une tenue de protection. Pulvériser ces produits à quelques mètres d'un ruisseau est complétement fou. Ces traitements doivent se faire dans des lieux fermés (scieries, lieux de stockage adaptés) où les ruissellements peuvent être contrôlés. Plus généralement, il faut avoir une politique beaucoup plus ferme sur tous les produits chimiques que l'on retrouve dans les cours d'eau (eau que l'on boit par ailleurs !).

Mesure n°7 Replanter les haies. Tous les scientifiques s'accordent sur le fait que les quantités de matières en suspension transportées par les rivières ont augmenté. Il faut donc en conclure que l'érosion des sols a augmenté. Donc, il y a des pratiques sur les bassins versants qui provoquent davantage d'érosion que par le passé. Plusieurs pistes pour expliquer ce phénomène : la disparition des haies, la disparition des zones humides, l'augmentation du ruissellement, le remblaiement des dolines, des modifications des pratiques agricoles avec notamment le travail des sols (on retrouve ici l'utilisation du glyphosate et la culture de l'herbe), le rôle possible des campagnols et leurs galeries (?), etc. Il est important de noter que le phosphore arrive aux cours d'eau par les particules sédimentaires (matières en suspension) lors de fortes pluies. Donc, il faut prendre toutes mesures qui ralentiront l'érosion des sols et le transfert des particules, et donc du phosphore, vers les cours d'eau. Replanter les haies et donc dans le même temps arrêter de les arracher ! En écrivant cela, je me demande si il n'existe pas des subventions pour réinstaller des haies (une recherche internet montre rapidement que oui, en tout cas dans beaucoup de départements français) et, dans le même temps, certains agriculteurs continuent à en arracher. On marche sur la tête que j'vous dis!

Mesure n°8 - Reconstruire la continuité des cours d'eau. Les nombreux seuils et barrages qui existent historiquement sur nos cours d'eau ont plusieurs inconvénients. Les principaux sont : rupture de la continuité écologique notamment pour les espèces de poissons qui remontent vers l'amont pour la reproduction (truites), et en amont du barrage, réchauffement de l'eau, développement des végétaux et accumulation des particules sédimentaires. Curieusement, les pêcheurs et les riverains, ne sont pas favorables à cette mesure de bon sens. Notamment parce que les zones amont seraient des refuges à grosses truites! Ou des zones de baignades ! Et un argument est souvent entendu, les seuils et barrages existent depuis longtemps, et il y avait des poissons en quantité. C'est oublier que la situation a changé : le réchauffement climatique, l'augmentation des matières en suspension qui transportent le phosphore et des molécules indésirables adsorbées[4], la raréfaction des poissons, donc le besoin d'avoir une reproduction très efficace, toutes ces raisons conduisent à soutenir le projet de détruire le plus possible de seuils et de barrages. Les financements existent (Agence de l'eau, par exemple) et j'espère que les premiers seuils effacés démontreront vite l'efficacité de cette mesure, ce qui finira de convaincre les amoureux des rivières.

Mesure n° 9 - Protéger le karst. Le karst, en résumé, c'est infiltration partout, transfert rapide de l'eau et pas d'épuration. Protéger le karst est obligatoire et toutes les zones d'infiltration dans les calcaires, c'est à dire les dolines, les pertes, les ruisseaux temporaires, les vallées sèches … doivent être efficacement protégés. Par exemple, certaines dolines ont été comblées afin de les faire disparaître. C'est une aberration car elles restent des zones d'infiltration préférentielle ! Personnellement, j'ai découvert le karst en 1985 au début de mes études universitaires et déjà nos professeurs nous alertaient sur la fragilité du karst et nous parlaient de ces dolines qui servaient de poubelles (cadavres d'animaux, vieilles voitures …). Que de tels comportements existent encore aujourd'hui, c'est tout simplement impensable et il faudra être répressif si besoin.

Mesure n° 10 - Mettre en place une véritable police de l'environnement. Nous devons protéger notre environnement. Vous connaissez tous la phrase "la Terre ne nous appartient pas, nous l'empruntons à nos enfants". L'état de nos rivières, et toutes les pollutions que nous découvrons ici ou là, montrent qu'une partie de la population n'est pas encore convaincue que c'est une obligation urgente, que c'est de notre responsabilité, de respecter et de protéger les équilibres naturels. Nombreuses sont les catastrophes que l'on pourrait éviter en respectant quelques lois naturelles : les inondations meurtrières, les intoxications, les glissements de terrain, … et la disparition de la richesse piscicole de nos rivières qui avaient une réputation mondiale, et également les maladies des agriculteurs du fait de l'exposition aux molécules dangereuses.

Quelques exemples où une police de l'environnement me semble indispensable :

- les agriculteurs qui ne respectent pas les règlements d'épandages doivent être sanctionnés (PHOTO 6, où l'on voit un épandage de fumier réalisé jusqu'à la rive … et certainement aussi DANS la rivière, rivière Le Breuchin, Haute-Saône).

- il semble assez facile de constater l'excès de nitrates dans les prés en observant les quantités d'oseille ou rumex[5] qui poussent sur une parcelle. Et donc d'intervenir, avec la Chambre d'Agriculture pour régler le problème, avec le pouvoir de prendre des décisions (les analyses de sols ou de végétaux, réalisées par les Chambres d'Agriculture, devraient être rendues publiques ! Les analyses d'eau également !)

- il me semble aussi possible et pertinent de vérifier le niveau de remplissage des cuves à lisier. Par exemple, si l'épandage a été fait correctement pendant la période végétative (environ avril à octobre), la cuve doit être vide en novembre, prête à recevoir le lisier de fin d'automne et d'hiver!

 - les pollutions constatées sur le terrain (épandages sauvages, décharges sauvages, traitements chimiques en forêt, etc.) ne doivent plus rester impunis.

 … et tellement d'autres choses.

 

MAIS … EXISTE-T-IL VRAIMENT UNE VOLONTE DE SAUVER NOS RIVIERES COMTOISES ?

 

QUEL MONDE, QUELLE FRANCHE-COMTE, VOULEZ-VOUS LAISSER A VOS ENFANTS !

 

Cuinet A., Daudet T., Rahon J. Daud J.B. (2012) Suivi de la qualité des eaux des sources du Maine et de Plaisir-Fontaine. 27 février au 3 août 2011. Eaux Continentales. Rapport Fédération de Pêche du Doubs, Agence de l'Eau et Conseil Général du Doubs.

 

[1] : karst : produit de l'érosion hydrochimique des calcaires qui sont des roches solubles par l'eau chargée en gaz carbonique. La surface karstique est fissurée, trouée, on parle parfois de relief ruiniforme (lapiez) et le réseau hydrographique est essentiellement souterrain. Le karst est constitué de grottes, gouffres, galeries, rivières souterraines, pertes, résurgences, dolines. Dans une région karstique, les transferts d'eau sont très rapides et sans épuration.

[2] : déversoirs d'orages : dispositifs chargés d'évacuer le trop plein d'eau qui arrive à la station d'épuration lors de fortes pluies. Ils existent également, et débordent donc aussi, à divers endroits du réseau de collecte des eaux usées.

[3] : consultez les sites et soutenez ces associations très actives :

SOS-LRS (SOS Loue et Rivières Comtoises) : http://www.soslrc.com/

ANPER-TOS : Association Nationale de Protection des Eaux et Rivières – Truites, Ombres, Saumons : http://www.peche-et-riviere.org/

CPEPESC : Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères : http://www.cpepesc.org/

 

[4] : adsorption = en chimie, l’adsorption, à ne pas confondre avec l’absorption, est un phénomène de surface par lequel des atomes ou des molécules se fixent sur une surface solide selon divers processus plus ou moins intenses grâce aux interactions de Van der Waals (wikipedia).

 [5] : oseille ou rumex : plante nitrophyte, c'est à dire qui aime les sols riches en nitrates.

Chronique de Filou 02062016-11

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