Journaclic : le journalisme et la science-fiction

observatoire

« Humour, exagération et même mauvaise foi autorisés… Ne dites pas cela à un journaliste : il serait capable de le prendre au sérieux ! » En proposant aux étudiants en webjournalisme de l'université de Lorraine d'imaginer ce que pourrait être le métier dans dix ans à l'occasion des Assises du journalisme qui se tiennent du 15 au 17 mars à Tours, Loïc Ballarini, maître de conférence en sciences de l'information et de la communication, a ouvert d'intéressantes pistes de réflexion.

Les articles écrits par les étudiants s'inscrivent tous dans un scénario de fiction : « Emmanuel Macron, président de la République depuis 2017, réélu en 2022, viendrait d’annuler les élections de 2027 pour s’octroyer les pleins pouvoirs devant la menace terroriste renouvelée. Un monde où Radio France, privatisée et rachetée par Vincent Bolloré, aurait laissé les manettes de la matinale de France Inter à Cyril Hanouna. Un monde où l’hologramme de Jean-Pierre Elkabbach, désormais opéré par un algorithme, continuerait à délivrer chaque matin son éditorial politique. Un monde dont les journalistes professionnels auraient quasiment disparu, remplacés par des machines ou des amateurs transmettant en permanence leurs images au cloud récréatif de Google... »

Que sera le journalisme dans dix ans ? Dans le même dossier, Théo Meurisse imagine le glissement du nom même du métier dont une modalité pourrait devenir si envahissante qu'elle remplacerait l'ancien vocable : le journaclic ! Pour avoir une chance de décrocher un CDD dans ce nouveau paysage médiatique, le permis drone est évidemment un atout, mais pas seulement. Comme les annonceurs ont définitivement pris le pouvoir sur les médias, l'objectif de tout journaclic, est d'attirer le plus vite possible l'attention des financeurs privés sur leurs reportages...

Marine Schneider imagine pour sa part le placement en garde à vue le 8 mars 2027 d'Edwy Plenel, « ancien journaliste de Médiapart » sur ordre de « l'impératrice Marine Le Pen » pour avoir fait des révélations sur ses élections de 2017 et 2022...

Anticipant le baroud d'honneur de l'honnêteté intellectuelle, Jean Vayssières et Benjamin Jung ont choisi de traiter de l'éthique à l'heure où les robots auront définitivement remplacé les journalistes, ce qui leur fait se poser des questions sur le lien entre littérature et journalisme, et surtout entre journalisme et marketing :  « Journaliste commercial. Une expression oxymorique jusqu’à présent inimaginable qui, en l’espace de quelques années, a supplanté la quasi totalité des notions de journalisme déjà fragilisées dix ans auparavant. L’anticipation de cette nouvelle profession inquiétait dans les années 2010, mais se retrouve aujourd’hui profondément ancrée dans les mœurs ; comme si la notion d’éthique ou de conflit d’intérêt avait disparu en quelques années. »

Parfois hilarants, ces exercices permettent surtout de se poser des questions sur le présent, sur la situation de la presse aujourd'hui, le rôle des technologies, mais aussi celui de l'idéologie mêlant technophilie enthousiaste, perte de sens critique, et confiance aveugle dans le marché. 

Ces exercices me font aussi songer à quelques échanges passés. Ceux d'un temps où, délégué syndical journaliste d'un grand quotidien régional, je m'insurgeais des velléités clicophiles de certains cadres, de la rédaction comme du service des ventes. Le numérique commençait à permettre de mesurer l'audience respective des articles et avec elle l'idée d'indexer la rémunération des journalistes, du moins une partie, sur cette audience. La direction niait alors qu'une telle perspective soit envisageable, mais celle-ci s'appuyait sur une autre notion : les sujets fédérateurs. 

Un sujet fédérateur est censé faire consensus, ne fâcher personne, avoir un taux de lecture important. Privilégier les sujets fédérateurs a pour conséquence de reléguer au second plan les sujets considérés comme clivants, jugés trop complexes, voire pédagogiques. La même logique conduit parfois à traiter des conflits sociaux dans la rubrique des faits-divers... Plus insidieusement, les rubricards disparaissent au profit des généralistes, ce qui implique une moindre maîtrise des champs sectoriels d'intervention des journalistes, donc davantage de superficialité et une plus grande interchangeabilité : la robotisation commence avec la standardisation des esprits...

Un confrère regrettait l'accroissement progressif des articles ouvertement prescriptifs d'achats. Comme si le lecteur était davantage un consommateur qu'un citoyen. Ce qu'on appelle le « journalisme de marché » était déjà à l'œuvre...

« La renaissance du journalisme professionnel ne passera-t-elle pas par le long format ? », c'est l'une des nombreuses questions posées par Lucas Hueber dans Les journalistes sont morts, vive les journalistes amateurs... Le long format, c'est justement ce que Factuel.info tente de réhabiliter.

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