Gilbert Levieux, Buchenwald, les sidérurgistes et les Black Blocs

Je relaie un article de Roger Martin, écrivain, communiste, engagé dans la lutte contre l'extrême-droite, spécialiste du KKK...

L’Histoire ne repasse pas les plats, disent les marxistes. Et pourtant !

Voilà qu’une nouvelle fois, le 1er mai, jour de la Fête des travailleurs (et non du travail), on nous a joué le coup des casseurs. Des milliers, des dizaines de milliers de manifestants dans les rues, aucune importance pour des médias aux mains du Medef et du capital. En revanche, pendant des heures, en boucle, des images de violence, de casse, des individus cagoulés, casqués, munis de barres de fer, de gourdins, de cailloux, de fumigènes et autres accessoires.

Depuis quelques années, on leur a trouvé un nouveau nom, les Black Blocs. Ce jour-là, on en dénombrait, paraît-il, près de 1200, arrivés sans encombre par le métro, le bus, à pied (en taxi, qui sait ?) sans avoir subi le moindre contrôle. À la fin des réjouissances, on en avait appréhendé 119, dont une poignée avaient apparemment mérité la garde à vue. Il est vrai qu’avec zèle et efficacité, ils avaient pleinement joué leur rôle de meilleurs alliés du patronat et fourni une belle moisson d’images.

Ce spectacle était prévisible. Quel meilleur moyen de casser un mouvement que de le faire dégénérer ?

À la fin du XIXe siècle, le préfet de police Louis Andrieu, reprenant les leçons de Fouché et de Vidocq, savait admirablement utiliser ce que l’on appelait alors « agents provocateurs ». Tout au long du XXe, on les retrouva, nuisant de l’extérieur le temps d’un saccage ou gangrenant de l’intérieur, tant les gouvernements successifs attachaient d’importance au noyautage des organisations syndicales et politiques « subversives », entendez par-là avant tout le Parti communiste et la CGT.

Arriva 1968, vous savez ce moment historique où 11 millions de grévistes occupèrent les usines et où les Accord de Grenelle se traduisirent par des avancées comparables à celles qui marquèrent 1936 comme 1945 (des conquêtes de haute lutte, le patronat n’ayant jamais accordé quoi que ce soit de bonne grâce !), que les commémorations officielles et médiatiques ignorent quasiment, trop occupées à servir la soupe à messieurs Cohn-Bendit, Geismar, Goupil et consorts. Ceux-là mêmes qui en 68 accusaient les communistes d’être des « traitres révisionnistes », d’avoir « poignardé la Révolution » et qui, un demi-siècle plus tard, se sont convertis  à l’économie de marché et au « dialogue social », cache-sexe de la collaboration de classes.

Les années suivantes connurent un développement prodigieux de groupes (et de groupuscules) qui maniaient le verbe révolutionnaire avec un talent remarqué. À Aix-en-Provence, où j’étudiais alors et où plus de dix mouvements se disputaient (parfois militairement) le hall de la faculté des Lettres, je me rappelle quelques individus particulièrement virulents (mettant le Pouvoir et son allié le P « C »F  - les fachos, de leur côté, écrivaient PC « F »- dans le même sac), toujours prêts à en découdre et à envoyer les autres mourir pour leurs idées. On découvrit plus tard que l’un d’eux, assistant d’Espagnol, était en réalité un stipendié du pouvoir franquiste.

Plus tard, nommé en Lorraine, je me retrouvai dès 1974 dans les luttes qui amenèrent, après l’annonce de 21 750 licenciements à Denain et Longwy à l’immense manifestation des sidérurgistes à Paris du 23 mars 1979. Plus de 100 000 personnes, une combativité extraordinaire, et puis, tout à coup, la casse, les violences, des affrontements. Il serait faux de dire que la violence n’était que le résultat de l’action d’agents provocateurs. Les sidérurgistes étaient excédés, la CFDT-Longwy traversait une phase gauchiste, mais déjà, à l’œuvre, se trouvaient ceux qu’on allait appeler les « autonomes ». Parmi eux, des infiltrés. Et des policiers, comme l’inspecteur Gérard Le Xuan, qui se fit prendre par le service d’ordre de la CGT muni de sa carte de police !

Mais le pire restait à venir. La radicalisation et les dérives meurtrières. L’équipée sanglante du duo Maupin-Rey, des manifestations qui dérapent systématiquement, et l’épisode ultime (pour le moment !) du dernier  1er mai.

Certes notre monde est injuste, certes la société est violente, mais évitons de jouer les Bisounours, évitons de flatter la jeunesse lorsqu’elle a tort, évitons de considérer que brûler des voitures à Noël (dans les quartiers où elles brûlent, c’est des prolos et des pauvres qui en font les frais !) est un acte révolutionnaire, évitons de fournir des alibis aux casseurs parce que, la réalité, c’est qu’ils sont les alliés objectifs des puissants qui nous gouvernent et renforcent leurs positions à chaque nouvel incident.

Mais que viennent faire Gilbert Levieux et Buchenwald dans tout ça ?

C’est simple : Gilbert Levieux était résistant, puis déporté, puis déporté résistant, sabotant la production nazie à Buchenwald. Il est mort il y a quelques jours, sans jamais avoir cessé de se battre. Pourtant, en face de lui, ce n’étaient pas des adversaires en carton-pâte, le théâtre de son militantisme n’était pas celui d’une opérette, les risques quotidiens c’étaient la torture et la mort.

À Buchenwald, il n’y avait pas de Black Blocs !

 Roger Martin



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