François Moulin, mon ami, mon camarade

Journaliste à L'Est Républicain de 1983 à janvier 2012, François s'est éteint le 12 août 2012 à 53 ans. Homme de lettres, d'histoire et de culture, auteur de nombreux livres, éditeur et libraire, il a été délégué SNJ pendant près de 15 ans ans, correspondant régional de la Commission de la Carte de presse durant 12 ans.

Voici le texte de l'hommage que je lui ai rendu, au nom du SNJ, lors de ses obsèques qui ont été célébrées le 17 août en l'église Saint-Léon de Nancy :

Alors comme ça, mon très estimé confrère, mon ami, mon camarade, tu es parti pour ton dernier voyage. Depuis que tu m'avais dit de quel mal tu souffrais, tu étais dans un coin de mon cœur, j'avais peur et j'espérais. Je pensais à ta force de caractère, à ton opiniâtreté. J'attendais la rentrée pour t'appeler, échanger sur nos projets, trouver une date pour se voir... Maintenant, j'appellerai mes souvenirs, ceux d'Anne-Marie avec qui nous avons tant ri à la cantine d'Houdemont et dans votre maison de la rue de Paris. J'appellerai les souvenirs des confrères, des amis et des camarades.
Oui, c'est un joli nom camarade. Il dit la fraternité et la solidarité, l'engagement pour le collectif. Pour toi, c'était aussi un engagement pour le respect dû au travailleur qu'est le journaliste, le respect dû à la personne qu'est le lecteur, à sa sensibilité. C'est cela qui t'a conduit, des années durant, dans le cadre d'un engagement syndical prolongeant ta réflexion sur l'éthique professionnelle, à être le principal artisan des chartes de faits-divers de L'Est Républicain. Tu y as apporté ta rigueur intellectuelle et ta vigilance aux évolutions juridiques ou sociétales. Car tu sais que les mots peuvent blesser, et même pire.  
Tu étais fondamentalement conscient des responsabilités de notre métier. J'ai souvenir de quelques unes de tes saines colères à l'égard de ceux qui les avaient oubliées, le nez sur l'actualité ou sacrifiant aux délétères exigences de la société du spectacle. Tu as dit ta honte à la direction lorsqu'un papier sans aucune distance, rendant hommage à Pétain, fut publié dans ton journal que tu ne reconnaissais plus. Un mois plus tard, ta hiérarchie te cherchait des noises... L'épisode aura compté dans ta décision de faire jouer la clause de conscience un an plus tard, comme une quarantaine de confrères : « je crois que nous avons fait le bon choix de quitter ce journal, je constate une dégradation de plus en plus rapide du contenu, la fin de toute autonomie éditoriale », m'as tu écrit dans ton dernier mail, il y a trois mois...
L'autonomie éditoriale, la liberté d'enquêter, c'est déjà ce que tu défendais en 1988, tout jeune délégué du SNJ. Un puissant personnage, mis en cause dans une célèbre affaire de fausses factures que tu avais contribué à révéler, avait tenté de prendre le pouvoir dans le journal. Je t'ai connu ainsi : toujours tu as agi pour l'indépendance de la rédaction vis à vis des pouvoirs politique, économique ou actionnarial. Ainsi, tu œuvrais pour une information de haut niveau, sérieuse, exigeante. La liberté de la presse n'est pas un de nos privilèges, c'est le droit des citoyens à l'information.
Tu râlais contre la médiocrité, la facilité ou l'abandon des valeurs professionnelles, tu en as irrité quelques uns qui t'ont traité de donneur de leçons, mais tu le pouvais te le permettre ! Un ancien rédacteur en chef avec qui tu n'hésitais pas à aller au conflit, m'a confié son « respect » pour tes « qualités professionnelles », ton « sens de l'information et du métier ». Joël, reporter bisontin, un camarade lui aussi, m'a rappelé ton acuité sur l'extrême droite, ton savoir sur l'Occupation, la Résistance, l'épuration : « on pouvait vraiment avoir confiance dans l'analyse de François ». Je me souviens de ton enthousiasme lorsqu'en 2005 je t'ai proposé de travailler ensemble sur le centenaire de la loi de séparation des églises et de l'État. Tu aimais l'histoire, tu savais la faire aimer, la faire comprendre, montrer l'imbrication des destins personnels et du souffle des événements.
Sensible à la fragilité des destins dans les tranchées, des civils dans les guerres, tu l'étais aussi à la précarité des jeunes journalistes. Dans le compte-rendu d'un des quatre mandats de 3 ans que tu as assurés à la Commission de la carte de presse, tu constatais en 2006 son insupportable fréquence chez nos jeunes confrères. Tu ne t'es jamais habitué aux difficultés croissantes qu'ils ont à s'insérer dans les rédactions. Tout comme Malik, Pierre-Louis, José, Bertrand ou Laurence, ces camarades d'Eure-et-Loir et de Corse, de Montpellier et d'Angers, de Strasbourg et d'ailleurs qui t'ont côtoyé à la Commission. Éric, son ancien président dit que tu en étais l'un des piliers auxquels la profession doit beaucoup. Tu as combattu la concentration des journaux jusque dans la rue le 31 octobre 1999 à Épinal, tu as négocié d'importants accords sociaux, tu es discrètement intervenu pour défendre tel ou tel.
Honnête homme, droit et débout, journaliste à l'écoute, militant d'un monde meilleur... François, mon ami et mon camarade, je te le dis de toutes mes forces, c'est tout le SNJ, notre syndicat national des journalistes né en 1918 juste après la grande guerre pour lutter contre la censure, qui te dit adieu avec ces mots que tu aimais : salut et fraternité !
 

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