Droit d’asile : étape 3 de la marche « Semelles d’Asile » et soirée publique à Chapelle des Bois.

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Il existe, dans ce monde fou, des gens qui ont un cœur "gros comme ça". Les rencontrer, partager une marche montagnarde, un casse-croûte, un repas, et bien sûr échanger avec eux, est toujours un moment heureux.

Factuel, sous la plume de G. Viennet, vous a déjà informé de cette randonnée pour le droit d'asile, organisée par l'association Semelles d'Asile ("se mêlent d'asile"). Et, ce samedi 30 juillet, avait lieu la 3ème étape de la marche entre Bois d'Amont (39) et Chapelle des Bois (25). La journée fut conclue par une soirée publique, à Chapelle des Bois, avec la projection du film "Nulle part en France" de Yolande Moreau, suivie d'une discussion sur le thème de la frontière.

C'est en 2011, pour marquer le 60è anniversaire de la Convention de Genève, que des militants de Forum Réfugiés [1] décident d'une première marche citoyenne. Puis un groupe de marcheurs citoyens, réfugiés, demandeurs d'asile, fonde l'association Semelles d'Asile, pour organiser une marche annuelle qui s'est déroulée cette année dans notre région, en trois étapes entre Lamoura et Chapelle des Bois, au contact de la frontière franco-suisse. Deux soirées publiques ayant pour thèmes l'accueil des réfugiés (soirée du 29 juillet, à Bois d'Amont) puis la frontière (soirée du 30, à Chapelle des Bois) étaient organisées.

La marche : de Bois d'Amont à Chapelle des Bois, le long de la frontière suisse.

Le rendez-vous avait été fixé à 9h, à Bois d'Amont, devant la salle paroissiale. À l'heure dite, nous rencontrons Christophe, organisateur de la marche, et les quarante militants-marcheurs accompagnés par des demandeurs d'asile : Kairollah et Nabi, afghans ; Amina, Athman, et Charlie, africains ; Hend, réfugiée politique syrienne. Une dizaine de marcheurs locaux sont également venus participer à cette randonnée.

Bonne ambiance, bonne humeur, bon accueil et bonne organisation.

Le départ tarde un peu, il faut ranger la salle paroissiale, et c'est finalement vers 10h que la cinquantaine de marcheurs prend le départ pour la forêt du Risoux et Chapelle des Bois.

La matinée se passe en marchant et bavardant. Nous faisons connaissance et nous écoutons Pierre, le local de l'étape, qui nous conte l'histoire de la région. Puis, après une descente vertigineuse, nous atteignons le lac des Mortes pour la pause casse-croûte du midi.

Pour la marche de l'après-midi, la fine équipe se divise en deux. Le plus grand nombre va rejoindre Chapelle des Bois directement. Les plus courageux (et j'en suis) vont rejoindre le Risoux, la frontière suisse, puis redescendre vers Chapelle des Bois.

Ce chemin est marqué par le passage d'un gy (ou git), passage étroit qui permet de franchir la falaise calcaire pour  d'atteindre la forêt du Risoux et s'approcher de la frontière suisse. Pierre en profite pour nous conter l'histoire de Victoria CORDIER, 20 ans, résistante et passeuse [2]. Avec sa sœur Madeleine et son réseau, elle conduisit clandestinement environ 90 personnes qui rejoindront ainsi la Suisse pendant la période de l'occupation allemande : des résistants, des agents administratifs et aussi des enfants juifs, protégés par la Croix-Rouge suisse.

Nous imaginons le parcours, de nuit, avec de jeunes enfants, dans ces pentes difficiles, dans le passage du gy. Cela nous donne une leçon de courage, et nous permet de nous approcher un peu de la réalité des dangers de cette époque, mais aussi des dangers vécus aujourd'hui par les réfugiés dans leur périple à travers autant de frontières hostiles ou lors des traversées maritimes si souvent dangereuses et mortelles pour tant d'hommes, femmes et enfants.

Les sœurs CORDIER et les autres résistants ont reçus la médaille des Justes de l'état d'Israël.

Je veux prendre quelques lignes pour recopier les mots lus sur le monument qui leur rend hommage à proximité de la frontière suisse dans le Risoux.

" Septembre 1943-Mai 1944. Edith Goldapper, Inge Joseph, Walter Kamlet, Manfred Kamlet, Adolphe Nussbaum, Edith Moser, Paul Schlesinger et Flora sa mère, Inge Schragenheimer, ont passé la frontière sur ce chemin du Risoux, conduits par : Anne-Marie Piguet, Fred Reymond, Madeleine Cordier, Victoria Cordier, Résistants et reconnus "Justes parmi les Nations".

"En leur honneur à tous, en celui des familles suisses et françaises qui ont accueilli et protégé, en souvenir des passeurs, rappelons nous et agissons".

"Ces enfants venaient du Château de la Hille en Ariège, foyer du "Secours aux enfants" de la Croix-Rouge suisse."

Il est écrit "agissons", c'était une époque où les passeurs risquaient leur vie pour l'honneur, la fraternité humaine et la liberté.

 

La marche montagnarde se termine par la descente vers Chapelle des Bois, puis par un repas délicieux préparé par les militants de Semelles d'Asile (merci pour l'invitation).

La Soirée : film et débat à Chapelle des Bois.

- Première bonne surprise, la soirée connaît une belle audience en ce samedi de Juillet : je compte un peu plus de 100 personnes attirées par le sujet. Il y a les militants, quelques vacanciers et environ 40 francs-comtois des environs qui, le débat le démontrera, sont concernés par cette question des réfugiés et du droit d'asile et qui se sont engagés. Bernard Bouveret, nonagénaire et dernier membre encore en vie du réseau de passeurs du Risoux, est également présent dans la salle.

Le film "Nulle Part en France" a été tourné dans les jungles de Calais et Grande-Synthe (banlieue de Dunkerque). Yolande Moreau lit les textes de Laurent Gaudé, entrecoupés des interviews de réfugiés et de bénévoles. Quelque soit l'opinion de chacun, les conditions d'hébergement, dans la boue et le froid, sous le vent et la pluie, sont indignes de la 5è puissance mondiale. Un sentiment de honte domine. Les réfugiés ne s'attendaient pas à un accueil si mauvais, si blessant, de la part de LA France, pays des droits de l'homme et des libertés. Je vous invite tous à regarder ce film. J'ai retenu les phrases suivantes :

"Faut-il être Carrefour ou Citadelle ?"

Mais il y a parfois la mort au bout du chemin, une tombe anonyme dans un cimetière du nord de la France ; "le froid leur rentre dans les os, même dans la mort. Et il y a de la place encore pour ceux qui mourront demain. La mort a toujours faim".

Et il y a aussi les bénévoles, anglais, belges, français, qui apportent de la nourriture (un bénévole a cuit 800 œufs et 21 kg de riz), du matériel et de l'espoir ; "du désastre, toujours, finit par naître le réveil".

 

Le débat sur le thème de la frontière est organisé par Marc, avec Farida, chercheuse et spécialiste de ces questions, deux réfugiés-marcheurs, Kairollah et Hend, Angèle enseignante militante qui aide Kairollah, et Christine présidente de Semelles de l'Asile.

- Et deuxième bonne surprise, dans le public, plusieurs prises de paroles de franc-comtois évoquent les associations locales qui aident ou souhaitent accueillir des réfugiés. Ils nous racontent les difficultés et tracas administratifs rencontrés, bien loin des discours officiels. Par exemple, cette intervenante qui évoque le souhait d'une commune des environs d'accueillir une famille de chrétiens d'Irak. Après avoir aménagé le logement, l'association locale constate que les services de l'état sont incapables de les aider. Finalement, c'est grâce au bouche à oreille, au sein des associations, et au bout de 9 mois, qu'une famille irakienne va bientôt s'installer dans notre région.

- La soirée va se terminer avec les témoignages de Kairollah et de Hend.

Kairollah, jeune afghan qui vient d'avoir 18 ans, a perdu ses parents pendant la guerre afghane qui n'en finit pas, il avait 11 ans. Pour survivre, il a décidé de rejoindre l'Iran, envisageant l'Europe comme lieu d'accueil. Il est resté plus de 4 ans, entre 11 et 15 ans, entre l'Iran, l'Afghanistan, la Turquie, l'Italie (il a tenté 5 fois la traversée maritime si dangereuse entre la Turquie et la Grèce), pour finalement arriver en France. Mineur, il a été pris en charge par la FOL (Fédération des Œuvres Laïques) puis placé à Annecy. Il y a rencontré une enseignante, Angèle, qui l'aide beaucoup. Aujourd'hui, il vient d'obtenir son CAP et un emploi en CDI, mais devenant majeur, il est de nouveau en situation irrégulière.

 Hend, est une femme syrienne, qui après avoir fait 9 ans de prison en Syrie, a reçu le statut de réfugiée politique en France, où elle "survit" avec son mari. J'écris "survit" car il ressort de son témoignage une profonde blessure. Hend ne désire pas être en France, elle rêve de son pays, elle espère la paix, elle se bat pour un monde fraternel, pour une Syrie libre.

Cette soirée était très belle, très émouvante, pleine d'espoir et de désespoir. Les réfugiés dont les parcours alimentent nos journaux, sont là, vivants, avec une énergie incommensurable. Mais ce sont aussi des vies brisées qu'il faut reconstruire et ces pays détruits, ces sociétés dévastées, qu'il faudra bien rebâtir.

Christine, la présidente de Semelles d'Asile conclut la soirée et la marche en rappelant que ce moment est important pour les militants, souvent fatigués des lenteurs et des difficultés rencontrées tout au long de l'année : se retrouver, à l'occasion de cette marche de 3 jours, partager les repas, les soirées, refaire le plein d'énergie, sentir le soutien d'une partie de la population … pour repartir, pour militer, pour aider.

La prochaine étape est toute proche : un concert exceptionnel à Lyon le 31 Juillet organisé par Forum Réfugiés-Cosi.

Je rends hommage aux militants de Forum Réfugiés et j'ai été très heureux de rencontrer tous ces nouveaux amis de Semelles d'Asile.

Longue marche à eux.

Références

[1] : aujourd'hui Forum Réfugiés-Cosi : http://www.forumrefugies.org/

[2] : deux éditions du livre de Victoria Cordier :

Victoria CORDIER (1980) "Ce que je n'oublierai jamais. Sous le Risoux." 178 p., édité à Compte d'auteurs.

Victoria CORDIER (2016) "Ce que je n'oublierai jamais. Journal d'une résistante comtoise." 204 p., Presses du Belvédère Ed.

[3] : http://info.arte.tv/fr/nulle-part-en-france-de-yolande-moreau

 

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